La joie était un thème central du pontificat du pape François, qui s'est achevé ce lundi 21 avril. Dans l'un de ses tout premiers textes, il opposait la joie à "la tristesse de l'individualisme" dans les pays occidentaux. La joie chrétienne, notion hautement spirituelle, pouvait-elle dans la pensée du pape argentin avoir des résonnances politiques et sociales ?
La mort du pape François intervient en plein jubilé de l'espérance. Si le terme "jubilé" vient de l’hébreu yobel et renvoie à l'idée d'une année de jachère, on ne peut éluder le sens du verbe "jubiler", qui signifie se réjouir. La joie était en effet un thème central du pontificat de François.
Quatre de ses sept exhortations apostoliques font référence à la joie dans leur titre : Evangelii gaudium, Amoris Laetitia, Gaudete et Exsultate, Laudate Deum. La joie de l’évangile, de l’amour, être dans la joie ou encore louer Dieu... De quelle joie s’agit-il ? Publié le 24 novembre 2013, environ huit mois après son élection, Evangelii gaudium annonçait en creux toute sa vision de ce que doit être la mission de l’Église catholique. En quoi la joie chrétienne, notion hautement spirituelle, pouvait-elle avoir chez François des résonnances sociales ou politiques ?
"C’est peut-être le thème le plus important pour lui, le thème central, analysait sur RCF le Père Nathanaël Garric, prêtre du diocèse de Paris et membre de la communauté de l’Emmanuel, doctorant en théologie à l’Institut catholique de Paris (ICP). "La joie, c’est le signe de la présence de l’Esprit-Saint."
À plusieurs reprises, le pape François a invité les chrétiens à faire la rencontre sans cesse renouvelée du Christ. Pour lui, c'était là "le cœur de l’identité du chrétien. Un chrétien c’est quelqu’un qui fait régulièrement l’expérience de la rencontre du Christ et cette rencontre, elle suscite une joie. Et donc en quelque sorte c’est sa marque de fabrique, c’est ce à quoi il est le plus attentif spirituellement : là où il n’y a pas la joie, il n’y a pas l’Esprit, là où il n’y a pas l’Esprit, le Christ n’y est pas."
François, pape du discernement : pour le Père Garric, c’est sans doute l’image que l’on gardera du 266e pape. Celui "qui nous a appris à être attentif à l’Esprit-Saint, à discerner". Discerner, pour le pape - le premier pape jésuite de l’histoire - cela signifiait porter une attention particulière à sa vie intérieure, car "l’Esprit-Saint parle au cœur". Dans sa dernière exhortation apostolique consacrée à sainte Thérèse de Lisieux, "C’est la confiance" (2023), il a invité à redécouvrir la "petite voie" ou la "voie de l'enfance spirituelle", qu’il considère comme "l’une des découvertes les plus importantes de Thérèse".
Evangelii gaudium est une exhortation apostolique post-synodale. Dans le jargon de l’Église catholique, une exhortation apostolique est un texte qui en soi n’a pas de valeur juridique mais qui correspond à un appel ou un encouragement que le pape adresse aux fidèles. Quand l’exhortation est dite "post synodale", qu’elle a donc été écrite à la suite d’un synode, elle prend un degré d’autorité supplémentaire puisque le pape l’a écrite en s’inspirant des échanges entre évêques lors du synode.
En l’occurrence, Evangelii gaudium a été écrite après le synode qu’avait ouvert le pape Benoît XVI sur la nouvelle évangélisation. 260 évêques étaient réunis à Rome en octobre 2012 : quelques mois plus tard, en février 2013, Benoît XVI annonçait sa démission. C’est donc son successeur, le pape François, qui a écrit l’exhortation apostolique post-synodale. S'il s'intitule "La joie de l’Évangile", le texte porte sur le thème de l’annonce de l’Évangile.
Le pape François y fait de nombreuses références au document d’Aparecida. Un texte essentiel pour comprendre la vision du pape François sur l’Église catholique et son organisation. C’est d’ailleurs lui qui, en 2007, alors qu’il était archevêque de Buenos Aires, en a dirigé la rédaction à l’issue de la conférence d’Aparecida (rassemblement des évêques d’Amérique latine). Dans Evangelii Gaudium, François citait ainsi de nombreux documents produits par plusieurs conférences épiscopales. Cette façon de donner de l’importance aux conférences épiscopales annonçait déjà sa vision d’une gouvernance décentralisée.
Face à "la tristesse individualiste" : la joie de l’Évangile. C’est de cette opposition que partait le raisonnement du pape François, rappelant d’emblée que le message chrétien comporte une dimension morale et sociale. Tout au long de son pontificat, il a eu des mots sévères à l’égard de la civilisation occidentale. Il y eu parmi les catholiques français notamment, "une grande difficulté de compréhension" à l’égard de ce pape, admet Nathanaël Garric. François aura été selon lui un "penseur fondamental" mais "déroutant, surtout, pour nous catholiques français occidentaux, avec un certain nombre de repères théologiques culturels pour lui que nous n’avons pas".
