Taxe Zucman : que dit l’Evangile ?
Faut-il davantage taxer les ultra-riches ? En pleine préparation du budget, ce débat devient un sujet majeur de crispation politique depuis quelques jours. En particulier, autour d'une proposition de l'économiste Gabriel Zucman : un impôt minimum de 2 % sur l'actif net des patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Une proposition qui permettrait de récolter 15 à 20 milliards d’euros, en ciblant moins de 2000 foyers fiscaux. Ses détracteurs y voient un impôt confiscatoire. Taxer les riches pour financer le bien commun, est-ce conforme à l’Évangile ? Eléments de réponse avec Pierre de Lauzun, président de l’Association des Economistes Catholiques.
Des manifestants défilent à Paris le jeudi 18 septembre, soutenant la Taxe Zucman. Crédits : Benjamin Girette / Hans Lucas« Donne-nous ton avis : est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ? ». A cette question des pharisiens, qui cherchent à prendre Jésus au piège, la réponse est sans appel. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. ». Pour autant, Pierre de Lauzun rappelle que la question de l’impôt n’est pas étrangère à la tradition chrétienne. « L’Évangile lui-même ne parle pas énormément d’impôt, mais il pose assez clairement la question qu’on doit assumer ce devoir avec la communauté », explique l’économiste.
Un impôt « équitable » ?
Cette responsabilité s’exprime avant tout dans la recherche d’une contribution équitable. « La doctrine sociale de l’Église va dans le même sens, en expliquant que les impôts doivent être à la fois rationnels et équitable », avance Pierre de Lauzun. « L’Eglise a toujours soutenu qu'il fallait payer ses impôts », détaille-t-il.
Un devoir collectif qui implique, selon lui, de faire contribuer davantage ceux qui en ont les moyens. : « Le principe de faire payer des gens en fonction de leur faculté, qui est le principe posé par la loi en France, est un principe qui me paraît tout à fait conforme à l'enseignement de l'Église. », souligne Pierre de Lauzun. « Alors après, qu'est-ce qu'on appelle équitable ? C'est là la question, évidemment. », conclut l'ancien Directeur général délégué de la Fédération bancaire française.
Principe de propriété ou option préférentielle pour les pauvres ?
Vouloir taxer de façon les ultra riches, n’est-ce pas choisir l’option préférentielle dont parle la doctrine sociale de l'Église ? « Ce n’est pas ce principe que j’invoquerais », nuance Pierre de Lauzun. Le véritable principe enjeu, estime-t-il, est celui de la destination universelle des biens. « L’Église affirme que la propriété est un véritable droit et doit être respectée, ce qui rend difficile un impôt confiscatoire », détaille-t-il. Mais elle y ajoute une réserve essentielle : « C’est le principe de la destination universelle des biens. »
L’Église ne remet pas en cause la propriété privée, même pour les plus riches
« L’Eglise dit aux riches : oui, tu as ces biens, mais tu dois les gérer, les dépenser en ayant en vue le bien commun », souligne Pierre de Lauzun. Ce principe, assez spécifique à la doctrine sociale de l’Église, permet d’interpeller les grandes fortunes lorsqu’elles n’emploient pas leur richesse en faveur de la collectivité. « Quelqu’un de très riche dont on constate que son argent n’est pas utilisé dans le sens du bien commun, on peut lui dire à ce moment-là : attends, il y a un problème ».
Il existe néanmoins des situations où la propriété elle-même peut être remise en cause. « L’exemple classique, ce sont les réformes agraires », explique-t-il. Dans le cas de grands domaines sous-exploités, l’expropriation avec indemnisation peut être justifiée. Mais l’économiste insiste : « Ce n’est pas le simple fait d’avoir des gros moyens. Dans la doctrine sociale, il n’est nulle part prévu que cela soit confisqué. » L’appel au partage reste d’abord une démarche personnelle, inspirée de l’Évangile : « On a régulièrement dans l’Evangile des cas de riches qui vendent et donnent aux pauvres, mais c’est un appel aux riches eux-mêmes. Ce n’est pas une autorité publique qui le fait ».
Les paraboles économiques dans le Nouveau Testament
Pour Pierre de Lauzun, les Évangiles sont traversés de récits qui supposent l’existence de la propriété privée. « Tout l’Évangile est plein de paraboles économiques, et elles n’ont de sens que parce qu’il y a une propriété », souligne-t-il. Ainsi, dimanche dernier, la liturgie catholique proposait d’ailleurs un texte surprenant : la parabole de l’intendant malhonnête. Un gérant congédié pour mauvaise gestion efface une partie des dettes des débiteurs de son maître, et reçoit finalement ses félicitations. Le maitre loue son « habileté ». Une histoire déroutante pour les fidèles, admet l’économiste : « Beaucoup de prédicateurs n’aiment pas ce passage, parce que ce n’est pas facile à expliquer en chaire. »
Mais le sens profond est ailleurs. « On ne dit pas qu’il faut faire comme lui, car il a volé, et c’est bien la parabole de l’intendant malhonnête. Mais son maître constate qu’il a été habile. Alors, vous les honnêtes gens, soyez au moins aussi intelligents que lui ! » Ce que Jésus invite à comprendre, selon Pierre de Lauzun, c’est l’usage que chacun fait de l’argent. « On retombe sur la destination universelle des biens : qu’est-ce que tu en fais de cet argent ? Voilà une question essentielle, au cœur de l’Évangile. »
La responsabilité individuelle des ultra-riches
Le débat autour de la « taxe Zucman » met en lumière une interrogation fondamentale : qu’est-ce que les plus fortunés font de leur argent ? Pour Pierre de Lauzun, la question se pose sur deux plans. « Certains estiment qu’il ne devrait pas y avoir de gens ayant des moyens considérables. C’est un premier débat. Mais il y a aussi ceux qui se disent : ils ont des moyens énormes, pourquoi ne les utilisent-ils pas dans le sens du bien ? ». C’est cette seconde interrogation qui est « légitime » pour les chrétiens. Elle s’adresse directement aux personnes concernées. « Est-ce qu’ils donnent, par exemple ? Comment ils gèrent les entreprises qu’ils détiennent ? Est-ce qu’elles sont contributives au bien commun ? », détaille l’économiste.
Tout dépend ensuite de l’usage concret de cette richesse : « Il y a ceux qui vont créer une grande fondation avec une activité humanitaire significative, et puis celui qui cagnotte ou finance des causes plus ou moins discutables. Ce n’est pas du tout la même chose. » Le message de l’Église est alors clair, conclut l’économiste : « Ce n’est pas parce que tu as gagné ton argent légalement que tu en fais ce que tu veux. Oui, il est à toi. Mais il est à toi pour que tu réfléchisses à ce que tu en fais dans le sens du bien commun. » Une responsabilité qui place chacun face à sa conscience.


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