Bordeaux
Ce lundi 27 janvier, le Sénat a voté une loi en faveur de l’utilisation par dérogation d’un néonicotinoïde, l’acétamipride. Un pesticide nocif pour les pollinisateurs et qui est interdit depuis 2018 en France. Cette loi doit prochainement être étudiée à l’Assemblée nationale.
« Pour une fois, la France avait pris un peu d’avance », soupire Patrick Dujardin, président de l’association l’Abeille du Poitou. Cette avance, la France l’avait prise en 2018 en interdisant l’utilisation des néonicotinoïdes, alors que de son côté, l’Union Européenne autorise ces substances de façon provisoire jusqu’en 2033. Un nouveau recul pour les apiculteurs et les défenseurs de la biodiversité puisque selon Patrick Dujardin, « les néonicotinoïdes ont tué des centaines de milliers d’abeilles, mais pas uniquement, tous les insectes sont touchés. »
Concrètement, ces pesticides attaquent les facultés cognitives et désorientent notamment les insectes pollinisateurs qui les ingèrent sur des fleurs. L’apiculteur amateur explique les effets concrets, notamment sur les abeilles : « Pour dire les choses simplement, elles ne savent plus où elles habitent et les insectes n’arrivent pas à rentrer chez elles, donc elles meurent. »
Le président de l’association l’Abeille du Poitou s’insurge d’ailleurs contre la fabrique du doute. C’est-à-dire, la production d’études scientifiques cherchant à prouver que ces substances sont inoffensives, « il y a une grosse hypocrisie puisqu’on nous a dit que les tests en laboratoire ont prouvé que les néonicotinoïdes ne tuaient pas les abeilles. C’est vrai que lorsque l’on a une vingtaine d’abeilles et qu’on les confronte aux substances, elles ne meurent pas. Mais en laboratoire, elles ne rentrent pas dans leurs ruches, donc le problème ne se pose pas. Dans la nature, celle qui ne rentre pas dans sa ruche, elle meurt. [...] Notre abeille à miel, c’est juste la partie visible. Il y a toute une partie invisible qui meurt silencieusement. »
Cette loi, si elle est validée par l’Assemblée nationale, l’utilisation de ce néonicotinoïde, l’acétamipride, se fera selon certaines conditions. Tout d’abord, seulement deux filières auront le droit. Les producteurs de betteraves sucrières et ceux de noisettes. Mais, Patrick Dujardin craint que cela ne soit que le début : « On n’est pas dupe. On sait très bien que c’est une dérogation sur une culture, puis sur une seconde. Après, d’autres vont dire : “Si eux ont le droit à des dérogations, pourquoi nous on resterait sur le côté ?” »
L’histoire lui donne en partie raison, puisque malgré l’interdiction, les producteurs de betteraves sucrières ont eu des dérogations en 2021, 2022 et jusqu’au 1er juillet 2023. Cette loi prévoit, si elle est votée par l’Assemblée nationale, d’autoriser également les producteurs de noisettes.
Deuxième argument, cette substance est la seule solution à la disposition des agriculteurs aujourd’hui. Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains (LR) à l’origine de cette loi, justifie auprès de nos confrères de Public Sénat, ce besoin à travers les chiffres de production, « sur la [filière de la] pomme : en dix ans, nous sommes passés de 700 000 tonnes exportées à moins de 300 000 aujourd’hui. » Encore une fois, Patrick Dujardin désapprouve, « je pense qu’il y a d’autres solutions. C’est que certains n’ont pas voulu les chercher. Ce qu’on nous a dit, c’est qu’elles sont moins efficaces que ces produits hyper violents. Donc les rendements sont plus faibles. C’est ça le motif. C’est vraiment un problème de lobby, de production intensive [...] car tous les agriculteurs ne sont pas pour un retour des pesticides tueurs d’abeilles. »
Cette loi fait partie d’un cadre plus large où l'État réduit les normes et les contraintes des exploitants suite à plus d’un an de tensions et de mobilisations agricoles. « L’État est en train de lâcher sur quelque chose dont on parle assez peu : C’est beaucoup plus de latitude sur l'arrachage des haies, qui ne sera plus surveillée, plus punie. »
Pour Patrick Dujardin, ces décisions sont à contre-courant au vu de l’effondrement de la biodiversité. Le muséum national d’histoire naturelle rappelle que 70 à 80% de la population d’insectes a disparu dans toute l’Europe. À son échelle, Patrick Dujardin le remarque notamment au moment de prendre la route pour aller en vacances l’été. Il se rappelle des arrêts aux stations essence et du coup de raclette sur le pare-brise pour enlever les insectes collés. « Aujourd’hui, on peut traverser toute la France sans avoir à retirer les insectes sur le pare-brise. » Au-delà des insectes, c’est un risque pour toute la biodiversité et même l'humanité, avec la chaîne alimentaire. Les oiseaux sont donc aussi en danger, car ils dépendent des insectes.
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