
Le 15 mai 2025, les responsables des cultes de France ont signé ensemble une tribune concernant le texte de loi sur l'aide active à mourir. Catholique, protestant, juif, musulman et bouddhiste dénoncent tous la "rupture anthropologique" qu'entraînerait l'adoption d'une telle loi. Faire front commun n'est pourtant pas si simple entre les différentes religions, et même au sein des sensibilités chrétiennes.
Le 15 mai dernier, les représentant des églises chrétiennes n'ont pas hésité à dénoncer ensemble "une rupture anthropologique” que pourrait provoquer l'application de la loi sur l'aide active à mourir qui entre dans sa deuxième semaine de débat à l'Assemblée nationale. il existe pourtant quelques points d'accroche entre les différentes confessions et même en leur sein.
D’un côté de l’éventail des sensibilités : la communion des églises anglicanes. Sans magistère unique, leurs déclarations varient en fonction du pays où les communautés sont implantées. En 2016 par exemple, le Synode général de l'Église anglicane du Canada avait qualifié le texte de loi sur l’euthanasie et le suicide assisté d’ “échec de notre société”. Un an plus tard, à Londres, le gouvernement de l’Eglise d'Angleterre, quant à lui, soutenait la loi sur l’aide active à mourir au nom du “respect de l’individu”.
"On vit désormais beaucoup plus longtemps. Cette vie prolongée n'est pas dans les mains de Dieu, mais dans celles du corps médical, explique le père Mark Barwick, actuellement responsable de la communauté anglicane de Strasbourg, alligné à l'Eglise d'Angleterre. Choisir sa mort permet ainsi à l'individu de reprendre le contrôle sur sa vie. De manière générale, nous nous positionnons en faveur de la vie, mais de la vie dans la dignité, tempère le prêtre qui a également a exercé son ministère en Belgique où le suicide assisté est autorisé depuis 10 ans.
Sur cette même notion de dignité, les militants anti-euthanasie comme certaines églises réagissent. “Faire mourir ne peut être le choix de la dignité” déclarait le 8 mai Mgr Eric de Moulin-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France. A noter que les anglicans ne font pas partie de la Conférence des responsables de culte en France.
Côté protestant, la position est plus nuancée. "Dans le protestantisme, nous avons deux tendances : l'une pour l'aide active à mourir dans certains cas par des sensibilités plutôt luthéro-réformées, l'autre contre plutôt partagée par les protestants évangéliques. La barrière est transversale plutôt que structurelle : il y a des évangéliques qui pensent comme des luthéro-réformés et vice versa", explique Jean-Gustave Hentz, président de la Commission Ethique et Société de la Fédération protestante de France (FPF).
L'éthique de situation est une spécificité du protestantisme. Or, les situations ne sont pas les mêmes.
Au sein d'une même église, on peut noter un léger glissement depuis quelques semaines. En 2019, l'Union des églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (UEPAL) publiait une série de brochures intitulées "Ce que nous croyons". Dans celle dédiée aux questions de fin de vie, on trouvait ces lignes : "L’éthique protestante reconnaît la responsabilité de l’homme sur sa propre vie. Elle n’encourage pas le choix d’y mettre fin, tout en reconnaissant l’existence de situations
tragiques (...) Elle ne saurait donc condamner ce que Dieu lui-même peut pardonner." Un texte signé par Isabelle Gerber appartenant alors au groupe de réflexion "Fin de vie" de l'UEPAL.
Devenue depuis la présidente des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine, elle utilise désormais davantage la notion “de défense de la vie jusqu’au bout ” tout en défendant l'Eglise de toute "culpabilisation de gens qui essaient de bien faire."
Cette souplesse serait ainsi une "spécificité" des églises protestantes. "L'éthique de situation permet de mieux correspondre à la réalité. La force de l'éthique de principe est d'être claire, mais parfois elle ne répond pas toujours aux besoins."
