Santé mentale : grande cause nationale, symptôme d’un malaise général
En 2025, la santé mentale a été proclamée “grande cause nationale”. Un signal fort, certes, mais aussi le révélateur d’un système de santé fragilisé et d’une société en quête de sens. Crise hospitalière, épuisement des soignants, souffrance des jeunes… Et si avant de sauver la santé mentale, il fallait sauver l’hôpital ?
© Andrew NeelUne cause nationale… ou une cause d’alerte ?
Faire de la santé mentale une priorité nationale, c’est reconnaître que quelque chose ne va pas. Depuis la pandémie de Covid-19, les signaux sont alarmants : selon Santé publique France, un quart des adolescentes de 16 ans présentent aujourd’hui un risque important de dépression et des pensées suicidaires. Les jeunes, en particulier les jeunes filles, portent les stigmates d’une époque anxiogène : isolement, pression scolaire et sociale, injonctions au bonheur permanent.
Mais vers qui se tourner quand le système censé soigner vacille ? Depuis plus de vingt ans, la psychiatrie publique est en crise profonde : manque de moyens, pénurie de psychiatres et pédopsychiatres, délais d’attente interminables dans les centres médico-psychologiques… autant d’obstacles qui retardent le diagnostic et compromettent la prise en charge.
Une psychiatrie déshumanisée
La crise n’est pas seulement budgétaire, elle est aussi idéologique. L’approche humaniste fondée sur la relation, l’écoute et la compréhension du vécu du patient a peu à peu laissé place à une logique biomédicale et gestionnaire.
On parle désormais de “troubles” à corriger plutôt que de souffrances à accueillir. Les pathologies mentales sont traitées comme des maladies du cerveau, soignées à coups de protocoles et de prescriptions. Pendant ce temps, le soin relationnel, pourtant au cœur de la psychiatrie, disparaît sous le poids des indicateurs de performance.
Gaëlle de Decker, psychologue clinicienne et psychanalyste, résume ainsi le paradoxe :
Comment prétendre soigner la santé mentale sans une approche humaniste ?
De nombreux psychiatres ont quitté l’hôpital public, épuisés par cette dérive managériale. Pourtant, certains services résistent encore, maintenant vivante la flamme d’une psychiatrie institutionnelle où le dialogue et la durée du soin gardent tout leur sens.
Santé mentale : de quoi parle-t-on vraiment ?
La santé mentale, c’est bien plus que l’absence de maladie. L’Organisation mondiale de la santé la définit comme un état de bien-être dans lequel chaque individu peut réaliser son potentiel, faire face au stress normal de la vie et contribuer à la société.
Ce champ recouvre un vaste spectre : troubles anxieux ou dépressifs, difficultés d’apprentissage, comportements à risque, mais aussi mal-être diffus lié à des modes de vie de plus en plus déshumanisés.
La Journée mondiale de la santé mentale, célébrée chaque 10 octobre, vise justement à déstigmatiser ces troubles souvent invisibles, à libérer la parole et à encourager le recours à l’aide.
Après le Covid, un miroir social brisé
La pandémie a agi comme un révélateur. Ce n’est pas tant qu’elle ait “créé” de nouvelles pathologies, mais elle a mis en lumière des fragilités préexistantes : solitude, anxiété, perte de repères.
Les confinements ont bouleversé les relations sociales, la scolarité, les équilibres familiaux. Pour les jeunes, l’écran a remplacé la salle de classe, le lien humain s’est distendu. "Le Covid a été un traumatisme collectif", souligne Gaëlle de Decker. "Il a révélé notre vulnérabilité psychique et l’insuffisance de nos réponses sociales."
Les jeunes filles en première ligne
Pourquoi les jeunes filles sont-elles davantage touchées ?
Les statistiques sont claires : elles expriment plus volontiers leur mal-être, consultent davantage, et apparaissent donc plus souvent dans les chiffres. Mais cela traduit aussi une pression sociale spécifique : injonctions esthétiques, normes de réussite, quête d’un bonheur sans faille.
Les troubles du comportement alimentaire, comme l’anorexie, en sont une manifestation douloureuse. Derrière ces chiffres, se cachent des vies fragiles, mais aussi une conscience plus fine de l’intériorité et du besoin d’expression émotionnelle.
Pour approfondir cette réflexion, on peut lire Mon vrai nom est Élisabeth d’Adèle Yon (Éditions du Sous-Sol), un récit sensible sur la fragilité mentale et la reconstruction de soi.
Et maintenant ?
La santé mentale ne pourra pas être une “grande cause” durable sans un système hospitalier solide, ni sans une refondation du sens du soin. Les soignants le répètent : avant de sauver les esprits, il faut redonner souffle aux structures, aux équipes, à l’écoute.
Car derrière le mot “santé”, il y a une question plus vaste, presque politique : comment allons-nous, collectivement ?


Dans "Les mots du divan", suivis d'une conversation avec Marie Olivares, Gaëlle de Decker, nous propose d'être à l'écoute des interrogations des femmes et des hommes d'aujourd'hui, confrontés aux autres, au monde et à eux-mêmes.




