
Quelques mois avant sa mort, le pape François lançait un appel fort : effacer la dette des pays les plus pauvres à l’occasion du jubilé de l’espérance. Cette proposition, à la croisée de l’éthique et de l’économie, soulève de nombreuses interrogations. Est-ce réalisable ? Et pourquoi l’Église s’empare-t-elle de cette question ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Madeleine Vatel et Melchior Gormand.
Mettant les plus fragiles en priorité, le pape François dénonçait souvent le principe d'une économie qui n'est pas un instrument de service, mais de domination. Aussi a-t-il fustigé “certains gouvernements et institutions financières privées qui n’hésitent pas à exploiter, sans discernement, les ressources humaines et naturelles des pays les plus pauvres".
Pour lui, la dette n’est pas qu’une affaire de chiffres mais elle devient un instrument de domination, un “lien social” qui, à mesure qu’il s’éloigne du cercle proche, s’accompagne de conditions de plus en plus restrictives.
L’appel du pape s’inscrit dans la tradition de l’Année jubilaire, héritée du judaïsme, où “tous les quarante-neuf ans, une année de clémence et de libération pour le peuple” était proclamée, pour rappeler que “personne ne vient au monde pour être opprimé”. Cette perspective historique est précieuse, comme le souligne l’historienne Laurence Fontaine : “L’Église a longtemps condamné l’usure, c’est-à-dire le prêt à intérêt. La Révolution française a fini par légitimer le prêt à intérêt, ce que les rois avaient toujours refusé de faire.”
Robin Guittard, directeur adjoint du plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, regrette que “la dette permette de contrôler des pays”, soulignant ainsi le pouvoir structurel qu’elle confère aux créanciers. Cette domination n’est pas sans conséquence pour les populations. Quand la priorité de l’État n’est pas dans les dépenses sociales mais dans le remboursement de la dette, les habitants sont livrés à eux-mêmes.
Annuler la dette, est-ce possible ? Marin Ferry, maître de conférences en économie, nuance : “les créanciers, notamment le FMI et la Banque mondiale, restent réticents à l’annulation pour différentes raisons. D’une part, les dettes sont considérées comme des obligations dont il faut s’acquitter. De plus, leur annulation encouragerait les pays riches à ne plus prêter, ce qui réduirait les budgets d’aide aux pays pauvres. Cela mettrait par ailleurs à mal la crédibilité des institutions multinationales. Enfin, l’annulation ne garantit en rien que les sommes d’argent libérées ne seraient pas gaspillées aux dépens de la population”. Revenant ainsi à déplacer la dette sur d'autres pays, et à ne pas assurer une sécurité pour les habitants.
Le paysage de la dette a évolué. Désormais, un tiers de la dette est détenu par des créanciers privés et la Chine occupe une place grandissante, pratiquant une diplomatie du "carnet de dettes" qui affaiblit la souveraineté des États endettés. Pourtant, ces prêts peuvent aussi stimuler l’économie, générer de la concurrence et de l’emploi, rappelant que l’Afrique a besoin de financements pour ses projets de développement, explique Laurence Bataille, maître de conférence.
Pour les États surendettés, la dette a des conséquences directes. “Les dépenses sociales de l’État pour la protection sociale, la santé gratuite, l’éducation gratuite, sont sacrifiées. La dette empêche de faire des investissements de développement dans des infrastructures telles que les routes, les ponts”, explique Robin Guittard. Parfois, “des pays comme le Burkina Faso doivent consacrer plus de la moitié de leur richesse au remboursement de la dette : des personnes travaillent presque uniquement pour rembourser une dette extérieure", précise-t-il.
Effacer la dette, est-ce une utopie ? Pour les créanciers, cela signifie "renoncer à des recettes, à un pouvoir de domination sur un pays débiteur". Mais, comme le rappelle Robin Guittard, “ce n’est pas dans l’intérêt des créanciers de laisser certains pays en cessation de paiement”.
L’annulation de la dette des pays pauvres reste un enjeu à la fois économique, politique et éthique. Comme l’a rappelé le pape François avant sa mort, il s’agit de "rétablir la justice de Dieu, y compris dans les relations internationales entre les pays" et ce même si les mécanismes de contrôles sont difficiles à endiguer.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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