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Dette publique française : de quoi parle-t-on vraiment ?

Dette publique française : de quoi parle-t-on vraiment ?

Un article rédigé par Melchior Gormand - RCF, le 10 septembre 2025 - Modifié le 10 septembre 2025
Je pense donc j'agisDette publique française : de quoi parle-t-on vraiment ?

La dette publique française fait régulièrement les gros titres et suscite inquiétudes et débats. Présentée parfois comme un fardeau pour les générations futures, parfois comme un outil indispensable pour financer l’économie, elle soulève de nombreuses questions.

Ministère de l’économie et des finances (Bercy, Paris) © Mathilde Kaczkowski / Hans LucasMinistère de l’économie et des finances (Bercy, Paris) © Mathilde Kaczkowski / Hans Lucas

La France doit plus de 3.400 milliards d’euros à ses créanciers, un chiffre impressionnant qui inclut uniquement la dette publique, à distinguer de la dette privée, celle des ménages et des entreprises. 

L’ampleur vertigineuse de la dette

Quand les chiffres donnent le vertige. La dette française dépasse aujourd’hui les 3.400 milliards d’euros, un chiffre qui peut sembler abstrait mais qui a des implications concrètes. Comme le rappelle Julien Pillot, "on s'y perd avec tous ces chiffres, ils sont vertigineux. Mais effectivement, la dette se creuse parce que nous avons des dépenses publiques qui dépassent notre capacité à prélever de l'impôt et avoir des recettes fiscales à la hauteur de nos dépenses". Depuis 1974, année où la France n’a pas voté de budget à l’équilibre, les déficits annuels se sont accumulés, et "on creuse notre dette, on emprunte sur les marchés pour faire fonctionner notre système, à la fois notre système de protection sociale, mais également l'ensemble de nos administrations publiques et services publics".

Une mauvaise dette est celle qui ne sert pas à investir dans l'avenir, alors qu'une bonne dette flèche les investissements publics pour préparer la compétitivité de la nation. 

Pourquoi la dette n’est pas toujours un danger immédiat. Pour le statisticien Léo Vigny, la dette publique doit être analysée comme un outil de financement plutôt qu’un simple fardeau. "La question de la dette publique, c'est la question de comment on finance l'action publique. Il y a deux manières : soit par l'impôt, soit par la dette. Et généralement, le financement par la dette sert à financer l'investissement, c’est-à-dire qu'on s'endette dans le présent pour financer quelque chose qui sera rentable dans le futur", précise-t-il. Julien Pillot nuance toutefois : "il y a la bonne et la mauvaise dette. Une mauvaise dette est celle qui ne sert pas à investir dans l'avenir, alors qu'une bonne dette flèche les investissements publics pour préparer la compétitivité de la nation". En France, une partie importante de l’endettement a financé le système de protection sociale et non des investissements stratégiques pour l’avenir, ce qui pose des questions sur l’alignement entre dépenses et enjeux futurs.

Qui détient la dette et comment est-elle remboursée ?

Une dette partagée entre passif et actif. Léo Vigny rappelle qu’il faut considérer la dette dans le bilan global de l’État. "Quand on compare la dette publique au stock d'actifs publics, on se rend compte qu’un Français, plutôt que d’hériter d’une dette, hérite d’un patrimoine net qui est positif, composé d’infrastructures, d’actifs financiers et fonciers", analyse-t-il. Ainsi, même si l’endettement atteint aujourd’hui 113-114% du PIB, le patrimoine public reste supérieur à la dette. 

Un peu plus de la moitié de la dette publique est détenue par des intérêts étrangers.

Des détenteurs diversifiés. La dette française est détenue par différents acteurs : la Banque centrale européenne, la Banque de France, les banques et assurances françaises, ainsi que des investisseurs étrangers. Selon Julien Pillot, "un peu plus de la moitié de la dette publique est détenue par des intérêts étrangers, mais la majorité se trouve dans des pays alliés et sûrs. Cela ne constitue pas un danger immédiat pour la France". Léo Vigny ajoute que les institutions financières garantissent la diffusion et la régulation de cette dette sur les marchés : "il y a toujours une demande excédentaire pour les titres de dette française, ce qui permet de renouveler la dette et financer les déficits courants".

