Accueil des migrants : que voulait vraiment le pape François ?
Pour beaucoup, il restera "le pape des migrants". Tout au long de son pontificat et dès son élection en 2013, le pape François a multiplié les gestes et les prises de paroles pour attirer l'attention sur le sort des migrants. Et dénoncer avec force la "culture du déchet" propre aux sociétés occidentales. Cela lui a valu d'être fortement critiqué, y compris parmi les catholiques. Mais que voulait vraiment le pape argentin : était-il pour un accueil des réfugiés ouvert et sans condition ?
Le pape François rencontre des réfugiés au centre d'accueil et d'identification de Mytilène, sur l'île de Lesbos, en Grèce, le 05/12/2021 ©Vatican MediaUn pape "obnubilé" par les migrants, un chef religieux trop politique… Un certain nombre d'oppositions au pape François se sont cristallisées autour de ses propos sur les migrants. Y compris parmi les catholiques, il a été fortement critiqué. Pourquoi donc le pape argentin a-t-il osé des prises de paroles et des gestes forts au risque de déplaire à une partie de ses fidèles ? Quel message voulait-il adresser en critiquant parfois de manière virulente les sociétés occidentales ?
Marseille : la venue du pape sur fond de crise migratoire en Europe
On s'en souvient, la visite du pape François à Marseille, les 22 et 23 septembre 2023, avait eu lieu sur fond de crise migratoire en Europe. L'état d'urgence avait été décrété à Lampedusa. Cette petite île italienne où le pape François avait effectué le tout premier voyage de son pontificat, le 8 juillet 2013. "Nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence", avait-il dénoncé avec force.
Dix ans après Lampedusa, le pape François se rendait à Marseille "pour réfléchir sérieusement au drame des migrants", comme il l'avait lui-même expliqué. La question migratoire avait été à l'ordre du jour de ses échanges avec Emmanuel Macron. "Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés, avait déclaré le souverain pontife dans son discours au palais du Pharo devant le président de la République. Dans le cas contraire, le migrant se retrouve dans l'orbite de la société."
Le pape François et les migrants : un sujet récurrent
Avant François, de nombreux souverains pontifes - Benoît XV, Paul VI, Jean-Paul II… - sont intervenus pour attirer l'attention sur le sort des réfugiés. Mais la question a été centrale durant le pontificat de François. En juin 2023, il a eu une pensée pour les 79 migrants morts en mer au large des côtes grecques à sa sortie de l’hôpital. En fait, on ne comptait plus ses prises de paroles sur la question tant elles ont été nombreuses.
Le pape François a aussi multiplié les gestes forts pour interpeller les médias : jeter une couronne de fleurs dans la mer devant des migrants à Lampedusa (en 2013), laver les pieds de personnes exilées de différentes confessions pour le Jeudi saint (en 2016), rentrer au Vatican en compagnie de réfugiés (depuis Lesbos en 2016)… Autant d'initiatives que la presse s’est empressée de relayer.
Fait exceptionnel, la section des migrants et des réfugiés, du Dicastère pour le service du développement humain intégral - sorte de ministère au Vatican créé en 2016 - a été placée sous la responsabilité directe du pape. En 2018, pour lui donner plus de visibilité, François a déplacé la Journée mondiale du migrant et du réfugié au dernier dimanche de septembre (elle était jusque-là fixée au mois de janvier, une date jugée trop proche de Noël).
Des prises de position trop politiques ?
C'est peu de dire que le pape ne mâchait pas ses mots quand il évoquait le sort des migrants. En particulier quand il s’en prenait à l’Europe et aux pays occidentaux, dont il a souvent dénoncé l'individualisme ou les "égoïsmes personnels et nationaux". À Lesbos en 2021, il a eu ces mots retentissants : "Je vous en prie, arrêtons ce naufrage de civilisation !" Avec de tels propos il a pris le risque de s’aliéner une partie des catholiques en affichant ouvertement des valeurs de gauche. Lui-même ne pouvait ignorer qu'il s'emparait d'un thème clivant dans les débats politiques en Europe.
