
Depuis la mort du pape François, c’est tout un code vestimentaire qui se déploie au Vatican devant les caméras du monde entier. La pourpre cardinalice et le violet des évêques tranchent avec le noir des soutanes, en attendant de voir surgir le blanc de la soutane du nouveau pape au balcon de la basilique Saint-Pierre. Et s'il existait une théologie de la mode et du vêtement ?
Depuis la mort du pape François, c’est tout un code vestimentaire qui se déploie au Vatican devant les caméras du monde entier. La pourpre cardinalice et le violet des évêques tranchent avec le noir des soutanes, en attendant de voir surgir le blanc de la soutane du nouveau pape au balcon de la basilique Saint-Pierre. Des prêtres aimant un peu trop la mode et "les robes en dentelles", voilà qui ce scandalisait le pape François – et ces propos improvisés en plein synode avaient créé la surprise.
Si le vêtement est synonyme de futilité, s’il est le contraire de l’essentiel, pourquoi l’Église catholique lui accorde-t-elle une telle importance ? L’exposition du Met de New York, en 2018 – pour laquelle le Vatican avait prêté une cinquantaine de costumes – montrait non seulement l’importance de la mode dans le catholicisme mais aussi l’influence de la religion catholique sur la mode. Entre idéal de pauvreté et mise en scène de la foi, que dit la religion chrétienne sur le vêtement ? Le dominicain Alberto Fabio Ambrosio développe depuis plusieurs années une théologie de la mode et du vêtement. Une théologie qui contient tout le message chrétien.
Dans le christianisme, l’apparence a son importance. Elle est même "fondamentale" dans la religion catholique selon le dominicain. "Historiquement, le christianisme se construit aussi comme une religion qui se donne à voir, soutient l'auteur du livre Le Christ nu et cru – Une spiritualité du dessaisissement (éd. Desclée de Brouwer, 2055). Il a contribué à construire le mythe des apparences."
Il est question de visibilité mais aussi de beauté. C’est toute une esthétique que la religion chrétienne a développée. "Et qui dit esthétique, dit cette visibilité. Je vais encore plus loin : pas de christianisme sans visibilité." La mode fait donc partie de ce "théâtre divin" qu’est la messe, d’après le titre de l’ouvrage de Philippe Martin (aux éditions du CNRS, 2010). En fait, c’est tout le paradoxe de la foi chrétienne : celui d’une "foi intérieure" mais qui "se donne à voir depuis toujours".
Il y a dans la pensée chrétienne un imaginaire puissant autour de la nudité et du vêtement. Il est dit dans la Genèse, le récit de création de la Bible, qu’Adam et Ève étaient nus avant la faute. La prise de conscience de leur nudité, leur pudeur et leur volonté de se couvrir sont liés au péché originel. "Le vêtement est vraiment là pour dire quelque chose de fondamental, affirme Alberto Fabio Ambrosio. S’il n’y avait pas de péché d’origine, il n’y aurait pas de vêtement…"
Ainsi, la scène de la dénudation de François d’Assise – cette grande figure de sainteté qui a inspiré le pape François – est "une scène chrétienne d’une très, très grande puissance", estime le dominicain. Le Poverello se montre tel quel, "nu et cru", dans un idéal de pauvreté et d’authenticité. Mais surtout, "François est en train, par cette scène, de vivre ce que le Christ a vécu".
On représente en effet souvent le Christ presque nu sur la croix, lui dont la tradition chrétienne dit qu’il est le nouvel Adam. Cette façon de représenter la crucifixion est évidemment un écho à la nudité du jardin d’Eden. Mais avec François d’Assise, on comprend que la nudité d’Adam et celle de Jésus ne sont pas du même ordre.
"Tant qu’on est dans le régime de la nature humaine, après le péché originel, nous sommes vêtus", explique le dominicain. Ce pourquoi, dans l’évangile du troisième dimanche de Pâques, Pierre s’habille pour aller à la rencontre du Christ ressuscité. "Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau." (Jn 21, 7) Notons qu’au temps de Jésus dans la région de Galilée, les pêcheurs pêchaient pratiquement nus.
Avec cette scène de l’évangile de Jean, non seulement on se situe sur ce "fil rouge de la question vestimentaire" qui est "très, très fortement présent" dans toute la Bible. Mais on revient à la notion de la pudeur. Entre cette scène où Pierre s’habille et la dénudation de saint François, on retrouve tout la "tension eschatologique" au cœur du message chrétien. "Saint François montre ce qu’il sera. Au paradis on sera à la fois nu mais d’une nudité qui sera comme une forme de vêtement."
C’est ainsi que l’on peut comprendre ce verset de saint Paul : "Revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ" (Rm 13, 14). Revêtir le Christ, c’est revêtir la grâce, la participation à la vie divine. Et comme par hasard, souligne le dominicain, le mot "grâce" renvoie aussi "à la posture et à l’élégance, et donc quelque part à la tenue !"
C’est un langage, le vêtement. On se révèle
Le sémiologue Roland Barthes l’a montré, la loi du vêtement est paradoxale, ambivalente. On se couvre pour se dévoiler. "C’est tout au contraire de ce qu’on pense, le moine porte l’habit, s’amuse le dominicain. C’est un langage, le vêtement. On se révèle."
"Sera-t-on habillés dans l’au-delà ?" demande Alberto Fabio Ambrosio. Le paradoxe décrit par Roland Barthes "est dépassé grâce au Christ, en disant que le vêtement est la nudité et la nudité est un nouveau vêtement. Ce n’est pas un jeu de mot : dans l’au-delà, il y a aura le corps de lumière, le corps de grâce. Un véritable corps de résurrection : la lumière est un vêtement."
La tension eschatologique, c’est de tenir ensemble la nudité et le vêtement. La nudité originaire et le vêtement qui sublime et dévoile. "Nous serons revêtus selon l’élaboration de la nudité originaire. Les deux pôles de tensions seront tenus ensemble."
Halte Spirituelle est une émission de radio animée par Madeleine Vatel et Véronique Alzieu et diffusée quotidiennement sur RCF. Des entretiens où l'on puise dans l'expérience chrétienne pour engager une réflexion spirituelle aussi profonde qu'accessible. L'émission de référence de RCF !
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