
Un excellent livre de Laurence Durieu qui vient de paraître aux éditions Fage et intitulé « Le Christ interdit ». Dès 1951, à la suite de violentes critiques, cette sculpture en bronze fut retirée du choeur et resta reléguée dans des locaux annexes pendant près de 20 ans. Un Christ qui fait scandale.
Retour sur une très violente polémique dans le domaine de l’art sacré. Il s’agit du Christ sculpté par Germaine Richier pour le choeur de l’église inaugurée en 1950 sur le plateau d’Assy, en Haute-Savoie. L’occasion d’en parler m’est fournie par un excellent livre de Laurence Durieu qui vient de paraître aux éditions Fage. Il est intitulé « Le Christ interdit ». Car, dès 1951, à la suite de violentes critiques, cette sculpture en bronze fut retirée du choeur et resta reléguée dans des locaux annexes pendant près de 20 ans.
Au départ, il y a un prêtre, le chanoine Jean Devémy, aumônier des sanatoriums du plateau d’Assy, face au Mont-Blanc. Il s’était donné la mission de créer pour les malades, je cite , « une modeste église de montagne avec de belles choses ». Pour ces « belles choses », le chanoine Devémy fit appel à un dominicain connu pour ses liens avec le monde artistique, le père Marie-Alain Couturier, qui aimait à dire : « Mieux vaut des génies sans la foi que des croyants sans talent. » Effectivement, la plupart des artistes qui ont contribué à l’église d’Assy n’étaient pas catholiques. Mais quelle extraordinaire réunion de talents : Fernand Léger, Marc Chagall, Henri Matisse, Jean Lurçat, Pierre Bonnard, Georges Braque, Georges Rouault… Germaine Richier qui était alors un des sculpteurs les plus reconnus de son temps reçut la commande d’un grand Christ en croix pour le choeur de l’église.
Les pères Devémy et Couturier lui ont donné une indication importante en plaçant la commande sous le signe d’un texte du prophète Isaïe qui est lu le vendredi saint lors de l’office de la Croix : « Le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. » Partant de là, Germaine Richier a façonné un Christ qui se confond avec le bois de La croix. Une oeuvre très expressive mais non figurative qui sera acceptée par les commanditaires et installée dans l’église. L’évêque d’Annecy, Mgr Auguste Cesbron, ne trouva rien à y redire lorsqu’il présida la messe de consécration le 4 août 1950.
En janvier 1951 à Angers, l’abbé Devémy est pris à partie par des catholiques traditionalistes lors d’une conférence sur l’église d’Assy. Leur tract dénonce « un scandale pour la piété chrétienne ». Ils sont relayés par un prélat du Vatican qui, sur la seule base de photographies, parle de « blasphèmes visuels ». Sous la pression de l’autorité romaine, Mgr Cesbron ordonnera en avril 1951 de retirer la sculpture de l’église. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui la véhémence des propos qui furent échangés par voie de presse entre partisans et adversaires de cette statue, entre ceux qui défendaient le style traditionnel, dit sulpicien, et ceux qui n’en pouvaient plus des images d’un « bellâtre à la barbe bien peignée », selon un mot cinglant de Paul Claudel.
D’abord l'affaire est plongée dans le silence, ce qui est un peu triste pour Germaine Richier, décédée en 1959. Puis, en 1970, le prêtre en charge de l’église prit l’initiative de replacer la statue à sa place d’origine. Elle s’y trouve toujours aujourd’hui où elle est à la fois vénérée et admirée.
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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