L’humanité s’arrête-t-elle aux frontières ? Martin Steffens
Depuis le 7 octobre, les termes de “génocide” et de “crimes contre l’humanité” reviennent dans le débat public. Ces expressions appartiennent au lexique du droit international et désignent une catégorie spécifique destinée à réprimer des actes commis à grande échelle contre des populations civiles. Mais comment distinguer ce qui est humain de ce qui ne l’est pas ? Martin Steffens, agrégé de philosophie et enseignant en classes préparatoires à Strasbourg, s’est posé la question dans son ouvrage “Qu’est-ce qui nous rend humain et… inhumain ?”
Martin Steffens © RND-RCFLes guerres justifient l’usage de la force pour défendre sa nation. L’être humain se limite-t-il alors aux frontières ? Martin Steffens a cherché à comprendre là où l’humain se fait… ou se défait.
L’inhumain, une catégorie morale
Lorsque l’on parle de crime contre l’humanité, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’une catégorie morale ou juridique. Or, selon Martin Steffens, le concept “d’inhumanité est bien plus flou” et entre difficilement dans une case précise. Preuve en est les personnes condamnées pour ces crimes n’avaient pas du tout l’impression d’appartenir au camp de l’inhumanité. Au contraire, explique le philosophe, "ils reproduisent un geste aussi vieux que l’homme, un peu comme le péché originel : distinguer l’homme de l’animal pour reléguer une partie de nos semblables dans l’animalité.”
Nous attestons de notre propre humanité en la refusant à quelques-uns.
Ainsi, l’inhumanité est toujours déterminée après coup. “Nous attestons de notre propre humanité en la refusant à quelques-uns.” Pour être inhumain, il faut donc faire nombre. Martin Steffens cite l’anthropologue René Girard, qui qualifiait le bouc émissaire d’“unanimité moins un”.
L’humanité limitée à la frontière nationale
L’humain se constitue en famille, en groupe, en nation. Mais l’inhumanité commence là où ce groupe trouve ses limites, souligne Martin Steffens. “La nation, finalement, quand on regarde ce que c’est, est un espace politique qui vient borner notre compassion, notre empathie, notre sympathie, en raison de la fameuse raison d’État, qui fait qu’à un moment donné, là, on peut tuer, on peut laisser mourir…”
Cette question des limites de l’humanité se pose particulièrement dans le christianisme, qui affirme que nous devons nous aimer les uns les autres. Or, rappelle le philosophe, les chrétiens se sont bel et bien entre-déchirés au nom de la nation, notamment lors des deux guerres mondiales.


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