Dans leur livre L’Abbé Pierre, la fabrique d’un saint (Allary Éditions), les journalistes Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin affirment que le Vatican était alerté dès l’automne 1955 du comportement de l’abbé Pierre. Le livre s’appuie sur des archives du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, autrefois appelées le Saint Office. En particulier, sur une réunion tenue le 18 mars 1957.
Des alertes envoyées par des cardinaux américains
Le compte-rendu de cette rencontre, d'une dizaine de pages, retrace la chronologie des faits entre 1955 et 1957 : courriers d’alerte envoyés par des cardinaux américains et canadiens, demande au nonce apostolique en France "de suivre de près le cas de l'abbé Pierre", aussi soupçonné de sympathies communistes. Un chanoine aurait également écrit en octobre 1955 pour alerter sur des "choses immorales" commises par l’abbé aux États-Unis. Aucune suite n’aurait été donnée.
Ces révélations interviennent alors que 33 accusations de violences sexuelles, certaines sur mineurs, ont été portées contre Henri Grouès depuis 2024. En France, l’ouverture anticipée des archives de l’Église a déjà mis en lumière le silence de la hiérarchie épiscopale à la fin des années 1950.
Une voie détournée pour avoir accès aux archives
Pour Laetitia Cherel, le traitement du dossier à l’époque montre une absence totale de considération pour les victimes. "Le mot 'victime' n’est jamais cité. C’est la crainte du scandale qui domine, analyse-t-elle. Le charisme de l’abbé Pierre, considéré comme un "électron libre", et son aura auprès des plus pauvres l’auraient en partie protégé.
Le pape François a reconnu en septembre 2024 que le Vatican était au courant des accusations depuis au moins la mort de l’abbé Pierre en 2007. Mais la demande des évêques de France, sur ce que le Vatican savait, est restée pour l'instant sans réponse publique.
Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin ont utilisé "une voie détournée" pour pouvoir consulter les archives concernant le fondateur d'Emmaüs. Elles ont accédé à un fonds d’archives ouvert depuis 2020, couvrant la période du pontificat de Pie XII (1939-1958), et initialement rendu public pour permettre aux chercheurs d’approfondir la position du Vatican face au régime nazi. C’est dans ce fonds qu’elles ont découvert un "dossier cartonné de couleur bleue" au nom de l’abbé Pierre.
Le livre évoque aussi des propos tenus en 1944 par l’abbé Pierre à l’égard des Juifs, ainsi que son soutien dans les années 1990 au philosophe révisionniste Roger Garaudy.