Ces personnalités illustres et oubliées de la IIIe République
Des grands noms de la IIIe République, on retient ceux d'Hugo, de Zola, de Thiers ou de Jaurès. Mais il y en a aussi des moins connus au destin pourtant singulier, comme Louis Rossel ou Hubertine Auclert. L'historien Michel Winock retrace quelques-unes de ces fascinantes trajectoires individuelles.
Louis Rossel fait partie de ces personnalités oubliées de la IIIe République, au destin pourtant remarquable ©wikimédia commonsUn grand nombre de ceux qui ont édifié la république dans la France du XIXe siècle sont aujourd’hui méconnus. Qui sont ces grands hommes et ces grandes femmes à qui l’on doit les vrais débuts du socialisme, les passions nationalistes, l’essor du féminisme, les grandes découvertes de la science, les heures glorieuses des arts et des lettres... ? Pour son dernier ouvrage, l’historien Michel Winock, spécialiste de l’histoire politique de la France du XIXe siècle, professeur émérite à Sciences Po Paris, a choisi de s’intéresser à des trajectoires individuelles, avec un angle original. Son ouvrage, "Pompes funèbres - Les morts illustres, 1871-1914" (éd. Perrin, 2024), s’intéresse à ces grands hommes et grandes femmes à partir de leurs funérailles.
Ces funérailles qui ont été des moments politiques
"Au XIXe siècle, et jusqu’en 1914, les funérailles c’est quelque chose de grandiose, explique Michel Winock. En plus il y a un décorum, une théâtralisation de la mort." Il faut imaginer ce qu’ont pu être alors ces cortèges extraordinaires avec des dizaines de milliers de spectateurs – ils étaient deux millions aux funérailles de Victor Hugo.
George Sand, Thiers, Jules Ferry, Hugo, Pasteur, Jaurès ou Péguy, Zola, Louise Michel, mais aussi Louis Rossel ou Hubertine Auclert pour les moins connus, ont été applaudis, vénérés, honorés, ou bien détestés puis ignorés. Les vingt personnes dont Michel Winock a analysé les funérailles sont décédées entre 1871 et 1914. La moitié ont eu droit à des funérailles nationales - une panthéonisation pour Victor Hugo en 1885, Émile Zola en 1908, Jean Jaurès en 1924.
Pour ces personnalités qui ont joué un rôle sous la IIIe République, les funérailles ont été de véritables moments politiques. Des "manifestations", comme l’analyse Michel Winock : "Soit une manifestation de ferveur soit une manifestation politique, où l’on s’affronte avec des mots et parfois même avec des gestes."
Louis Rossel, l’officier communard, "qui fait penser au général de Gaulle"
Louis Rossel (1844-1871), personnalité méconnue mais d’autant plus intéressante aux yeux de Michel Winock, a mené une vie exceptionnelle. Officier de l’armée d’origine protestante, il a vécu le siège de Metz au cours de la guerre de 1870 puis il est passé à la Commune. Or, ce n’était "pas un du tout homme d’extrême gauche", précise Michel Winock. Il était "un républicain, ce qui à l’époque le plaçait à gauche mais ce n’était pas un militant politique comme la plupart de ceux qui ont fait la Commune".
Comment expliquer que cet officier de l’armée ait pu rejoindre les communards ? La raison, c’est "la reddition, et, on peut le dire, la trahison du maréchal Bazaine, qui va livrer aux Prussiens une armée de plus de 100.000 soldats", nous dit l’historien. Le geste du "traître de Metz", comme il a été surnommé, a "constitué une des raisons de la défaite française dans cette guerre franco-prussienne".
Deux mois et demi plus tard, quand a éclaté la Commune, ce n’était "pas sans lien avec la guerre". Une partie de Paris en effet a souhaité se rebeller contre ceux qui avaient signé la capitulation. La lettre de démission de Louis Rossel, le lendemain du 18 mars (premier jour de la Commune de Paris), adresse ces mots au ministre de la Guerre : "Depuis hier, il y a deux camps en France, je me rang dans celui qui ne compte pas dans ses rangs de généraux traîtres à la patrie."
Louis Rossel a "complétement adhéré" à la Commune mais il a été dénoncé, arrêté et condamné à mort. Pourquoi est-il aujourd’hui méconnu ? "Comme il n’était pas exactement un communard je dirais labélisé, la mémoire de la Commune n’a pas exalté son histoire. Ce ne sont pas les adversaires de la Commune qui l’ont glorifié", ajoute Michel Winock. L’historien précise que certaines, en particulier parmi les protestants entendent le réhabiliter. "C’est une figure qui, j’essaie de le montrer, par un certain nombre d’aspects, fait penser au général de Gaulle : comme lui, stratège politique, comme lui, il refuse l’amnistie, comme lui, condamné à mort. Même dans la personnalité de l’individu il fait penser à ce que pourra être le général de Gaulle."
Hubertine Auclert, celle qui inventa le féminisme
On peut dire du XIXe siècle qu’il était assez largement misogyne, admet Michel Winock. "Antiféministe en tout cas. N’oublions pas que les femmes n’avaient pas ne droit de vote, et n’étaient pas éligibles." Considérées comme des mineurs, sur le plan juridiques, les femmes ont été victimes, d’une "alliance contre leur émancipation", "à gauche comme à droite".
Et si "la Révolution et les révolutions qui vont suivre" n’ont jamais accordé le droit de vote aux femmes, c’est, selon Michel Winock, "parce qu’il y avait cette idée philosophique que la nature avait créé un complément de nature et de fonction entre l’homme et la femme. L’homme était le défenseur du foyer, celui qui faisait vivre le foyer, qui avait une expérience, une activité extérieure. La femme était la responsable de la domus, de la maison, de la famille."
Ajoutée à cela l’idée répandue chez les républicains, que les femmes étant "beaucoup plus pratiquantes que les hommes", et qu'elles étaient donc "sous l’influence de leur confesseur qui votait à droite, qui était antirépublicain".
Dans ce contexte, le combat d’Hubertine Auclert (1848-1914) semble d’autant plus remarquable. Elle qui, dans les années 1880, a créé le mot féminisme, nous dit Michel Winock, avait une compréhension très nette de la question du droit de vote. "Toute sa vie, elle a milité en faveur de ce droit de vote parce que, disait-elle, c’est la clé. C’est à partir du moment où les femmes accéderont à ce droit de vote qu’elles pourront devenir les égales des hommes."
Parmi ses nombreuses actions militantes, Hubertine Auclert organisait "des commandos qui entraient dans les mairies au moment des mariages. Parce qu’au moment des mariages ont lit la partie du code civil du concerne le couple et naturellement on y lit la minoration de la femme qui doit obéir à l’homme, le chef de famille, etc. Elle fait irruption et crie au scandale !"
Le XIXe siècle a donné naissance à plusieurs courant féministes. Chez George Sand par exemple, autre grande figure féministe de l’époque, le combat était centré sur l’égalité des droits pour "que la femme ne soit pas sous la tutelle du conjoint".


L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.




