Santé mentale : pourquoi les adolescentes apparaissent plus fragiles que les garçons ?
La santé psychique des jeunes se dégrade depuis le Covid, mais les adolescentes semblent particulièrement touchées. Pressions sociales, violences, troubles alimentaires : comment expliquer cet écart avec les garçons ? Éclairage avec Gaëlle de Decker, psychologue clinicienne.
Adolescentes : pourquoi une santé mentale plus fragile ? © KGDepuis plusieurs années, les études pointent une dégradation nette de la santé psychique des enfants et des adolescents. Mais un phénomène retient particulièrement l’attention : la fragilité grandissante des filles. Les chiffres sont éloquents : chez les 10-14 ans, les hospitalisations pour tentatives de suicide et automutilation ont augmenté de 246 % en dix ans. Alors, les filles sont-elles plus vulnérables ? Pour comprendre ces écarts, nous avons interrogé Gaëlle de Decker, psychologue.
Des troubles qui touchent plus massivement les filles
Certaines pathologies concernent davantage les adolescentes : les troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie) dont les conséquences peuvent être graves, ou encore les séquelles liées aux violences sexuelles, beaucoup plus présentes dans les trajectoires féminines.
"Les antécédents de violences augmentent fortement les risques de stress post-traumatique, d’addiction ou de dépression", rappelle Gaëlle de Decker. La dépression du post-partum, qui touche environ 16 % des femmes dans l’année suivant l’accouchement, ou encore les bouleversements de la ménopause, montrent combien certaines étapes de vie féminine s’accompagnent de vulnérabilités spécifiques.
L’injonction au bonheur… qui pèse plus lourd sur les filles
Paradoxalement, la société n’a jamais autant valorisé le bien-être. Une économie entière s’est construite autour de l’idée du bonheur comme objectif permanent.
"Une patiente me disait : je suis fatiguée d’être forte. Cette exigence de perfection dans tous les domaines a un coût psychique élevé pour les filles, et cela ne s’arrête pas à l’adolescence", confie la psychologue.
Des chiffres qui témoignent d’un réel fossé
Aujourd’hui, un jeune sur cinq présente des symptômes dépressifs sévères. Mais les écarts entre garçons et filles persistent : un quart des adolescentes souffrent d’anxiété sévère ou de pensées suicidaires, contre 18 % des garçons du même âge. Un écart qui peut s’expliquer par une combinaison de facteurs.
Une pression sociale plus forte
Les réseaux sociaux y contribuent largement : modèles inatteignables, comparaisons permanentes, idéalisation du corps et de la réussite.
"L’idéal devient cumulatif : être belle, mince, brillante, réussir ses études, s’occuper des autres, avoir un métier… À 17 ans, la pression est énorme", estime Gaëlle de Decker.
Une parole féminine plus libre… mais pas toujours mieux reçue
Les adolescentes expriment plus facilement leurs émotions, contrairement à de nombreux garçons encore enfermés dans la norme du "ne pas se plaindre".
"Les filles parlent davantage. Mais leur parole est parfois moins prise au sérieux. Nous restons prisonniers de stéréotypes", souligne la psychologue.
Il ne s’agit donc pas d’une plus grande fragilité biologique, mais d’un rapport au monde et à soi influencé par l’éducation, les normes et les attentes sociales.
L’éducation affective et sexuelle : un levier d’égalité
Le nouveau programme EVARS (Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle), déployé dans les établissements scolaires, constitue un progrès pour accompagner filles et garçons.
"Ce n’est pas un progrès seulement pour les filles. On avance vers plus d’égalité. Les deux doivent évoluer ensemble", insiste Gaëlle de Decker.
Discussions guidées, jeux de rôle, repérage des comportements violents, meilleure connaissance de soi : autant d’outils pour renforcer l’estime de soi et prévenir les violences.
Prévenir les violences pour réduire leur impact psychique
Les violences sexistes et sexuelles ont un coût psychique, social et économique majeur.
"Le dialogue, la prévention, la capacité à repérer les comportements insidieux sont essentiels", conclut Gaëlle de Decker.
Si le chemin est encore long, l’éducation et la parole constituent des leviers puissants pour mieux accompagner les adolescentes (mais aussi les garçons) vers une relation plus apaisée à eux-mêmes.
Besoin d’aide ? Plusieurs dispositifs sont disponibles en France. Le 3114 , numéro national de prévention du suicide, mais aussi les Points Accueil Écoute Jeunes, qui accueillent les jeunes de 16-25 ans, ou les Maisons des Adolescents, qui accueillent ceux de 11-21 ans.


Dans "Les mots du divan", suivis d'une conversation avec Marie Olivares, Gaëlle de Decker, nous propose d'être à l'écoute des interrogations des femmes et des hommes d'aujourd'hui, confrontés aux autres, au monde et à eux-mêmes.




