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Les esprits s’échauffent : l’accord de 1968, épicentre de la guerre froide entre Paris et Alger

Les esprits s’échauffent : l’accord de 1968, épicentre de la guerre froide entre Paris et Alger

Un article rédigé par LD & PD - RCF, le 10 mars 2025 - Modifié le 10 mars 2025
L'Invité de la MatinaleBenjamin Stora décrypte les accords France – Algérie

C’est une dissension au plus haut sommet de l'État concernant les relations entre la France et l'Algérie. Bruno Retailleau, soutenu par François Bayrou, plaide pour un réexamen de l'accord bilatéral de 1968, qui encadre les conditions d'immigration des Algériens en France. Un bras de fer auquel Emmanuel Macron s’oppose, privilégiant le dialogue diplomatique. Décryptage de cet accord controversé avec Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie et auteur de L'Algérie en guerre – Un historien face au torrent des images.

Benjamin Stora © Pierre-Hugues DuboisBenjamin Stora © Pierre-Hugues Dubois

Les relations franco-algériennes sont au plus bas. Après les déclarations d’Emmanuel Macron sur le Sahara occidental, l’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et le rappel de l’ambassadeur algérien en France, la proposition de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, de réexaminer l’accord de 1968 vient encore alourdir le climat. Pourtant, des efforts avaient été entrepris ces dernières années, notamment par le biais du travail historique et mémoriel. Benjamin Stora revient sur cette montée des tensions.

Macron et le Sahara occidental : un catalyseur de tensions

Rien ne va plus entre la France et l’Algérie depuis la prise de parole d’Emmanuel Macron sur le Sahara occidental l’été dernier. Lors d’un discours devant l’Assemblée marocaine à Rabat, le président français a affirmé que le Maroc devait pouvoir contrôler ce territoire disputé, rompant ainsi avec la position traditionnelle de la diplomatie française. Cette déclaration a provoqué la colère d’Alger, qui soutient le Front Polisario et revendique le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. 

Jamais les relations entre la France et l’Algérie n’ont été aussi tendues depuis l’indépendance de 1962

Selon Benjamin Stora, la France avait jusqu’ici adopté une posture d’équilibre, tout en ayant une inclination implicite en faveur du Maroc. "La position officielle française était celle d’un référendum d'autodétermination des populations sahraouies", explique-t-il. En se positionnant ouvertement en faveur du Maroc, Emmanuel Macron a profondément heurté Alger, aggravant un contentieux diplomatique déjà fragile. "Jamais les relations entre la France et l’Algérie n’ont été aussi tendues depuis l’indépendance de 1962", souligne l’historien. Si des périodes de crispation ont déjà eu lieu, comme en 1973 avec les attentats à Marseille ou la nationalisation des hydrocarbures en 1971, la situation actuelle est inédite. Depuis huit mois, l’ambassadeur algérien en France n’a toujours pas été rétabli dans ses fonctions, signe d’une rupture diplomatique persistante.

L’accord de 1968 : un sujet qui divise jusque dans l’exécutif

La détérioration des relations franco-algériennes s’inscrit également dans le débat national sur l’immigration, un sujet qui préoccupe de plus en plus les Français. Dans une tribune publiée dans la presse, Gabriel Attal a proposé de réexaminer l’accord de 1968 sur la circulation et l’emploi des Algériens en France, appelant à une relation "normale et dépassionnée" avec Alger. Une proposition soutenue par Bruno Retailleau et François Bayrou, mais à laquelle Emmanuel Macron s’oppose fermement. Au sein même de l’exécutif, le sujet divise. Certains estiment que cet accord, qui accorde des facilités particulières aux Algériens par rapport aux ressortissants d’autres pays, doit être réévalué dans le contexte migratoire actuel. D’autres considèrent qu’une remise en question de cet accord ne ferait qu’envenimer la crise diplomatique avec Alger.

En 1968, le général de Gaulle a voulu réguler les flux migratoires en instaurant une forme de quota, alors que la libre circulation prévalait auparavant. Cet accord n’a donc pas favorisé l’immigration, il l’a encadrée.

Pour Benjamin Stora, cette remise en cause repose sur une lecture erronée. "En 1968, le général de Gaulle a voulu réguler les flux migratoires en instaurant une forme de quota, alors que la libre circulation prévalait auparavant. Cet accord n’a donc pas favorisé l’immigration, il l’a encadrée", précise-t-il. Par ailleurs, il doute que cet accord soit réellement responsable du refus de l’Algérie de reprendre certains de ses ressortissants jugés dangereux par la France. Enfin, l’historien rappelle que pour dénoncer l’accord de 1968, un consentement mutuel entre Paris et Alger serait nécessaire. Au vu de la situation actuelle, une telle renégociation semble hautement improbable.

Une tentative de rapprochement par le travail mémoriel

En 2020, Emmanuel Macron avait chargé Benjamin Stora de rédiger un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, dans l’espoir d’apaiser les tensions historiques entre les deux pays. "Je l’ai remis en 2021 avec toute une série de préconisations, notamment la reconnaissance par la France de l’assassinat de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel, ainsi que des massacres de Pieds-Noirs le 26 mars 1962 à Alger", se souvient l'historien. L’objectif du président était d’ouvrir un dialogue mémoriel et de faciliter la réconciliation. Pourtant, force est de constater que cette initiative n’a pas suffi à apaiser les tensions. 

©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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