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Ces grands avocats qui ont défendu la république française

Ces grands avocats qui ont défendu la république française

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 16 décembre 2025 - Modifié le 16 décembre 2025
Les Racines du présentComment les avocats ont marqué l'histoire politique de la France

Avons encore conscience des "vertus" de la république, et de ce qu'elle procure aux citoyens, comme l’équilibre des pouvoirs ou les libertés publiques ? Pour que nous puissions aujourd'hui jouir de nos droits de citoyens, des avocats se sont battus. François Robert, Léon Gambetta, Alexandre Ledru-Rollin... Ces "as du barreau" ont mis leur talent oratoire au service de la république.

Alexandre Ledru-Rollin aura été "le grand avocat" du suffrage universel masculin ©wikimedia commonsAlexandre Ledru-Rollin aura été "le grand avocat" du suffrage universel masculin ©wikimedia commons

Et si nous vivions un moment de "fatigue démocratique" ? Vu la façon dont plusieurs démocraties occidentales se jettent "à corps perdu dans des modèles alternatifs" - ceux que proposent Trump, Giorgia Meloni ou Viktor Orban - il y a de quoi se demander si nous avons encore conscience des "vertus" de la république, et de ce qu'elle procure aux citoyens, comme l’équilibre des pouvoirs ou les libertés publiques. Ce constat alarmant est celui de l'historien Jean Garrigues, spécialiste de l’histoire politique de la France.

Or, justement, au cours de notre histoire, des orateurs talentueux, avocats pour la plupart, ont défendu la république : François Robert, Ledru-Rollin, Gambetta, Jules Ferry, mais aussi Pierre Waldeck-Rousseau, Pierre Cot, Jean Zay, Aristide Briand, Léon Blum, Pierre Mendes-France, Gaston Monnerville, Paul Reynaud, Robert Badinter ou Gisèle Halimi - la seule femme de la liste établie par Jean Garrigues dans "Les Avocats de la République - Ceux qui l'ont construite, ceux qui la défendent" (éd. Odile Jacob, 2025).

Redécouvrir ou même découvrir ce que ces "as du barreau", véritables "maîtres de la rhétorique", ont défendu pour construire et défendre la république, c'est prendre conscience de ce qu'est le régime dans lequel on vit - si imparfait soit-il. Qu’ont-ils eu à défendre ? Quelles tentations de la vie politique française révèlent leur parcours et leurs combats ? "Il fallait qu’ils rencontrent un moment de tensions extrêmes de l’histoire républicaine, de manière à ce que par leur discours, ils puissent soit illustrer soit cristalliser soit défendre cette république en tension ou en danger."

François Robert : son combat pour la séparation des pouvoirs face à la tentation de la violence

Figure ignorée de la Révolution française et avocat talentueux mais méconnu, François Robert (1763-1826) s'est trouvé à Paris un peu par hasard vers 1789 et s’est "enflammé pour cette révolution". Dès lors, il a eu pour objectif "d’anéantir ces deux piliers de l’Ancien Régime qui étaient l’inviolabilité et l’hérédité", écrit Jean Garrigues.

En mai 1789, la France allait basculer vers une monarchie constitutionnelle. C'était le sens de "la première constitution de 1791, qui était monarchique". Mais François Robert, lui, voulait aller plus loin. "Il considérait que le pouvoir absolu et la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul homme était quelque chose de néfaste." Il a donc défendu l’idée d’un contrepouvoir et d’un système politique dans lequel le pouvoir absolu aux mains d'un seul serait impossible.

Moins connu que Danton ou Robespierre, il a plaidé devant eux au club des Jacobins. Son journal le Mercure national, donne une idée de la façon dont son idée républicaine est peu à peu apparue. Il était visiblement obsédé par c’est la séparation des pouvoirs et la nécessité de combattre tout pouvoir personnel.

François Robert "va être entraîné dans la spirale de la Révolution et de la Terreur à partir de 1793". Or, la Terreur, c’est le retour du pouvoir personnel et de l’arbitraire. "Là, on voit un François Robert complètement dépassé par les événements parce que précisément on est entrés dans une phase de concentration des pouvoirs, de dictature…" 

Ce grand défenseur de la séparation des pouvoirs - dont "le dernier acte politique majeur", précise Jean Garrigues est d’avoir voté la mort du roi - a fini écarté de la Révolution, "par ceux précisément qui au fond ne la respectent plus et bafouent la République". On lit à travers son combat cette tentation de la violence comme une constante de notre vie politique française.