Où s'arrête le spirituel et où commence le politique ? En un sens, le pape y a répondu quand il a déclaré à Lesbos en 2021 : "La foi exhorte à l'hospitalité, ce n'est pas de l’idéologie religieuse, ce sont les racines chrétiennes concrètes. Jésus affirme solennellement qu'il est là, dans l'étranger, dans le réfugié, dans celui qui est nu et affamé."
De même, lors de la messe pour les migrants qu'il a célébrée , six ans après son voyage à Lampedusa : "Ce sont des personnes. Il ne s’agit pas seulement de questions sociales ou migratoires !... Les migrants sont avant tout des personnes humaines, et au sens où ils sont aujourd’hui le symbole de tous les exclus de la société globalisée." (Homélie du 8 juillet 2019)
Accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination
Migrants : que voulait le pape ?
S’il y a une chose en particulier qu’il dénonçait très nettement, c'était les camps de détention pour migrants. À Chypre en 2021, il les a comparés à des camps de concentration nazis. Pour autant, militait-il pour un accueil des migrants largement ouvert et sans condition ? En novembre 2016, dans l’avion de retour de Suède, il évoquait la "prudence des gouvernants". "Les gouvernants doivent être très ouverts pour les accueillir, déclarait-il, mais également analyser comment pouvoir les installer, car il ne s’agit pas seulement de recevoir un réfugié, il faut aussi l’intégrer."
Sa pensée sur la question des migrants est en quelque sorte résumée dans son message du 15 août 2017 pour la 104e Journée mondiale du migrant et du réfugié : "Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer". Pour lui, "accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination". S’il encourage à ce que "soit étendu et simplifié l’octroi de visas humanitaires et pour le regroupement familial", il insiste sur l’ouverture des "corridors humanitaires pour les réfugiés les plus vulnérables".
Les couloirs humanitaires représentaient pour le pape François l’une de ses réponses concrètes à la crise migratoire. Des dispositifs qui permettent, pensait-il, d’accompagner les exilés, d’éviter de les enfermer dans des camps de détention et de favoriser leur intégration. Pour lui, l’essentiel était de pouvoir "accompagner" et "gérer les flux de la meilleure façon possible, en construisant des ponts et non des murs, en élargissant les canaux pour une migration sûre et régulière". Pour la mise en place de ces couloirs humanitaires, le chef de l’Église catholique pouvait compter sur la communauté de Sant’Egidio et le réseau Caritas.
Le pape qui a dénoncé la "culture du déchet"
Ces prises de position très fermes du pape François au sujet des migrants, il faut les faut relier à la "culture du déchet" qu'il a dénoncée à plusieurs reprises. Par exemple, dans son encyclique sur l'écologie Laudato Si', il écrit que cette "culture du déchet... affecte aussi bien les personnes exclues que les choses vite transformées en ordures".
Évoquer le sort des migrants, c'était pour le souverain pontife questionner les modes de vie occidentaux. Et dénoncer un système économique qui, en même temps qu'il détruit la nature, engendre l'exclusion des plus fragiles - les migrants, mais aussi les personnes en fin de vie ou les enfants à naître. Pour le pape François en effet, l'euthanasie ou l'avortement relevaient de cette "culture du déchet". "Le Seigneur nous appelle à une conversion, à nous libérer des exclusions, de l’indifférence et de la culture du déchet", a-t-il rappelé en 2019.
La théologie de la Méditerranée, si chère au pape François
"J’insiste encore sur la nécessité de favoriser, dans tous les cas, la culture de la rencontre", déclarait le pape François dans son message pour la 109e Journée mondiale du migrant et du réfugié. Cette "culture de la rencontre" était au cœur de la théologie de la Méditerranée. Il l'a développé tout au long de son pontificat - que ce soit à Lampedusa mais aussi à Lesbos, à Rabat, à Jérusalem, à Tirana, à Marseille et enfin en Corse.
"La mare nostrum est un espace de rencontres, a déclaré le pape François à Marseille. La théologie de la Méditerranée est une invitation à considérer que le Dieu des chrétiens, un Dieu trinitaire, est lui-même dialogue. "Cette mer, environnement qui offre une approche unique de la complexité, est un "miroir du monde", et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, vocation unique et unique voie pour prévenir et surmonter les conflits."