A l’autre bout du spectre, on trouve les catholiques, les orthodoxes et les évangéliques. Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a d’ailleurs rappelé début mai sa position résolument opposée à l’aide active à mourir sous n’importe quelle forme et n’importe quelle condition. Cette affirmation prend ses racines dans la Bible. "Dans l'Ancien testament, on trouve le roi Saul qui veut mourir, ou Job qui demande que Dieu mette fin à sa vie qui était une longue suite de souffrance. Au fil du récit, son désir change et son état s'améliore." commente le pasteur Glynn Hackett, président de l'Entente des Eglises Protestantes Evangéliques de l'Eurométropole de Strasbourg.
Un clin d'oeil à l'appel commun des églises chrétiennes d'appliquer davantage la loi Clayes-Léonetti qui donne le cadre légal depuis 2016 de la fin de vie en France. Le président de la République, Emmanuel Macron, s’est pourtant dit favorable à une loi "d'humanité, de fraternité" permettant une aide active à mourir dans des cas encadrés.« Je pense qu'il faut faire évoluer notre droit en étant respectueux de tous les débats et toutes les convictions », a-t-il expliqué. Précisons que le président a tenu ses propos au sein de la Grande Loge de France, à une semaine de la reprise des débats sur la fin de vie à l’Assemblée nationale. La déclaration n’a pas manqué de faire réagir la Conférence des évêques de France. Dans un communiqué, le président Mgr Eric de Moulins-Beaufort a fustigé la notion de “moindre mal” évoquée par le Président.
Face à cette opposition farouche sur le sujet du suicide assisté, le dialogue entre les responsables des églises et le gouvernement reste tendu. Reçus à l'automne 2023 à l'Elysée aux côtés des chefs juifs, musulmans, et bouddhistes, les responsables des églises chrétiennes avaient exprimé leurs inquiétudes et leurs réticences au sujet du projet de loi sur la fin de vie de l'époque. Après la dissolution de l'Assemblée en juin 2024 entraînant l'arrêt des discussions, ils n'avaient plus été sollicités.
Jusqu'à ce que la commission parlementaire porteuse du projet leur demande un nouvel avis. Les responsables des cultes de France ont donc adressé un nouveau texte aux députés la semaine dernière pour réaffirmer leur opposition contre l’aide active à mourir et le soutien aux soins palliatifs. Le Dr Jean-Gustave Hentz qui en a été une cheville ouvrière ne se fait toutefois pas d'illusion : "C'est le 4e ou 5e texte que nous écrivons. Nous n'avons pas été écoutés jusqu'ici." Lors de leur plaidoyer au printemps 2024, ils avaient pourtant obtenu la réintroduction des "soins spirituels en fin de vie" qui avaient disparu de la dernière mouture.
Dans la pratique, l'accompagnement spirituel des patients qui pourront avoir recours à l’aide active à mourir n’est pas si évident. Responsable de la Pastorale de la santé dans le diocèse de Strasbourg, Jean-Paul Malo Dufour y voit même un risque de scission au sein des équipes. "Les questions qui se posent pour les soignants se posent pour les aumôniers : en étant présent à un moment ou un autre, est-ce qu'on cautionne l'acte ou pas ? Il va falloir accompagner les aumôneries au niveau national parce que les sensibilités varient parmi les aumôniers, s'inquiète-t-il.
Lui-même aumônier en hôpital, il ne s'interdit pas la possibilité d'accompagner des patients ayant fait le choix de recourir à un suicide assisté et qui demanderaient à être accompagnés spirituellement. "Je ne suis pas le distributeur de la grâce. Qui suis-je pour juger la personne ? En revanche, je ne serai pas présent au moment où le patient s'administrera la mort. je n'accompagne pas la fin de vie, mais la vie jusqu'au bout. " Les discussions sont donc ouvertes au sein des églises, en attendant le vote des députés prévu le 27 mai prochain.
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