 

Ledru-Rollin : son combat pour le suffrage universel masculin face à la tentation de l’homme providentiel

Napoléon Bonaparte d'abord Premier consul puis empereur et à sa suite Napoléon III, l'un et l'autre sont emblématique de ce qui est une spécificité aux yeux de Jean Garrigues : la tentation de l’homme providentiel. En témoigne également "l'idolâtrie qui s’est cristallisée sur un Gambetta, au moment de la IIIe République, sur un Clémenceau au moment de la Première Guerre mondiale". Jean Garrigues décrit même une forme de "culte laïc, républicain, des figures adulées".

Cette tentation de l’homme providentiel va s’exprimer de manière éclatante en 1948. La première élection présidentielle de notre histoire doit beaucoup au combat d’Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874). Avec ses qualités d’orateur et de tribun, il aura été "le grand avocat" du suffrage universel masculin. Ce qui à l’époque a représenté "une véritable révolution" - il était jusque-là censitaire et en ce qui concerne les femmes, il faudra attendre un siècle leur pour accorder le droit de vote.

Sous la monarchie de juillet, Ledru-Rollin a participé à la campagne de banquets. "La liberté d’expression d’existait pas, explique Jean Garrigues, donc on organisait des banquets qui n’étaient pas politiques... mais en fait on y parlait beaucoup politique !" Ledru-Rollin s’y est distingué par son talent oratoire. En décembre 48, la première élection présidentielle française, au suffrage universel masculin, aurait pu être pour lui une victoire presque personnelle. Mais elle a mis au pouvoir un Bonaparte : Louis-Napoléon futur Napoléon III.

 

Léon Gambetta et Jules Ferry, l’unité de la nation et la tentation de l’ordre chrétien

Léon Gambetta (1838-1882), fils d’un immigré italien épicier à Cahors, "a su donner la parole à ces couches sociales nouvelles qui ont structuré la République", décrit Jean Garrigues - couches sociales composées d’avocats, de médecins, de commerçants… Farouche opposant à Napoléon III - il s’était rendu célèbre en défendant des journalistes condamnés par le régime - Gambetta a proclamé la république au balcon de l’Hôtel de ville le 4 septembre 1870. "Il va sillonner la France pendant plusieurs années pour expliquer aux paysans français qui avaient peur de la république, ce qu’elle pouvait leur apporter." Léon Gambetta "a voulu réconcilier peuple et bourgeoisie". 

Il a joué "un rôle majeur face au cléricalisme". Il a popularisé la formule "Le cléricalisme, voilà l’ennemi", qu’il a empruntée au député Alphonse Peyrat pour s’opposer au maréchal de Mac Mahon "qui défendait ordre moral, fondé sur la religion et l’Église". Soit une vision politique du christianisme. Pour Gambetta, "toute la question était dans l’interférence politique de l’Église", précise Jean Garrigues.

"La plupart des pères fondateurs de la république sont souvent des anticléricaux, mais pas tous." Ainsi, Jules Ferry, qui a fait promulguer les décrets contre les congrégations ou l’expulsion des jésuites en 1880, mais aussi la loi sur l’enseignement gratuit laïc obligatoire pour le primaire "ne l’a fait pas par anticléricalisme", assure l’historien. "Son propos n’est pas d’exclure l’Église de la société mais de la séparer de l’école et de l’État et d’obtenir justement à traverse cette séparation une forme d’unité nationale."

De manière paradoxale, on pourrait dire qu’une volonté de fraternité animait Jules Ferry en luttant contre l’Église. "Se débarrasser de l’influence politique culturelle de l’Église dans l’école était le moyen d’unifier la nation, de faire nation. Ça, c’est très important parce que la laïcité, du grec laos, le peuple uni, c’est d’abord et avant tout cette idée de faire une nation unie, commune qui se reconnaît dans les mêmes principes."

N’est-ce pas aussi une façon de lutter contre une autre tentation constante de la vie politique française, le retour à une chrétienté fantasmée ? Ce que Jean Garrigues décrit comme "la nostalgie de l’Ancien Régime, d’une société d’ordre et d’une société où précisément la religion jouait un rôle central dans le quotidien et dans l’organisation socio-politico-culturelle de la France." Cette nostalgie, en un sens a toujours existé. Jean Garrigues note qu’on "la retrouve aujourd’hui à travers un certain nombre de médias qui la portent de manière extrêmement offensive avec une vision particulière de cette nostalgie un peu idéalisée".

Ce qui reste important à retenir du combat d’un Jules Ferry ou d’un Gambetta, c’est que ce n’est pas "un combat contre la liberté de penser, contre la liberté de croire ou d’exercer un culte. Mais contre l’interférence politique de telle ou telle communauté qui peut empêcher justement de souder l’intégralité de la nation."

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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