
Quand nous regardons une œuvre d’art, une peinture, une sculpture, une photo, est-il préférable que l’image soit bien nette ou au contraire floue ? Cette question est le ressort d’une passionnante exposition à Paris, intitulée « Dans le flou, une autre vision de l’art de 1945 à nos jours ». Elle se tient au Musée de l’Orangerie, un lieu qui n’est pas indifférent. Ce bâtiment, voisin de la place de la Concorde, héberge les vastes toiles des Nymphéas de Claude Monet qui sont, précisément un admirable exemple du flou en peinture.
Léonard de Vinci baignait déjà ses toiles de fumature, pour leur donner un aspect vaporeux. Et puis il y a l’exemple du peintre britannique William Turner dont un tableau de 1845 ouvre l’exposition. Détail amusant, la plaque de cuivre fixée sur le tableau date des années 1960. Elle nous dit « Paysage inachevé ». Le cartel sur le mur en revanche énonce : « Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain ou Confluent de la Severn et de la Wye ». Ce paysage inachevé est donc tout de même assez bien identifié ! Et son flou nous fait rêver. Comme le dit une phrase du philosophe Gaston Bachelard, figurant sur le mur près du tableau : « La valeur d'une image se mesure à l'étendue de son auréole imaginaire, autant dire qu'une image stable et achevée coupe les ailes à l'imagination.»
Le flou permet ainsi de se placer à la lisière du visible et de l’invisible, à la frontière entre l’abstraction et la figuration. C’est à celui qui regarde qu’il appartient de faire la mise au point. En ce sens, le flou offre un espace de liberté au spectateur. Parmi les grands artistes contemporains du flou, on retrouve Alberto Giacometti, Mark Rothko, Hans Hartung, Gehrard Richter, Francis Bacon, Zoran Music ou encore Hiroshi Sugimoto.
Le cas de cet artiste japonais mérite qu’on s’y arrête. C’est un grand photographe. Il aurait donc tous les moyens de créer des images nettes. Or, c’est un génie du flou, notamment lorsqu’il photographie des architectures célèbres. Il a expliqué que, dans ce flou, il cherchait à représenter le moment où l’image du bâtiment à venir s’est formée dans
l’esprit de son architecte. Ce qui nous vaut une image magnifique de la chapelle Notre- Dame-du-Haut, conçue par Le Corbusier.
Les œuvres évoquant les grands drames de notre temps. En particulier les génocides, la Shoah et le Rwanda mais aussi le 11 septembre 2001 ou les naufrages de migrants en Méditerranée. Le flou place un voile sur une réalité insoutenable et, en même temps, il nous force à arrêter notre regard pour comprendre ce qui est représenté.
Je voudrais évoquer en particulier une œuvre de Christian Boltanski. Cet artiste français est parti d’une photo des années 1930, sans valeur artistique, qui a été prise dans la cour d’une école juive à Berlin. On y voit les visages joyeux et chahuteurs de nombreuses petites filles. Boltanski a beaucoup agrandi cette photo, ce qui l’a rendue floue. Puis il a l’a
recouverte d’une peinture noire comme du goudron, en laissant de petites fenêtres carrées ou rectangulaires où l’on voit apparaître les visages joyeux de certains de ces enfants ignorant le destin tragique qui les attend. Le regard est forcé de s’arrêter sur presque chacun d’entre eux.
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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