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Histoire de la civilisation française

Histoire de la civilisation française

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 3 octobre 2025 - Modifié le 6 octobre 2025
Les Racines du présentDepuis mille ans, comment s'est construite la civilisation française ?

On parle de plus en plus de la fin de la civilisation française. Le président Emmanuel Macron lui-même a réemployé le terme de "décivilisation". Mais quels en sont les signes ? Et de quoi parle-t-on ? Si elle naît dans le temps long, une civilisation connaît toujours des coups d'accélérateur. Découvrez l'analyse qu'en fait l'historien Jean-François Sirinelli. Il a entrepris de compléter l'ouvrage de référence de Georges Duby et Robert Mandrou, "Histoire de la civilisation française".

Pour l'historien Georges Duby, la civilisation française est née sous la dynastie des Capétiens, qui a donné une structure politique à une société principalement rurale et chrétienne ©Eric Beracassat / Hans LucasPour l'historien Georges Duby, la civilisation française est née sous la dynastie des Capétiens, qui a donné une structure politique à une société principalement rurale et chrétienne ©Eric Beracassat / Hans Lucas

Vivons-nous une phase de "décivilisation", selon le terme du sociologue allemand Norbert Elias (1897-1990) repris par Emmanuel Macron en mai 2023 ? Après la déchirure de la Première Guerre mondiale et les horreurs de la Seconde, le XXe siècle pu représenter en Occident une période d’adoucissement des mœurs. Mais les quatre P - paix, progrès, prospérité et plein emploi - suffisent pour définir une civilisation ? À quel moment la nôtre est-elle née ? La question a de quoi passionner les historiens, tant la notion de civilisation est complexe.

Georges Duby et Robert Mandrou, deux de nos grands historiens français, ont publié en 1958 une magistrale "Histoire de la civilisation française". Près de soixante-dix ans après, l’historien Jean-François Sirinelli, professeur honoraire à Sciences Po Paris, a relevé le défi de compléter ce travail titanesque. Il y ajoute un quatrième chapitre sur la France contemporaine, chapitre qui pourrait constituer un nouveau livre à lui tout seul. Cette "Histoire de la civilisation française - Du Moyen Âge à nos jours" (éd. Bouquins, 2025) désormais écrite à trois voix se lit comme un roman. 

Qu’est-ce qu’une civilisation ?

"Une civilisation c’est un mécanisme mais c’est aussi un héritage", décrit Jean-François Sirinelli. Il aime dire que c’est "un écosystème, avec toute une chaîne de vie". Observer le processus de naissance d’une civilisation, c’est être dans le temps long pour ne pas dire la lenteur. Avec toutefois, des moments où le temps semble s’accélérer et où surgissent des mutations.

Le fil rouge de l’histoire de la civilisation, pour Jean-François Sirinelli, c’est la langue. "On ne comprend rien en quelque sorte au métabolisme de notre civilisation si on ne place pas au cœur de cette civilisation la langue." La langue, c’est la transmission. "La civilisation ne peut se transmettre que par la langue", rappelle l’historien. C’est aussi par la langue que s’opère le "défrichement intellectuel" comme dit l’historien, qui permet de comprendre et expliquer le monde. "La langue, enfin, c’est aussi se faire comprendre, c’est le sens de la nuance. Et si vous avez du mal à vous faire comprendre, qu’est-ce que vous faites ? Vous passez à la violence. La langue, c’est un adoucisseur sur le plan d’une société, d’une civilisation."

Le "big bang" de notre civilisation française date-t-il donc de l’ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539, qui a fixé la langue française comme langue nationale ? Georges Duby situait plutôt l’apparition de notre civilisation au début du XIe siècle, après le fameux an mil. C’est donc selon lui sous la dynastie des Capétiens, en deux ou trois siècles tout de même, que s’est forgée une structure politique, à partir de l’héritage du christianisme implanté depuis déjà huit-cents ans. "L’une des caractéristiques de notre histoire nationale, rappelle Jean-François Sirinelli, c’est que la civilisation française s’est constituée autour d’un État-nation."

 

Le référendum de 1992 : première rupture

Aujourd’hui nous vivons ce que Jean-François Sirinelli nomme une "mutacrise", c’est-à-dire l’érosion du socle anthropologique ruralo-chrétien avec cette "sensation de départ vers un ailleurs inquiétant". Et les premiers signes visibles du "syndrome de la banquise", comme il l’appelle. Ce phénomène qui voit se détacher "par pans entiers des fractions du corps social, d’un ensemble devenu trop composite".

C’est au moment du référendum de Maastricht en 1992 que "quelque chose de très ancien s’est rompu dans la relation entre le politique et le peuple". Lorsque deux des départements les plus à gauche, le Nord et le Pas-de-Calais, n’ont pas suivi le président François Mitterrand qui appelait à voter oui. Jean-François Sirinelli identifie le premier signe d’un "détachement républicain" et d’une "modification de notre écosystème sous l’effet de la globalisation socio-économique".

 

École, catholicisme et république : les ruptures

Une inquiétude sourde se perçoit dans les propos de l’historien qui observe notre société française aujourd'hui et qui se demande si la France se souviendra un jour "de la république et de la civilisation dont celle-ci était devenue le socle"... L’école, dont il rappelle qui a eu un rôle "essentiel" pour nous "libérer des déterminismes sociaux", montre aujourd’hui "des signes de craquement". 

Autre pilier de la civilisation française, le catholicisme, qui, "une fois passées les lois de séparation des Églises et de l’État" a laissé place à "la catho-laïcité". C’est-à-dire que "la république et la religion catholique ont fait la paix", analyse Jean-François Sirinelli, devant "le constat de beaucoup de valeurs qui étaient communes, comme l’altruisme ou la fraternité". Or, si 90% de la génération des septuagénaires d’aujourd’hui sont baptisés, "c’est au sein même de cette génération que s’est opéré un glissement vers une perte de la foi". Et le taux de baptêmes est aujourd’hui en-dessous de 30%.

Finalement la république n’apparaît plus comme "thaumaturge" : "Elle a pris soin, aujourd’hui ce n’est plus le cas… La Ve République de De Gaulle paraissait assurer la paix civile, développer la vie économique, réordonner la vie politique. La parole du souverain ou du monarque républicain semble s’être brouillée et ce pouvoir paraît ne plus avoir prise sur le cours de choses."

 

Internet fait que vous n’écoutez que ceux que vous supposez penser comme vous et ceux qui vous confortent dans vos opinions. On est à l’inverse de ce qui est une société... C’est la cohabitation de bulles

 

Civilisation, civisme et civilité

Ce mot de civilisation a, faut-il le rappeler, la même racine que civisme et civilité. C’est-à-dire respectivement "la prise en compte de l’intérêt général" d’une part et, d’autre part, "tout un ensemble de règles qui partent de la politesse et débouchent sur le respect d’autrui".

Or, il y a des signaux que Jean-François Sirinelli juge inquiétants. D’abord la place de l’émotion, qui "a pris le pas sur la raison de notre civilisation contemporaine". La puissance de l’image et l’omniprésence sur ces images des "people", lui font dire que "le logos, ou discours construit, raisonné et raisonnable, est submergé par le pathos et le thanatos".

Ajouté à cela, "le syndrome de la bulle". "Internet fait que vous n’écoutez que ceux que vous supposez penser comme vous et ceux qui vous confortent dans vos opinions, explique-t-il. On est à l’inverse de ce qui est une société, le débat résonné, l’affrontement raisonnable. C’est la cohabitation de bulles."

 

 

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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