En France, les mathématiques traînent une mauvaise réputation. Jugées trop complexes, élitistes ou déconnectées du réel, elles suscitent chez beaucoup d’élèves - et même d’adultes - un mélange de crainte, de découragement, voire de rejet. Face à la baisse du niveau général et à la désaffection pour les filières scientifiques, comment redonner confiance et envie aux Français ? Faut-il repenser la manière dont on enseigne les maths ? Une émission Je pense donc j'agis présentée par Melchior Gormand.
“Dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés”. Cette phrase et ses différents facteurs, hantent les rêves de certains, rappellent de bons souvenirs à d’autres. Dans les deux cas énoncés, la relation que les Français entretiennent avec les mathématiques paraît complexe.
L’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) accorde à la France la place de mauvaise élève en la matière. Pour le niveau CM1, elle se situait, en 2023, sous la moyenne des pays membres de l’organisation. Cette dernière estime qu’un adulte français sur quatre ne maîtrise pas les compétences de base. Pourtant, aimer les mathématiques n’est pas un non sens, et tous utilisent la matière au quotidien, souvent inconsciemment.
“J’ai eu des grands moments de solitudes au tableau”. Delphine, 40 ans, le baccalauréat en poche depuis déjà très longtemps, se rappelle de cet épisode en cours de mathématiques, comme si c’était hier. Sujet : les probabilités. Elle est loin d’être la seule à entretenir une relation compliquée avec les mathématiques. Viviane Pons, mathématicienne, informaticienne et maîtresse de conférence en informatique et en combinatoire à l'Université Paris-Saclay a constaté la même chose dès son collège. “Que ce soit chez mes camarades ou dans mon entourage, je voyais bien qu’il pouvait y avoir un rapport difficile, parfois traumatique, des phrases comme “je ne vais pas y arriver””.
Les mathématiques sont vécues comme une remise en cause
Un rapport traumatisant, auquel la consultation “Aux Maths citoyennes, citoyens!” lancée par le CNRS, est venue répondre. Élise Janvresse, mathématicienne, directrice adjointe scientifique de l'Institut National des Sciences Mathématiques et leurs Interactions (CNRS) est aussi en charge de l'enseignement, de la diffusion et médiation scientifique. Elle estime qu’il était important d’interroger les Français sur leur rapport aux mathématiques, et de prendre la température sur leur volonté de s’y remettre. “Comme il y avait aussi des questions ouvertes dans la consultation, des gens ont pu proposer des idées auxquelles on aurait pas pensé”, ajoute-t-elle.
Le rapport à l'échec est tel que “les mathématiques sont vécues comme une remise en cause : si on y arrive pas, c’est qu’on est trop bête”, souligne Élise Janvresse. Elle ajoute qu’il y a aussi le sentiment que “quand on est bon en mathématiques, c’est inné et donc il n’y a pas besoin de travailler”. Ce constat entendu dans les cours de récréation ou dans les classes, amène à l’idée que “si on n’y arrive pas, on ne persévère pas”. La chercheuse se veut rassurante en rappelant que “l’échec est normal au début, il faut juste être persévérant”.
“Les mathématiques sont efficaces parce qu’elles sont abstraites, c’est la raison d’être. Je vous donne un exemple, dans 2 + 3, les chiffres sont des abstractions, vous ne pouvez pas me montrer 2 et 3. Vous pouvez me montrer deux doigts, vous pouvez me montrer deux pommes, mais pas le chiffre 2”, explique Robin Jamet. Médiateur scientifique en mathématiques au Palais de la Découverte, il explique ainsi les mathématiques ont une forme abstraite et concrète. “L’abstraction, c’est l'élément qui nous permet de dire que 2+3=5”, continue-t-il. Ainsi démontrée, la forme abstraite se concrétise avec la mise en application.
Ce n’est pas la question “à quoi ça sert ?” qui intéresse les gens, c’est la question “à quoi ça me sert ?"
