Le livre de la semaine : "La Mystification indienne" de Jean-Claude Perrier
Cette semaine, Christophe Mory nous présente le livre de Jean-Claude Perrier, intitulé La Mystification indienne.
"La Mystification indienne" de Jean-Claude Perrier © DRTout au long des deux cents pages, on est sidéré par le culot d’un journaliste de 37 ans. Nous sommes en 1885. A 37 ans, Octave Mirbeau, espèce de Rastignac des Lettres, publie dans le journal le Gaulois. Là, il a un rival, Robert de Bonnières, auteur prolifique, mondain, journaliste grassement rétribué et que le journal envoie en Inde pour un reportage. Qu’à cela ne tienne : Mirbeau effectuera le reportage avec deux semaines d’avance. C’est une « âme inquiète et tourmentée » écrit de lui Jean-Claude Perrier. Et voilà que son reportage est publié, signé Nirvana, en onze épisodes. Il monte à bord du Saghalien « fier steameer de la compagnie française des messageries maritimes construit en 1880 ». Tout paraît vrai puisque
le bateau existe ! et Nirvana-Mirbeau y va de tous les détails du voyage : il décrit le Canal de Suez, puis Ceylan, l’Océan Indien. Il évoque les « gamins, tout nus et pareils à des singes », il décrit les paysages mais aussi donne son point de vue sur les questions géopolitiques qui habitent le continent. Il rencontre des personnalités religieuses et politiques dont il décrit les costumes et les pauses, dont il rapporte les propos.
C’est un voyageur à la Pierre Loti ?
Loti ira en Inde vingt cinq ans plus tard. Octave Mirbeau, lui, décrit,
raconte, poursuit jusqu’aux plateaux de l’Everest au plus prêt du Tibet. Sauf que, à la différence avec Loti, Mirbeau n’a jamais quitté Paris. Tout est faux quoique vraisemblable. C’est un canulard. Il faut rappeler qu’à l’époque, sans ordinateur ni internet ni accès aux paysages et documentations sur Gallica, le moteur de recherche de la Bibliothèque nationale de France, il est nécessaire de puiser dans l’imagination.
Mais quelles sont les sources de Mirbeau ?
L’Illustration, les revues de la Société de géographie, la presse. Parmi les sources ou les inspirations, il y a Arthur de Gobineau qui était né en 1816, plume magnifique mais théoricien des races aujourd’hui indéfendable. Cette lecture permet à Mirbeau d’expliquer et de décrire les castes hindoues. Il a tout fait tout fait seul, en secret , par la magie du style. Il a « l'adjectif facile et la plume naturaliste ». Il parle du « Gong de la pagode lequel envoie aux échos de la montagne ses sonorités éperdues ». Ah, cet éperdue ! Et Jean-Claude Perrier de commenter : « De l’art de marquer une pause dans un récit de voyage, de donner une chute à un texte, juste par la magie d’un adjectif improbable, expressif, superbe ». Canulard, mensonge, trahison, mythomanie, Mystification (selon le titre) ou simplement littérature ? C’est bien de cette magie là dont il s’agit. Perrier pose la question en fin de compte : « Où sont les Mirbeau de notre temps ». Car l’auteur est celui qui créée un monde plausible ou possible. Et là, au plus serré de la littérature, Octave Mirbeau nous en montre sa maîtrise. Et Jean-Claude Perrier sa connaissance et son admiration. Vous comprenez, Etienne, que ce 67e livre de Jean-Claude perrier
soit parmi les finalistes du Prix Renaudot, on croise les doigts.


Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.




