“L’IA au cœur de l’humain, progrès, périls et promesses”
C’était jeudi 25 septembre dernier le dîner-conférence annuel au profit de la radio RCF, cette année sur le thème de l’intelligence artificielle. 90 convives étaient présents pour entendre les propos de trois experts du domaine : le serial entrepreneur Johan Rauscher, le philosophe Marc Grassin et Pierre Giorgini, enseignant-chercheur et ancien recteur de l'Institut Catholique de Lille. Les meilleurs moments de leur prise de parole, à suivre !
de gauche à droite Marc Grassin, John Rauscher et Pierre Giorgini ©RCF en NormandieJohn Rauscher : renouer avec notre bon sens !
John Rauscher est un entrepreneur aguerri. ll a co-fondé 4 entreprises ces 25 dernières années dans le domaine de la technologie. Sa dernière start-up cobot-it est un champion de l’IA de confiance. John Rauscher dispose d’une longue expérience professionnelle aux Etats-Unis, en Asie et en Europe. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages à succès dont le dernier en date “The rise of the cobot” qui évoque l'industrialisation du conseil des services par l’IA. Il est également diplômé de l’université de Berkeley en Californie.
John Rauscher repart dans son introduction d‘une étude récente du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui montrait que 95 % des entreprises qui avaient déployé l’IA générative, l’avait finalement mise… à la poubelle ! Et l'université de Stanford pointait récemment une baisse continue de la productivité des salariés des entreprises qui utilisent l'IA générative. En 50 ans, l’industrie a fait des progrès considérables ! Il n'y a quasiment plus de rebuts aujourd'hui dans l’industrie. Aussi, les gains de productivité ne sont plus à chercher dans les process industriels, mais bien plutôt du côté des cols blancs. Or, problème : la recherche de valeur a augmenté seulement de 17% en 30 ans chez les cols blancs. D’où les investissements massifs dans l’IA ! Mais encore faut-il savoir de quoi l’on parle.
IA statistique, probabiliste et IA de confiance
Ne fantasmons pas l’IA. Elle ne remplacera jamais le cerveau humain qui est le seul à pouvoir disposer du bon sens, de créativité, et d’empathie. Cependant, en collaborant au mieux avec la machine, l’homme peut obtenir de vrais gains de productivité. Il existe trois types d'IA :
1- l’IA statistique ou prédictive : l’idée est d’apprendre du passé pour penser l’avenir.
2- l’IA générative : autrement appelée probabiliste, est celle dont on parle le plus souvent (Tchat GPT, Mistral et autres…) Il s’agit d’une IA basée sur des probabilités, avec un réel taux d’erreurs, (20 % environ). Cette IA est remarquable en termes de qualité, mais elle n’améliore en rien la productivité.
3- l’IA de confiance : appliquée tel un cobot dans les entreprises pour améliorer et automatiser les process. Elle est fiable et donne d’excellents résultats.
Selon Joël de Rosnay, Ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans le domaine de la biologie et de l'informatique, il s’agira pour le médecin de demain d’avoir une excellente culture générale médicale et des machines qui l’aideront à poser les bonnes questions pour obtenir le bon diagnostic.
Lors de la séance de questions/réponses © G. Desanges
dans la salle du casino de Bonsecours © G. DesangesMarc Grassin :“ l’IA est un fait social total”
En partant d’une citation du philosophe allemand Peter Sloterdijk, Marc Grassin, philosophe, maître de conférence en philosophie à l’ICP et directeur de l'Institut Vaugirard Humanités et Management pose le cadre anthropologique et éthique de son propos : “Venir au monde, c’est toujours sur fond d’une promesse, une promesse que les anciens habitants du monde font au nouveaux arrivants que le monde dans lequel ils arrivent est un monde bon et déterminé pour eux “ L'enjeu est de faire de "l’IA AMi "pour reprendre les mots de l’auteur de sciences-fiction Alain Damasio. Faire de l’IA un enjeu non pas de dévitalisation mais de compagnonnage, qui va renforcer ce qui fait de nous des humains.
Marc Grassin transpose dans un tout autre contexte que celui de son auteur, le philosophe Marcel Mauss, la formule de l'IA comme “un fait social total”. L’IA est ce fait social total en cela qu’elle embarque toute notre condition, notre intelligence, nos affects, notre psychisme, nos espaces publics et politiques… Il revient alors de lever les angles morts de l’IA. Savoir repérer les signes où il y a des effets de progrès et ceux où il y a des risques majeurs de dégradation (l’idéologie de l’ultra productivisme par exemple), et en cela sortir du double risque : peur/fascination.
L'anthropotechnique
Mais Marc Grassin de nous rassurer : depuis l’origine, les humains que nous sommes sont des êtres prothésés. Nous sommes appareillés aux techniques depuis toujours, et c’est une condition de notre liberté, qui nous donne de pouvoir transformer le monde. “Tant que nous n’avions pas de technique opératoire puissante, nous étions soumis au déterminisme”, insiste Marc Grassin. L’IA peut donc être notre alliée, à condition de prendre en charge de manière critique ce que l’on est en train de transformer. Et Marc Grassin de conclure : l’A est un d’abord une réalité politique avant d'être économique. Il est donc urgent de penser sa dimension éthique sous-jacente.
Pierre Giorgini : "l'intelligence ne peut s'acquérir que dans une relation incarnée !"
Pour Pierre Giorgini, enseignant chercheur, président recteur honoraire de l’Université catholique de Lille depuis 2012 et chercheur associé au laboratoire ETHICS de la Catho de Lille, passionné de philosophie et de prospective, il est utile de rappeler que l’intelligence ne peut s’acquérir que dans une relation incarnée, de maître à élève ou entre pairs. Aussi, ce qui est importe est moins de savoir si l’IA est intelligente ou pas - lui est sûr qu’elle ne l’est pas - mais bien plutôt de savoir comment on la considère, comment elle est, en effet ce fait social total. Car l’effet d’ampleur de l’IA est considérable. Et il faut bien dire que c’est l’ensemble des relations interpersonnelles et sociales qui ont été bousculées ! Car avec le capitalisme de l’attention on cherche à nous vendre de l’attention dans l'unique but d'acquérir des produits.
La métaphore du jogging !
Et Pierre Giorgini d’illustrer son propos par une métaphore qui parle à tout le monde ! Lorsqu’il y a eu l’effondrement de l’effort physique dans la valeur ajoutée travail (l’arrivée des cols blancs), on aurait pu penser à un effondrement généralisé de la condition physique. Or ce n’est pas ce qui s’est produit ! L’estime de soi, à travers l’estime du corps a amené toute une génération de jeunes à faire du sport pour eux-mêmes ! Le désir du corps, de l’effort physique est devenu un désir en soi. Pierre Giorgini pense qu'il va falloir faire la même chose avec l’éducation cognitive : développer le désir de l’effort cognitif ! Car on constate d'ores et déjà les dégâts de l'effondrement cognitif chez les utilisateurs de l'IA générative : la perte de l'estime de soi. Charge donc aux enseignants de trouver des solutions pour développer le désir de l’effort cognitif en dehors des contenus, en créant des cours d’éducation cognitive, d’éducation créative, des cours d’éducation émotionnelle et pourquoi pas… Des cours d’éducation spirituelle !


Des extraits, des interviews, des moments choisis...




