Angers
Le 9 décembre 2024, le cyclone Chido dévastait l’île de Mayotte dans l’océan indien. Le 101ème département français a été presque entièrement détruit, mettant en lumière les fragilités auxquelles il est confronté depuis de nombreuses années. Surpopulation, manque de moyens et un sentiment d’abandon de la métropole, les Mahorais espèrent un changement. Comment comprendre ce sentiment en retraçant l’histoire de l’île ? Et quel avenir pour Mayotte ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Melchior Gormand.
Les temps ont changé, mais le constat reste le même. Avant et après le passage du cyclone Chido qui a fait des dizaines de morts - début janvier 2025 -, le sentiment d’abandon n’a pas quitté les Mahorais. Fahad Idaroussi Tsimanda, docteur en géographie à l’université de Montpellier et spécialiste de l’archipel de Mayotte décrit un “paysage apocalyptique”.
Sur place, il raconte que l’électricité n’est toujours pas remise et alerte sur le fait que “dans le nord-ouest de l’île, nous sommes les oubliés de ce dispositif d’aide” en parlant du plan d’urgence “Mayotte debout” initié par le gouvernement français. C’est aussi l’analyse de Mathilde Helson, post-doctorante en anthropologie et ethnologie, ayant réalisé des travaux sur la jeunesse mahoraise qui avoue que “les gens parlent de partir de Mayotte” à cause du quotidien difficile qui s’est amplifié avec ce cyclone.
“Mayotte a une histoire liée à la France”, explique Fahad Idaroussi Tsimanda qui revient sur l’implication de la France envers cette île. Tout débute en 1843. La colonisation française a été accueillie comme une libération, car l’archipel des Comores était en proie à des combats, surtout à Mayotte qui “se sentait acculée à chaque pénétration des îles voisines”, raconte le géographe.
43 ans passent et en 1886, l’archipel des Comores devient un protectorat français. La division entre Mayotte et le reste des Comores demeure visible. “Les autres îles voulaient asseoir leur domination. Dans les années 1960, il y a eu une période de semi-autonomie, ce qui a eu pour conséquence des problèmes d'approvisionnement sur l’île. Les Mahorais ont été maltraités et les services publics ont été transférés à Moroni, sur une autre île des Comores”, explique Fahad Idaroussi Tsimanda, qui décrit cette période comme un “sentiment d'humiliation”.
Les Mahorais ont été maltraités et les services publics ont été transférés à Moroni, une autre île des Comores.
En 1974, se déroule une consultation sur l’indépendance des Comores. Les trois îles de l’archipel votent leur indépendance alors que les Mahorais souhaitent rester Français. Mais cette séparation va attiser les convoitises, car l’île se développe contrairement à ses voisins. Fahad Idaroussi Tsimanda révèle que “l’État Français a décidé d’investir à Mayotte, ce qui va créer un fossé entre l'île et les Comores, qui subissent en plus des coups d’État, et cela va freiner l’économie. Mayotte se développe et les Comores plongent dans la misère". Mathilde Helson dévoile “un tournant à partir des années 1980, où les infrastructures scolaires médicales et pénitentiaires vont se multiplier et se disséminer sur tout le territoire. Cela permet à un plus grand nombre de la population d’y avoir accès”.
En 2011, Mayotte devient le 101e département français, à la suite d’un référendum en 2009 approuvé à 95 %. Mais l’ONU ne reconnaît pas Mayotte comme un département français car “elle se base sur les frontières pendant la colonisation et non l’autodétermination des peuples”, rappelle Fahad Idaroussi Tsimanda. Mathilde Helson affirme qu’il y a eu “un après territorialisation qui n’avait pas été discuté avant, comme l’alignement du droit local sur le droit commun. Les Mahorais se sont retrouvés face à ces situations qui ont changé pas mal de choses dans leur quotidien, comme la reconnaissance d’un nouveau-né ou encore l’impact des impôts”.
