Aymeric Christensen | Derrière l’important, garder à l’esprit l’essentiel
LE POINT DE VUE D'AYMERIC CHRISTENSEN - En attendant la nomination du gouvernement Lecornu, qui prend son temps, une certaine lassitude semble gagner la France vis-à-vis de sa vie politique. Et si, finalement, ce n’était pas si grave ?
Aymeric Christensen, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire La Vie. Crédits : DRLa vie politique française devient-elle un prétexte pour revenir à l’essentiel ? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça fait 15 jours qu’on n’a plus en France de gouvernement. Et surtout, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais à peu près tout le monde s’en fiche.
Attente, ou indifférence ?
C’est fou, tout de même : l’an dernier, il y avait une vraie curiosité sur la forme que pourrait prendre le gouvernement Barnier… (Oui, je rappelle que Michel Barnier était Premier ministre l’année dernière…) Mais maintenant, rien. Sébastien Lecornu a dit qu’il voulait prendre le temps, définir un projet avant de choisir des personnes, et tout le monde semble répondre : ok, super, peu importe.
Alors, bien sûr, c’est ennuyeux pour le budget qu’il faudra bien voter à un moment, mais en attendant, les affaires courantes tournent, l’automne avance et la France a même réussi à reconnaître enfin la Palestine…
De la politique à la gelée de mûre
Ce qui en temps normal nous agite beaucoup dans la politique ne serait, finalement, pas essentiel ? En tout cas, c’est l’occasion de réfléchir à ces pans du débat public dans lesquels nous mettons beaucoup d’énergie, de passion ou d’espoir. Et, par ricochet, à ces choses apparemment inutiles, ou secondaires, qu’on ne sait plus considérer à leur juste valeur.
Alors, je vais vous parler de gelée de mûre, puisque je vous avais promis de le faire en début de saison ! Car la gelée de mûre que j’ai étalée sur ma tartine ce matin, elle est l’aboutissement de plein de petits gestes, de mini-disponibilités et de micro-compétences qui trouvent tout leur sens dans le réconfort qu’elle apporte quand on plonge enfin une cuillère dans le pot.
C’est exactement le genre de toute petite compétence apparemment inutile qui changera ensuite la journée de plusieurs personnes
Il faut connaître les bons coins – là où les mûres sont les plus juteuses et parfumées –, le bon moment pour y aller, prendre le temps de le faire, baie après baie, en les disputant aux ronces et à quelques frelons. Et ensuite, il faut extraire le jus, avoir la patience des deux cuissons, avec juste la bonne dose de sucre, puis maîtriser la mise en pot. Rien de sorcier, rien de très technique, c’est à la portée de tout le monde… mais c’est exactement le genre de toute petite compétence apparemment inutile qui changera ensuite la journée de plusieurs personnes, le temps d’un petit déjeuner.
Dieu se révèle dans "le murmure d'une brise légère"
Parce que ces petites aptitudes qu’on se transmet souvent en famille ou entre amis, elles sont inutiles aux yeux sérieux de la société, mais au bout du compte elles ont peut-être plus de poids que bien des « valeurs » après lesquelles on court. Apprendre à son enfant à plier un bel avion en papier ou à siffler avec une feuille d’arbre, à pêcher des crevettes et à cuisiner la galette d’une grand-mère qu’il n’a même pas connue, ce sont des choses qui le marqueront plus que des leçons de géopolitique ou d’économie, ou de savoir que Michel Barnier, François Bayrou et quelques autres ont été Premiers ministres.
Dire ça, ce n’est pas dénigrer les affaires importantes de ce monde, mais se rappeler que les joies les plus essentielles, les plaisirs les plus durables et, au fond, ce qui nourrit le mieux nos relations humaines, ce n’est pas toujours ce qui occupe le plus nos pensées et nos discussions. C’est dommage, car même Dieu n’est pas dans les tempêtes mais dans le souffle d’une brise légère.
Et en parlant de brise, qui demandera aux ministres du futur gouvernement s’ils savent faire des avions en papier qui volent loin ?




