L'espadrille : de soulier paysan à icône de la mode estivale française

Associée à la détente, au soleil et à un style décontracté, l'espadrille continue de séduire chaque été, en France comme ailleurs. Ce soulier, à la fois ancien et moderne, populaire et chic, illustre parfaitement l'évolution du vêtement dans le temps, tel que le décrit Denis Bruna dans son ouvrage Petites histoires de nos vêtements, publié aux éditions Textuel en 2024.

Des racines anciennes : l'espadrille, une chaussure millénaire

Simple, légère, fabriquée à partir de toile et de corde tressée, l'espadrille trouve son origine dans les régions pyrénéennes, notamment en Catalogne et au Pays basque, dès le XIIIe siècle. Pourtant, son histoire remonte bien plus loin. Comme le souligne Denis Bruna, historien du vêtement et conservateur en chef au Département Mode et Textile du Musée des Arts Décoratifs de Paris, "l'espadrille est sans aucun doute, avec la sandale et la tong, l'une des plus vieilles chaussures de notre histoire". Il précise qu'on en retrouve des formes proches dans l'Égypte antique, la Grèce et Rome.

Destinée aux paysans, artisans et ouvriers, cette chaussure était conçue pour être pratique, souple et respirante, parfaitement adaptée au travail en extérieur dans un climat chaud. "C'est une chaussure populaire, portée par les gens qui travaillent", explique Denis Bruna. "Contrairement aux chaussures de l'aristocratie, à talons ou à boucles, l'espadrille est plate, confortable et absorbe l'humidité."

Une chaussure de vacances : du travail aux loisirs

Dès la fin du XIXe siècle, l'espadrille entame sa transition sociale. Utilisée initialement par les classes populaires, elle devient peu à peu un accessoire de loisir. "Dès les années 1880, la bourgeoisie découvre les bains de mer. Pour éviter de salir les pieds dans le sable, les femmes commencent à porter des espadrilles", retrace Denis Bruna. Pendant la Première Guerre mondiale, les espadrilles sont également distribuées aux soldats pendant leurs temps de repos, contribuant à leur diffusion hors des cercles ruraux. 

Mais c'est dans les années 1930, avec l'arrivée des congés payés, que la chaussure devient véritablement un symbole des vacances françaises. Denis Bruna évoque une période charnière : "La grande époque de l'espadrille, ce sont les années 1930 à 1970. C'est à ce moment qu'elle passe des pêcheurs et travailleurs aux artistes et vacanciers." Des figures emblématiques comme Salvador Dalí ou Gabrielle Chanel adoptent l'espadrille. Cette dernière est souvent photographiée en espadrilles à Biarritz ou en Provence, contribuant à en faire un vêtement de style autant que de confort.

Une renaissance mode : l'espadrille sur les podiums 

Dans les années 1970, Yves Saint-Laurent redonne un coup d'éclat à l'espadrille en collaborant avec la maison Castañer, fabricant catalan d'espadrilles traditionnelles. Ensemble, ils créent une version à talon compensé, qui marque l'entrée de la chaussure dans le monde de la haute couture. "Saint-Laurent recherchait une espadrille avec un talon. Castañer a conçu pour lui une version haute en corde tressée, devenue iconique", explique Denis Bruna.

Depuis les années 2000, l'espadrille connaît un véritable renouveau, portée par des marques de luxe comme Chanel, Chloé, Hermès, ou encore Lanvin, qui intègrent ce soulier ancestral dans leurs collections estivales. Pour Denis Bruna, cette évolution témoigne de son statut particulier dans l'histoire vestimentaire : "Comme le bikini ou les tongs, l'espadrille fait partie des classiques de la mode. Elle traverse les siècles, revient au gré des tendances, et s'ancre dans l'imaginaire collectif comme la chaussure emblématique des vacances."

Que ce soit sur les plages de la Méditerranée, dans les rues de Paris ou les podiums des grandes maisons de mode, l'espadrille reste une valeur sûre, authentique, pratique, et profondément enracinée dans l'histoire culturelle française.