Avec vigueur, le pape argentin n’a cessé de dénoncer notre individualisme synonyme de repli sur soi, de fermeture du cœur… "Ce qu’il dénonce, c’est l’auto-préservation, explique le Père Garric, et la tentation d’un repli sur nous-mêmes pour surtout être sûrs au moins de conserver nos valeurs. En oubliant une réalité fondamentale : c’est que l’Église n’est pas en vue de l’Église." Il a exhorté les croyants d’Occident à une "espèce de renversement psychologique".
Dans Evangelii Gaudium, le pape François énonçait quatre principes propres à nos réalités sociales : "Le temps est supérieur à l’espace" ; "La réalité est plus importante que l’idée" ; "L’unité prévaut sur le conflit" et "Le tout est supérieur à la partie". Quatre principes à la fois éthiques, philosophiques et ecclésiologiques, qui résument sa vision de l’humain, de l’Église catholique et de la société contemporaine.
Une formule qui questionne ! On peut l’interpréter de différents points de vue. Si l’on se réfère à la notion de "processus" chère au pape François, on peut y voir le propos d’un pédagogue. Le pape se réfère ici à un principe biblique connu dans le monde chrétien : la loi de gradualité, sur laquelle il revient dans Amoris Laetitia (2016). En substance, cette loi dit que "l’homme met du temps à quitter le mal et s’orienter vers le bien", résumait le Père Garric.
Concrètement, cela signifie par exemple pour les prêtres de "voir comment est-ce que chacun avance à son rythme, de valoriser, de faire grandir la vie spirituelle en train de grandir" chez les fidèles. Et de ne pas faire de l’Église "une douane pastorale" comme il l’a dit à plusieurs reprises, où la grâce du sacrement est réservée aux gens parfaits. De même, la confession ne doit pas être "une séance de torture", comme il l’a dit à Vérone en mai 2024.
C'était une donnée récurrente dans les propos du pape François. Passer de l’idée à la réalité, cela procède d'une véritable conversion pour un chrétien. À l'inverse, s'en tenir au concept, à l'abstraction, voire à l'idéologie, est une tentation, en particulier dans nos sociétés occidentales. "Le pape n’est pas contre l’idée", prévenait toutefois le Père Garric, mais il ne faut jamais décorréler l’idée de la réalité." Certes, vu le passé de l’Église catholique et l’histoire de la censure, "on pourrait croire qu’il se méfiait des livres". Il n’en est rien. Il n’y a qu’à lire sa "Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation" du 17 juillet 2024.
On l’a vu durant son pontificat, le pape François n’avait pas peur du conflit. Cependant, le conflit ne doit être qu’une étape et doit mener à la paix. C’est là un point très important pour lui, nous dit le Père Garric. "Il pense à toute forme de conflit social, toute forme de conflit est intéressant d’un certain point de vue mais doit s’achever dans la paix."
C’est sans doute pour cela que "les gens n’arrivaient pas à le situer sur un échiquier politique ecclésial, observe le Père Garric. Il ne voulait jamais qu’il y ait un parti qui l’emporte sur l’autre, ce qui compte c’est qu’il y ait une unité au terme d’un conflit, d’une lutte légitime si l’on peut dire."
Au moment du synode sur l’Amazonie, en octobre 2019, François a laissé s’exprimer tous les points de vue sur un sujet brûlant : l'ordination d'hommes mariés. Pour certains, c’était l’occasion de plaider pour que Rome l’autorise dans toute l’Église catholique. Or, précisément, selon François "le tout est supérieur à la partie", c'est-à-dire qu'il ne faut pas voir le tout à partir de son propre point de vue.
En adressant cette formule à l’Église, le pape François "a enseigné aux catholiques de se situer dans le tout auquel je n’ai pas accès de mon point de vue local", explique le Père Garric. François voyait l’Église catholique comme un polyèdre : une figure géométrique avec plusieurs côtés, un peu biscornue, pour laquelle il n’y a pas lieu de désirer une parfaite homogénéité. Et où "l’Esprit-Saint montrera l’unité".
Dans des temps troublés, incertains, le pape a osé une vision pour l’Église du troisième millénaire : la synodalité. "Peu de papes ont eu une visée à aussi long terme", estimait le Père Garric. Conscient des lourds enjeux qui pèsent sur la mission de l’Église, l’annonce de l’Évangile, il a placé le jubilé 2025 sous le signe de l’espérance. "Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, a-t-il écrit dans Evangelii Gaudium, ne nous donnons jamais pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie qui nous pousse en avant !"
Halte Spirituelle est une émission de radio animée par Madeleine Vatel et Véronique Alzieu et diffusée quotidiennement sur RCF. Des entretiens où l'on puise dans l'expérience chrétienne pour engager une réflexion spirituelle aussi profonde qu'accessible. L'émission de référence de RCF !
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