L'année 2025 marque le 150e anniversaire de la mort de Dom Guéranger, grand refondateur de l’Abbaye de Solesmes, mais aussi restaurateur du chant grégorien en France. Un chant liturgique de l’Église catholique romaine, monodique, a capella et composé de versets de la Bible en version latine. Qu’est-ce que le chant grégorien ? A-t-il encore sa place aujourd'hui dans nos églises ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Véronique Alzieu et Melchior Gormand.
Dans l’imaginaire collectif, le chant grégorien est le chant des monastères et des églises. Mais de nos jours, en France, il n'est plus chanté que dans quelques monastères lors des offices religieux.
Au contraire, d'autres ont opté pour une liturgie en français et une psalmodie à plusieurs voix. Or, le chant grégorien reste une forme d'expression spirituelle irremplaçable, avec ses sonorités uniques et son atmosphère incomparable.
Le chant grégorien doit sa beauté à sa manière particulière d’être interprété. Il utilise le plain-chant avec donc une seule ligne mélodique sans harmonie ou accompagnement instrumental.
Un art que pratique Philippe Lenoble, directeur du chœur grégorien du Mans depuis 1980 et ancien maître de chapelle de la Cathédrale Saint Julien-du-Mans. "Le chant grégorien, c'est le chant de l’âme", exprime-t-il.
Il touche l’âme, selon le spécialiste, à travers son atmosphère particulière mais aussi ses textes tirés de la Bible. "La psalmodie est première dans le chant grégorien", explique-t-il. Il permet d’exprimer les sentiments religieux au cœur des psaumes.
Pour le père Jacques-Marie Guilmard, moine de l'Abbaye de Solesmes et spécialiste du chant grégorien, "le chant est un résumé de tous les sentiments religieux et les prières des hommes et des femmes". Par ses huit tons, il s’adapte aux 150 psaumes de David, ce qui lui permet de toucher "toutes les âmes", comme celle d'Yves, un auditeur de l’émission, qui trouve un réconfort lors de ses écoutes de chant grégorien : "Pendant ce temps-là, je me mets à prier et à parler à Dieu".
Le chant est un résumé de tous les sentiments religieux
Un effet apaisant de pureté. Par son côté unique, le chant grégorien donne une importance à l'interprétation. "Il se trouve plus dans la voix que dans la lecture", rapporte Philippe Lenoble. Il est qualifié de chant nouveau et passe d’une version écrite sur papier à une version quantifiée quand il est chanté, ce qui lui donne un dynamisme.
Son rythme libre ainsi que sa faculté à toucher l’âme laisse la place à l’introspection. "L’art du chant grégorien, c’est d’avoir hiérarchisé la messe et la liturgie, la difficulté est hiérarchisée", souligne Philippe Lenoble, qui précise que la difficulté de l’exercice peut effrayer même si cette pratique reste accessible. Une activité pratiquée par Pierre-Marc, auditeur de l’émission : "Dans le chant grégorien, il y a une rythmique permanente, il faut beaucoup de travail. Mais le résultat est assez extraordinaire”.
Cette forme d’expression spirituelle arrive en Gaule au milieu du VIIIe siècle sous Pépin le Bref qui adopte la liturgie romaine. Mais c’est au IXe siècle grâce à Charlemagne et aux monastères que le chant grégorien connaît un véritable essor.
Ils vont fixer les canons de cette musique aux interprétations diverses jusque-là. "Au départ, pour Charlemagne, c’est vraiment une décision religieuse", raconte le père Jacques-Marie Guilmard. Cette diffusion à travers l’empire carolingien permet d’unifier le pays par la force de la musique.
L'appellation "chant grégorien" vient de la légende rattachée au pape Grégoire le Grand, qui l’estime compositeur de ce chant et fondateur de la schola grégorienne.
Au départ, pour Charlemagne, c’est vraiment une décision religieuse
Cet art perdra de la vigueur à la fin de l’époque médiévale avec l'arrivée de la polyphonie. Il est écarté par la Renaissance et le Protestantisme. Le chant grégorien est alors dénaturé par la volonté de différents effets musicaux et rentrera donc dans une période de déclin.
Ce savoir-faire doit sa restauration à Dom Prosper Guéranger. Dès 1862, le grand refondateur de l’Abbaye de Solesmes décide de lancer ses disciplines à la recherche des chants liturgiques de l’Église. Ce travail de restauration permet de réaliser une composition de manuscrits afin de retrouver les mélodies et la manière la plus authentique de chanter les psaumes.
"Dom Guéranger veut retrouver le rythme libre et solliciter l’âme", témoigne Philippe Lenoble. Le chant grégorien a subi divers essais de restauration dès le début du XVIIe siècle mais "c’est Dom Guéranger qui a donné une impulsion importante qui a fonctionné, c'est pour cela qu’on dit de lui que c’est le restaurateur", révèle le père Jacques-Marie Guilmard.
C'est en 1962 que le chant grégorien devient, par le concile Vatican II, le chant officiel de la liturgie romaine, ce qui lui donne une importance spirituelle et une place centrale. Toutefois, l'abandon progressif de la langue latine, qui est au centre du chant grégorien, pose la question de la compréhension des textes.
De nos jours, les messes sont majoritairement célébrées en langues nationales. Mais pour le père Jacques-Marie Guilmard, "le latin a une grande richesse et spiritualité".
Le latin n’est pas un obstacle mais une qualité extatique et mystique
Le climat mystique ressenti dans ces chants vient directement de la langue latine. "Avec le latin, on chante avec plaisir les voyelles, ce qu’on ne peut pas faire en français. Le chant est plus mystérieux en latin", explique Philippe Lenoble.
Faut-il donc retrouver le latin dans les offices religieux ? Selon le père Jacques-Marie Guilmard, "le latin n’est pas un obstacle mais une qualité extatique et mystique". Il défend l’idée qu’il faut retrouver le latin mais pas pour tout. Le français reste nécessaire pour la compréhension des textes, les lectures et pour la prière universelle. Cependant le latin introduit une vigueur qui est importante pour les psaumes. "Il faut un équilibre entre le français et le latin", confie Jacques-Marie Guilmard.
Un vrai patrimoine français, dont l’abandon a inquiété l’État dès les années 1980, qui en a organisé des stages de chants. Cet art est encore prisé par les jeunes qui "recherchent ce climat amené par le chant grégorien et la langue latine pour pallier le climat mondial qui n’est pas agréable", justifie Philippe Lenoble.
Des dispositifs sont mis en place pour transmettre ce savoir-faire comme des rencontres grégoriennes en France, ou des cours de chants. "Il faut le rendre abordable à tout le monde ! C’est à nous de remonter nos manches et de faire aimer le chant grégorien", affirme le moine de l'abbaye de Solesmes.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
Intervenez en direct au 04 72 38 20 23, dans le groupe Facebook Je pense donc j'agis ou écrivez à direct@rcf.fr
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