Si la départementalisation a fait prospérer l’île au départ, elle a aussi amené son lot de complications. La première est le coût de la vie, qui a augmenté. Dès 2011, des mouvements de contestation liés à la vie chère ont éclaté. Fahad Idaroussi Tsimanda indique que ces manifestations ont eu lieu car “les Mahorais ont demandé un rattrapage des minimas sociaux et un minimum de considération. On dépend des produits venant de l’extérieur qui imposent l'octroi de mer et deviennent plus chers. Les Mahorais ont juste demandé que leurs droits soient respectés”.
Un îlot de richesses dans un océan de pauvreté.
Un deuxième problème auquel Mayotte est confrontée est une surpopulation accrue sur l’île. La population qui compte actuellement 350.000 habitants, a quadruplé entre 1985 et 2017. Bien que “les migrations existent depuis très longtemps”, selon Mathilde Helson. Fahad Idaroussi Tsimanda résume la situation de Mayotte comme “un îlot de richesses dans un océan de pauvreté”. En 1995, le gouvernement français a donc instauré le visa Balladur, qui alourdit les conditions d’accès à l’île, les rendant presque impossibles. Mais cela ne dissuade pas ceux qui veulent le faire, qui viennent sur l’île en situation irrégulière, notamment des Comores.
Les naissances sont aussi nombreuses sur l’île. Mathilde Helson ajoute “qu’en 2018 le droit du sol a été modifié et que les enfants nés sur le territoire mahorais ne peuvent pas demander la nationalité française à 13 ans, si les parents ne sont pas régularisés. On n’a pas assez de recul pour voir les effets". Fahad Idaroussi Tsimanda termine son propos en affirmant “qu’on ne peut pas lutter contre l’immigration clandestine car il y a toujours une faille quelque part. L'État fait un semblant de choses à Mayotte : les infrastructures visant à surveiller les entrées sur l’île sont obsolètes et les policiers réalisent peu de rondes. De plus, le bâtiment de la marine nationale stationne sur l'île de la Réunion alors qu’on en a besoin ici”.
Enfin, un grand manque de moyens dans le service public rend le quotidien encore plus difficile. Le géographe confie qu’il avait dû attendre 5 h à l’hôpital pour être reçu par un médecin lorsque son fils était malade. Le personnel médical ou encore les enseignants ne sont pas assez nombreux pour une population qui ne fait que grandir.
Après le passage du cyclone Chido, le gouvernement français a mis en place le plan “Mayotte Debout” pour refonder l’île. Sur place, Fahad Idaroussi Tsimanda affirme “qu’au nord-ouest, nous sommes les oubliés de ce dispositif. L’aide tarde à arriver, au niveau alimentaire ou électrique. Je suis sceptique et reste sur ma faim”. Mathilde Helson est du même avis et espère que ce ne sera pas du “rafistolage, car il faut reconstruire solidement l’île avec les séismes et cyclones à venir”.
La plupart des jeunes voulaient partir de Mayotte.
Fahad Idaroussi Tsimanda déplore le “manque de considération des Mahorais” par rapport à l’île de la Réunion. Entre la conférence de presse à la Réunion après les dégâts constatés à Mayotte, l’appel aux entreprises réunionnaises pour rebâtir l'île et une demande de prolongement de la piste de l’aéroport de Pamandzi restée sans réponse face au milliard d’euros investi dans une route réunionnaise, la différence de traitement est palpable.
Enfin, l’avenir est compliqué à imaginer pour les jeunes Mahorais. Mathilde Helson révèle que sur “une soixantaine d'entretiens réalisés entre 2017 et 2018, la plupart des jeunes voulaient partir de Mayotte”. Les perspectives d’avenir et les opportunités semblent faibles pour eux. La modification du droit du sol de 2018 obligerait ceux n’ayant pas la nationalité française à se former uniquement à Mayotte, alors que l’offre reste limitée. L’opération policière Wuambushu en 2023 visant à expulser les personnes en situation irrégulière rend leur avenir compliqué, dans cette île française au cœur de l’océan indien.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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