L'Eglise doit-elle chercher la transparence à tout prix ?
Quelle stratégie de communication pour l'Église ? Alors que l'institution va bientôt élire le nouveau pape, le successeur de François à la chaire de Pierre aura notamment pour mission de communiquer autour de ses ambitions pour le pontificat, qu'elles soient en accord ou en rupture avec celles de François. Dominique Wolton, chercheur en communication, qui a écrit un livre avec le Pape François, est au micro de RCF et Radio Notre-Dame.
Dominique Wolton © RCFDominique Wolton, chercheur en communication politique et sociologue, a eu la chance de rencontrer le pape François avec qui il a notamment écrit un livre qui s'intitule Politique et Société, publié aux éditions de l'Observatoire. "J'ai été fasciné par la capacité de communication qu'avait cet homme", dit-il. "Cet homme capable d'être à la fois hors de tous les standards, d'avoir cette espèce de familiarité, de sens de la révolte, de la colère, il parlait à tout le monde. C'était un pape populaire, qui parlait des pauvres et qui tout de suite a hurlé sur le statut des migrants." Je me suis dit, mais c'est le premier pape de la mondialisation", poursuit-il. Au cours de leur rencontre au Vatican, Dominique Wolton se souvient d'avoir été frappé par l'intelligence du regard, de la chaleur et de l'humour du Saint-Père.
L'Église joue entre le secret et la communication
Depuis très longtemps, "l'Église joue un espèce de jeu d'aller-retour, un secret communication-publicité ", explique le chercheur en communication. Elle a en effet été pionnière dans la réflexion autour de la radio sur les réseaux sociaux "elle croit que c'est formidable et que ça va suffire, mais cela fait très longtemps qu'elle joue entre le secret et la communication", poursuit-il.
Depuis très longtemps, l'Église joue un espèce de jeu d'aller-retour, un secret communication-publicité.
Dans le cadre du conclave qui s'ouvrira mercredi 7 mai, l'Église se trouve à nouveau confrontée à ce "jeu de secret et de communication". "On voit très bien dans un conclave en ce moment tous les fantasmes de pouvoir, de manipulation ressortirent alors qu'en fait ces pauvres 133 cardinaux vont être là comme des braves à lutter sur des rapports de force classique, mais il n'y a rien à dire", affirme le sociologue. Selon lui, l'Église à l'art de renouveler elle-même les fantasmes sur la toute-puissance et du secret. Ces fantasmes viennent du fait que pendant très longtemps l'Église a joué le jeu du secret, du silence et de la communication.
Tout l'enjeu des prochaines années sera donc celui de la transparence de l'Église.
Cela fait un demi-siècle qu'elle essaie un autre rapport à la communication, mais même si l'Église est honnête, de nombreuses personnes gardent des souvenirs et des représentations de nombreux fantasmes liés à l'institution. Tout l'enjeu des prochaines années sera donc celui de la transparence de l'Église, afin que ceux qui gardent toujours ces fantasmes en tête les oublient et voient que l'Église comme une institution qui est portée par des traditions et des hommes.
L'importance de la transparence
Les cardinaux de l'Église catholique rappellent très souvent l'importance de la transparence. Certains disent qu'il en faut moins, d'autres plus. Une question se pose alors, est-ce que la sur-transparence que souhaitent certains prélats s'oppose à la transcendance ? "On pense que si tout est transparent, tout est compréhensible. On pense qu'une information transparente, ça fait une communication efficace" relate Dominique Wolton. Cependant, cela est loin d'être aussi simple, c'est souvent bien le contraire.
Cessons de croire que la modernité c'est la transparence, c'est beaucoup plus compliqué que cela.
Selon lui, l'Église est un peu comme tout le monde, sous le joug de la modernité technique d'abord et ensuite sous celui de la transparence. Or, "il y a une limite à la transparence, en politique aussi, dans la vie intellectuelle et dans l'Église également", insiste-t-il. Il y a des dimensions de mystère, de cheminement individuel, de temps, de traditions qui doivent être préservés. "Cessons de croire que la modernité, c'est la transparence, c'est beaucoup plus compliqué que cela", affirme-t-il.
L'Église résistera-t-elle à la pression du monde ?
Depuis la mort du pape François, le lundi 21 avril au lendemain de Pâques, les cardinaux se réunissent en congrégations générales. Auparavant, le public ne connaissait pas le contenu de ces sessions. Cependant, cette fois-ci, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège communique sur ce qui s'est dit le matin même. Une question se pose alors: est-ce qu'il y a une forme de tension entre le temps de l'Église et le temps du monde qui va forcer l'Église à changer ?
On a besoin de temps perdu.
"Oui, il y a un vrai conflit et c'est normal ", explique le sociologue. "L'illusion, c'est de croire que si tout est sur la place publique, tout est transparent, tout est démocratique", poursuit-il. La démocratie n'est pas synonyme de transparence, c'est plus compliqué que ça, il faut des intermédiaires. Selon Dominique Wolton, les prêtres sont des intermédiaires et donc par conséquent l'Église a intérêt à ne pas aller trop loin. "On a besoin de temps perdu ", affirme-t-il. L'Église pourra résister aux pressions du monde si elle reste fidèle à elle-même, à sa tradition, à sa connaissance du temps et à la nécessité de prendre le temps. "L'Église n'est pas moderne et heureusement qu'elle ne l'est pas. Elle est ailleurs", conclut le chercheur en communication.


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