La dette n’est pas vraiment quelque chose qu’on va léguer.

La dette au quotidien : un remboursement progressif. Contrairement aux idées reçues, la dette n’est pas un poids que l’on lègue intégralement aux générations futures. Comme l’explique Léo Vigny, "la dette n’est pas vraiment quelque chose qu’on va léguer. On la rembourse au fil de l’eau, mais on se réendette pour financer les déficits et rembourser les anciennes dettes". Julien Pillot précise que les intérêts représentent un coût concret pour l’État : "ces charges d’intérêts peuvent atteindre 3, 4, 5 % du budget national, ce qui limite les marges pour investir dans des ministères essentiels comme la justice ou l’éducation".

Dette publique et perception citoyenne

Quand la fiscalité suscite colère et frustration. La gestion de la dette publique ne se résume pas aux chiffres : elle touche directement la perception des citoyens. "Si on regarde les politiques mises en place sur les 30 dernières années, on observe une sorte de schizophrénie : on veut conserver notre modèle social et de service public tout en changeant la structure de la fiscalité", explique Léo Vigny. Il souligne que certaines mesures, comme la réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises, creusent le déficit public, même si ces aides sont nécessaires pour des enjeux stratégiques ou écologiques. Selon lui, "les études montrent qu'il n'y a pas beaucoup d'impact sur l'emploi ou les investissements, seulement sur la profitabilité des entreprises, et le réinvestissement attendu en France n'est pas encore arrivé". Cette situation alimente un sentiment d’injustice fiscale. "On me demande de contribuer davantage, mais en contrepartie, je vois des écoles fermer, des lits d’hôpitaux diminuer… C’est un choix politique sur comment financer et dépenser l’État, et je peux comprendre que cela crée du mécontentement", déplore-t-il.

On veut conserver notre modèle social et de service public tout en changeant la structure de la fiscalité.

Fractures générationnelles et mécontentement social. Julien Pillot ajoute une dimension générationnelle à ce constat. "Les boomers n'ont pour seule faute que d'être nés à l'époque où ils sont nés et d'avoir répondu aux offres politiques de leur temps, en profitant d’un État généreux sans toujours réinvestir pour les générations futures". Selon lui, "cela crée un mécontentement généralisé : d’un côté, les travailleurs pauvres peinent à épargner et voient l’ascension sociale se fermer, et de l’autre, ceux à hauts revenus constatent que leurs contributions fiscales ne se traduisent pas toujours par des services publics de qualité". Cette tension entre générations et classes sociales peut alimenter la colère citoyenne, comme le montre le témoignage de Nicole : "On a profité de toutes les largesses de l’État dans des périodes de prospérité, sans jamais réinvestir pour nos enfants et petits-enfants." Ou celui de Christiane, excédée par les inégalités : "On travaille toute notre vie, on est surtaxés… et pendant ce temps, on fait des cadeaux aux entreprises sans contrepartie."

Les boomers n'ont pour seule faute que d'être nés à l'époque où ils sont nés et d'avoir répondu aux offres politiques de leur temps.

La pédagogie comme réponse à la complexité. Pour Julien Pillot, expliquer la dette publique de manière claire est essentiel. "La pédagogie, ça reste un vrai métier, avec des compétences et des savoir-faire. Être pédagogue, c’est réussir à faire passer des concepts complexes de façon fluide, afin que le plus grand nombre comprenne". Léo Vigny complète : "Il y a aussi une fracture générationnelle, avec des aspirations et référents culturels différents. Il faut réenchanter le récit français pour créer une espérance commune et partagée, au lieu de mettre les Français dos à dos."

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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