Accueil
Défendre les "valeurs chrétiennes" de l'Europe : de quoi parle-t-on ?

Défendre les "valeurs chrétiennes" de l'Europe : de quoi parle-t-on ?

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 17 juillet 2025 - Modifié le 20 juillet 2025
Les Racines du présentLes trois sources de l'Europe : le christianisme, le capitalisme et la liberté

Affirmer que tous les êtres humains sont égaux en droit ou que les plus forts ont la responsabilité des plus faibles, c'est, pour la journaliste Géraldine Schwarz, défendre des "valeurs chrétiennes". À l'heure où le devoir de mémoire ne semble plus suffire à susciter l'adhésion en Europe, les valeurs chrétiennes sont-elles un nouveau récit sur lequel s'appuyer ?

"L’identité de l’Europe s’est nouée autour de son rapport à la religion." ©Marie Julliard / Hans lucas"L’identité de l’Europe s’est nouée autour de son rapport à la religion." ©Marie Julliard / Hans lucas

Ce qu'il faut retenir :

  • Avec Trump ou Poutine, "nous faisons face à une nouvelle Weltanschauung, une nouvelle vision du monde" selon la journaliste Géraldine Schwarz
  • Le contexte géopolitique actuel invite à retrouver les fondements de la culture européenne
  • Droit, économie... Les éléments de notre culture que l'on doit au christianisme

"J’ai conscience depuis longtemps que j’ai beaucoup de chance de ne connaître que la liberté, la paix et la démocratie mais que cet héritage est grandement menacé." Ancrée au carrefour de deux cultures, la journaliste franco-allemande Géraldine Schwarz, considère l’Europe une Heimat, un mot qui signifie bien plus qu’une patrie. Elle avait raconté en 2018, dans "Les Amnésiques", l’histoire de sa famille, des Mitläufer, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui comme la majorité à l’époque ont suivi le mouvement avant pendant et après le nazisme. Or, justement pour elle aujourd’hui, pour elle la mémoire ne suffit plus. "La mémoire des souffrances du XXe siècle ne suffit plus à nous fédérer en Europe." Pour "générer une adhésion commune" il faut selon elle "changer le narratif européen". C’est ce qui conduit la journaliste à écrire "D'où nous venons - Ce qui nous unit, ce qui nous divise" (éd. Flammarion, 2024). Pour celle qui écrit que "l’identité de l’Europe s’est nouée autour de son rapport à la religion" , il y a lieu aujourd'hui de défendre les "valeurs" du christianisme qui ont fait l'Europe.

Les "valeurs" du christianisme : de quoi parle-t-on ?

L'idée selon laquelle tous les hommes et toutes les femmes sont égaux, l’ancien président des États-Unis Joe Biden l’a défendue et répétée à plusieurs reprises dans ses discours - discours où il assumait un affrontement direct avec Donald Trump. "Je ne sais pas si nous réalisons le pouvoir d’un tel message", souligne Géraldine Schwarz. Pour elle, "nous faisons face à une nouvelle Weltanschauung, une nouvelle vision du monde". Ma franco-allemande utilise à dessein ce terme de Weltanschauung, utilisé pour caractériser le moteur profond du nazisme. "On peut l’utiliser à nouveau pour décrire la vision du monde de Elon Musk, Poutine, Trump", estime la journaliste. C’est-à-dire un "retour à la loi du plus fort".

Dans ce contexte, les "valeurs du christianisme" sont "extrêmement essentielles à rappeler", pour Géraldine Schwarz : l'idée que tous les Hommes sont créés égaux et ont doit à la même dignité, que servir la paix c’est servir Dieu, que les forts ont la responsabilité des faibles. Certes, "les valeurs fondamentales du Christ ont été malheureusement piétinées et dévoyées tout au long de l’histoire du christianisme". D'où l'importance de "ne pas confondre valeurs chrétiennes et histoire du christianisme"

Le christianisme a influencé la philosophie des Lumières ou l’humanisme. Il a généré le pire comme le meilleur. "C’est ce qui en fait une histoire extrêmement complexe et ambiguë, qu’il est important de séparer de ces valeurs chrétiennes, qui est aujourd’hui ce qu’il faut véritablement mettre en avant." La journaliste rappelle que ces "valeurs" sont "d'origine juive", rappelle la journaliste, "puisque le Christ était juif et n’avait aucunement l’intention de créer une religion mais de réformer le judaïsme".

