Durant, la guerre de 12 jours entre Israël et l’Iran. L'État Hébreu n’a pas stoppé son intervention dans la bande de Gaza. Tandis que les victimes palestiniennes se comptent par dizaines chaque jour, de plus en plus de personnalités évoquent un génocide, pour décrire la situation subie par les Palestiniens de l'enclave.
La situation à Gaza reste catastrophique et de plus en plus de voix évoquent un génocide. Il y a un débat entre spécialistes depuis plusieurs semaines sur cette notion.
Juristes, avocats, historiens, sociologues, politiques ou encore ONG questionnent ce terme pour qualifier la situation dans l’enclave, tandis que son usage irrite au plus haut point le gouvernement israélien. Le mot “génocide” possède une charge historique forte et évoque les pires horreurs du XXe siècle, notamment la Shoah.
Raphaël Lemkin, juriste juif américano-polonais réfugié aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale est le premier à utiliser cette notion, au sortant de la Deuxième guerre mondiale. Son travail sera repris pour élaborer en 1948 la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies.
Cet emploi du mot génocide affaiblit de mon point de vue la capacité ensuite de la justice à poursuivre éventuellement pour génocide.
Pour le grand public, le génocide signifie la volonté organisée d’anéantir tout un peuple. Mais sa définition en droit international est précise, c’est ”l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial, ethnique ou religieux”, via une “atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale” et la “soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle”.
Le débat est intense entre ceux qui considèrent que cela s’applique à Gaza et d’autres plus réservés sur ce cas de figure. “On comprend pourquoi on se saisit du mot et on le lance dans l’espace public parce qu’il y a un effroi absolument saisissant devant le sort des Gazaouis", considère Vincent Duclert, historien enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales, spécialiste des génocides. “Mais cet emploi du mot génocide affaiblit de mon point de vue la capacité ensuite de la justice à poursuivre éventuellement pour génocide, si c’est le cas”, continue l’expert.
La définition du génocide fait état de trois points qui encadrent cette notion. Il faut commencer par “déterminer qu'il s'agit d'un groupe protégé par la Convention de 1948 : national, ethnique, racial ou religieux”. Il est aussi très important de “déterminer que des actes prohibés par la Convention ont été commis, comme le meurtre, les atteintes à l’intégrité physique et mentale des membres du groupe, la soumission à des conditions d’existence telle que cela va entraîner la disparition du groupe, l’entrave aux grossesses et le transfert d’enfants”. Enfin, "le génocide est déterminé par des actes qui ont été commis dans l'intention de détruire ce groupe”.
Pour ce qui se passe à Gaza, il faut être en mesure de démontrer que le régime israélien et le gouvernement de Netanyahu ont procédé au ciblage d’un groupe.
Si ces trois points distinguent notamment le génocide du crime contre l’humanité, le dernier est le plus important dans le débat actuel, en comparaison avec les génocides les plus connus du XXe siècle. “Cette intention a été prouvée dans le cas du génocide arménien avec l’empire Ottoman, dans le cas du génocide des Juifs en Europe et dans le cas des Tutsis au Rwanda“, rappelle Vincent Duclert. Mais selon le chercheur, faute d’un plan, cette intentionnalité ne s’applique pas à ce stade à Israël. “Pour ce qui se passe à Gaza, il faut être en mesure de démontrer que l'État d'Israël, le régime israélien ou le gouvernement de Netanyahu, ont procédé au ciblage d’un groupe, et ont ensuite répété des actes, visant la destruction, physique, mentale ou intellectuelle de la population”, détaille le chercheur.
Pour Vincent Duclert, il serait "préférable de se concentrer sur les crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés à Gaza" plus facile à "prouver juridiquement que le génocide", d’autant que Netanyahou est poursuivi par la cour pénale internationale pour ces motifs
Le mot avait été lancé en mai dernier devant le Conseil de sécurité de l’ONU par Tom Fletcher, le chef des opérations humanitaires des Nations unies. Amnesty International a publié en décembre 2024 un rapport de 300 pages concluant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza au regard de la Convention de 1948. L’ONG a d’abord recueilli des témoignages et documenté des frappes ou des interventions de l’armée israélienne puis comparé avec le droit et la jurisprudence.
“Si on prend bout à bout l’ensemble de ces éléments, le contexte, un schéma et un caractère systématique des violences, et la nature, l’échelle des dommages causés à la population, on arrive à déterminer une conduite”, estime Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et conflits à Amnesty International. “Cette ligne de conduite, elle s’exprime ainsi : attaques généralisées, directes et répétées sur des cibles civiles, des ordres d'évacuation répétés, arbitraires, trompeurs, il y a la soumission à des conditions d’existence telles qu’elles peuvent entraîner la mort, c’est-à-dire qu’il y a eu une entrave systématique à l'entrée d’aide humanitaire et de produits de première nécessité”, renchérit le militant.
On a documenté 102 déclarations appelant à la destruction de Gaza, de la population gazaouis.
Reste la question de l’intentionnalité de l'État d’Israël. En l’absence d’ordre écrit ou d’un plan prédéterminé, Amnesty International s’appuie notamment sur le contexte préexistant au 7 octobre et les prises de paroles de membres du gouvernement. “On a documenté 102 déclarations appelant à la destruction de Gaza, de la population gazaouis, et on a encore documenté 22 déclarations de ces personnes qui sont en prise directe avec les forces armées sur place, et qui ont une responsabilité particulière”, souligne Aymeric Elluin.
L’ONG estime que depuis plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée, et l'État hébreu ne pouvait pas ignorer les conséquences de ces actions sur la population civile. Le débat sur la qualification de la crise à Gaza est loin d’être conclu. Une tribune collective dans le Monde estimait qu’il y avait de quoi occuper les juristes pour des années.
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