« Fratellino », petit frère. C’est le nom qu’Ibrahima donne à son frère cadet. Dans leur langue maternelle, cela se dit « Minian ». Et le petit frère appelle son grand frère « koto ». C’est la coutume dans leur pays, la Guinée.
Le vrai prénom du petit frère, qui n’a que treize ans, c’est Alhassane. Alhassane a un rêve : aider son grand frère et sa mère restée veuve avec deux autres enfants, deux filles à élever. Alors un jour Alhassane disparaît. On le cherche partout sans le trouver. Au bout de plusieurs mois, il appelle au téléphone : il est en Lybie.
Qu’est donc allé faire cet enfant en Lybie ? Poursuivre un rêve, celui de passer en Europe pour, de là, secourir sa famille. Mais quand il téléphone de Lybie, avant que la communication soit coupée, on comprend que le rêve a tourné au cauchemar. Alhassane pleure et dit : « maintenant, il n’y a plus que Dieu qui puisse m’aider ».
Alors Ibrahima, qui travaille et gagne sa vie à Conakry en conduisant et réparant des camions, n’a plus qu’une idée en tête : retrouver Minian, retrouver Alhassane son frère. Il rassemble toutes ses économies, se met d’accord avec un conducteur de camion et part pour un voyage qui le conduit à Bamako. À Bamako il trouve un car qui va à Gao au Mali – encore 9000 francs CFA à débourser. Mais à Gao, c’est un piège qui l’attend : celui de la traite de migrants organisée avec l’aval des terroristes islamistes à qui elle rapporte de l’argent, un vrai trafic d’esclaves auquel il ne réussit à échapper qu’en s’évadant de nuit avec un compagnon d’infortune qui, lui, sera repris.
Ensuite, il faut marcher. Marcher à travers le désert sous une température insupportable et sans rien à manger ni à boire. Ibrahima sera sauvé de la mort par un motard qui passait par là et qui aura pitié de lui. Et il finira par arriver en Lybie.
Il résume la Lybie en une phrase : « la Lybie est un autre monde, fait pour souffrir ». Mais c’est de Lybie que le fratellino a téléphoné : même si tout le monde dit à Ibrahima de ne pas y aller, il y va quand même. Et là, c’est un autre enfer pire que les enfers qu’il a connus jusqu’ici. Partout il tombe dans des traquenards, partout il en réchappe, partout il montre la photo d’Alhassane en demandant qui l’a vu passer. Jusqu’au moment où il apprend un nouveau mot français qu’il ne connaissait pas jusque-là : ce mot, c’est naufrage.
Naufrage. Tu ne comprends pas, Ibrahima ? Alhassane a fait naufrage. Tu ne le reverras plus, il est mort dans un naufrage. Quand il sera remis de la profonde dépression causée par cette nouvelle, Ibrahima n’aura plus qu’une seule solution : embarquer à son tour. Et les passagers de l’embarcation de fortune seront sauvés in extremis au large de Tanger.
Qui m’a raconté son histoire ? C’est le Pape, le Pape François à l’occasion d’une rencontre où j’étais présent avec les évêques italiens. L’histoire a été écrite sous la dictée d’Ibrahima par un écrivain journaliste. Elle s’appelle « Fratellino », petit frère. J’ai eu envie de la résumer pour vous, sans autre commentaire.
Droits image: RCF