 

Protestantisme et innovation : quand la religion impacte l’économie

Si aujourd’hui "peu d’Européens se définissent selon leur obédience confessionnelle, observe Géraldine Schwarz, le facteur religieux reste très pertinent pour comprendre nos identités respectives". Et notamment notre rapport à l’économie et à l’innovation. On dit souvent que le capitalisme a pris son essor dans un univers protestant.

En défendant l’Écriture seule, "sola scriptura", Martin Luther, le théologien à l’origine du schisme protestant au XVe siècle, a encouragé la lecture de la Bible. La Réforme a donc accéléré l’alphabétisation de toute une partie de l’Europe. "Dans les pays de culture protestante, l’éducation va s’accélérer beaucoup plus vite, encore aujourd’hui on vérifie qu’on lit plus dans les pays de culture protestante", observe la journaliste.

Ce qui va avoir des répercussions sur l’économie et l’innovation. Géraldine Schwarz rappelle que "dès les XVI, XVIIe siècles, les pays d’obédience protestante vont dominer l’Europe économiquement". Aujourd’hui encore, "selon un index qui mesure le degré d’innovation dans le monde, les dix pays en tête sont pour huit d’entre eux des pays de tradition protestante". 

En fait de "valeurs chrétiennes" à défendre, la journaliste tempère en soulignant que le protestantisme a aussi "encouragé l’individualisme". "L’inconvénient c’est que le fidèle se retrouve isolé, par rapport à l’approche catholique, une approche d’une foi collective, communautaire avec le réconfort du prêtre."

 

L’influence de la religion sur le droit

La présomption d’innocence fait partie des éléments de notre droit pénal "que l’on peut directement relier aux valeurs chrétiennes", estime Géraldine Schwarz. "À partir du moment où il est dit dans la Bible que Dieu a créé l’Homme à son image, on part du principe que l’Homme est bon. De là découle l’idée de présomption d’innocence."

Les idées de pardon et de réconciliation introduites dans le droit sont aussi un héritage du christianisme. On les retrouve par exemple "dans l’idée que le condamné peut se racheter par le biais du repentir, qu’il peut sauver son âme, profiter d’une certaine indulgence de la part des juges". C’est sans doute en raison de l’influence du christianisme que "progressivement après le Moyen Âge, le recours à la peine de mort s’est raréfié".

C’est au nom de l’Évangile que beaucoup se sont mobilisés au XXe siècle en France pour l’abolition de la peine de mort. Et aujourd’hui, comme nous l’apprend la journaliste, la "condition pour intégrer l’Union européenne, c’est d’avoir aboli la peine de mort". 

Enfin, faut-il le rappeler, c’est bien l’Église qui a créé l’État moderne et, paradoxalement, impulsé la sécularisation que nous vivons aujourd’hui. "C’est un grand paradoxe de l’histoire de l’Église chrétienne", observe la journaliste. "En traçant une frontière entre le monde laïc et le clergé, résume la journaliste, par exemple en interdisant le mariage aux clercs… l’Église a ainsi enclenché un processus qui mènera plus tard à la sécularisation."

 

©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Les Racines du présent
©RCF
Découvrir cette émission
Cet article vous a plu ? Partagez-le :

Pour aller plus loin

Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour

Votre Radio vit grâce à vos dons

Nous sommes un média associatif et professionnel.
Pour préserver la qualité de nos programmes et notre indépendance, nous comptons sur la mobilisation  de tous nos auditeurs. Vous aussi participez à son financement !

Faire un don
Qui sommes-nous ?

RCF est créée en 1982, à l'initiative de l'archevêque de Lyon, Monseigneur Decourtray, et du Père Emmanuel Payen. Dès l'origine, RCF porte l'ambition de diffuser un message d'espérance et de proposer au plus grand nombre une lecture chrétienne de la société et de l'actualité.

Forte de 600.000 auditeurs chaque jour, RCF compte désormais 64 radios locales et 270 fréquences en France et en Belgique. Ces 64 radios associatives reconnues d'intérêt général vivent essentiellement des dons de leurs auditeurs.

Information, culture, spiritualité, vie quotidienne : RCF propose un programme grand public, généraliste, de proximité.Le réseau RCF compte 300 salariés et 3.000 bénévoles.