Démontrer l’application des mathématiques, c’est aussi l'utiliser dans le quotidien. “Ce n’est pas la question “à quoi ça sert ?” qui intéresse les gens, c’est la question “à quoi ça me sert ?””, rappelle Robin Jamet. Le médiateur scientifique réplique que, “d’abord, ça sert à apprendre à raisonner”. “On peut voir des mathématiques partout, et elles peuvent nous aider à voir des choses partout”, rapporte-t-il. Le langage des chiffres, de véritables lunettes à vision augmentée, permet de lire le monde d’une autre manière. Il ajoute aussi que cet apprentissage permet de discerner ce qu’est “un argument valide, un argument non-valide”, avec les notions de condition nécessaire et condition suffisante. “Si on veut résoudre le problème du chômage, il est nécessaire de prendre telle mesure”, une phrase d’un responsable politique que Robin Jamet aime prendre en exemple. “Même si cette personne à raison, ça ne veut pas dire que si on prend cette mesure, il n’y aura plus de chômage. Ça veut simplement dire que si on ne le fait pas, il y aura encore du chômage”, une explication du concept de nécessité, ô combien mathématique, selon lui.
On peut voir des mathématiques partout, et elles peuvent nous aider à voir des choses partout
“Comprendre un graphique, comprendre des données chiffrées qui sont données dans les médias, celles pour bricoler quand vous calculer des surfaces et des volumes, dans la cuisine pour les proportions”, Elise Janvresse énumère ces mathématiques appliquées au quotidien. Il s’agit d’une matière qui, selon elle, “devrait faire partie de la culture générale”, au même titre que l’histoire et la géographie.
S'il s’agit que d’une matière scolaire, Delphine est convaincue qu’il y a “des mathématiques dans la langue française, dans la danse, dans l’art, et qu’en fait il y a plusieurs langages qui s'entremêlent”. À ce titre, Viviane Pons affirme son désaccord face à l'opposition entre les sciences et la littérature. “J’aime la poésie, je fais de la danse, je fais de la musique, et il y a des chiffres dans tous ces éléments”. Elle continue : “j’irais même dans l’autre sens, il y a de l’art dans les mathématiques, il y a de l’imagination, de la créativité”. La mathématicienne rappelle que “tout le monde peut faire des mathématiques”, estimant, elle aussi, que personne n’a une propension plus importante à cette pratique.
Il y a beaucoup de gens qui partent du principe que l’on a un cerveau soit scientifique soit littéraire. A priori ça n’a aucun sens
“La pire phrase est “Je suis littéraire”. Je la prends comme : “ne me parle pas, ce n’est même pas la peine, je ne comprendrais pas””, s'offusque Robin Jamet. “Je ne vois pas le soi-disant lien entre être littéraire et ne pas pouvoir faire de mathématiques”, continue-t-il. Celui qui est aussi auteur, estime que l’un n'est pas antinomique de l’autre. Sans doute lié à la perception des filières au lycée, “il y a beaucoup de gens qui partent du principe que l’on a un cerveau soit scientifique soit littéraire. A priori ça n’a aucun sens”. Robin Jamet considère qu’il existe un blocage mental pour certain, par lequel “à partir du moment où on est convaincu qu’on ne peut pas y arriver, effectivement on n'y arrive pas”. Dans cette logique, l’apprentissage des mathématiques semble conditionné à la Loi de Murphy.
Les élèves, lorsqu’ils apprennent à faire des mathématiques, se heurtent aussi aux explications. Dans le cadre de la consultation réalisée par le CNRS, Elise Janvresse prend l’exemple d’un enseignant l’ayant contacté. “Sentant le besoin des parents de comprendre les sujets qu’il abordait en classe, et pour pouvoir les expliquer à leurs enfants, il propose une heure de son cours par semaine aux parents.” Une initiative qui permet d’apporter d’autres démonstrations à présenter à la maison aux enfants, selon la chercheuse.
À partir du moment où on est convaincu qu’on ne peut pas y arriver, effectivement on n'y arrive pas
Si la cause des chiffres se défend avant tout à l’école, la suppression des mathématiques du tronc commun au lycée en 2019, rétabli en 2023, a été vécue comme une hérésie pour l’ensemble des spécialistes. “Après l’annonce de la réforme du lycée, beaucoup de mathématiciens se sont penchés sur la question, ont dit qu’il ne fallait surtout pas faire ça, ont listé les conséquences. La conclusion, c’est qu’il s’est passé exactement ce qu’ils avaient prévu” : une perte flagrante du niveau des élèves, constate Robin Jamet. Autre conséquence, coûteuses à la filière, la faible présence de femmes. Le désintérêt du public pour la matière pourrait fortement compliquer l’avenir du secteur.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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