
L'édito de Sr Véronique Margron
Sr Véronique Margron est religieuse dominicaine, présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France). Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
Episodes
- Des piliers de l’humanité
Chers amis
Il est des femmes et des hommes qui sauvent le monde. Dont l’humanité pleine, la présence,
l’action, la pensée, donnent encore courage en notre temps, malgré tout. Malgré les
cyniques, les menteurs ou ceux qui ne semblent n’avoir pas d’autres intérêts qu’eux-mêmes,
quitte à en précipiter d’autres dans le désespoir, la mort, la misère.
Il est des femmes et des hommes qui nous sauvent chacune et chacun quand nous nous
perdrons nous aussi dans les calculs, les replis, l’indifférence et la défiance.
Si nous y regardons bien, je crois que chacun de nous en connaît. Dans ses proches, ses
voisins, ses collègues, ses amis. Dans l’ordinaire du temps.
J’ai eu le privilège immense de rencontrer, il y a maintenant bien des années, un de ces
colosses de l’humanité. Tête de pont de tout un peuple de vies meurtries et pour beaucoup
relevées, aujourd’hui militantes et combattantes de la justice, des droits et de la dignité. Cet
homme est désormais bien connu et j’en ai déjà parlé dans cette chronique, le docteur Denis
Mukwege, Prix Nobel de la paix, gynécologue à la clinique Panzi de Bukavu dans le sud Kivu
de la République démocratique du Congo. Inlassable combattant pour sauver et restaurer le
corps mutilé des femmes et des enfants. Le corps, mais alors l’âme aussi dans une approche
toujours globale de la personne. Depuis l’ouverture de Panzi, plus de 55 000 femmes et
enfants y ont été soignés.
Au cours de ce printemps, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, s’est rendue à
Bukavu afin que tous deux mettent en place ensemble un travail de recherche sur la capacité
psychique de relèvement des femmes victimes de violences sexuelles extrêmes, de viol
comme arme de guerre.
Ils ont ainsi créé une chaire de philosophie afin d’étayer la compréhension ce qui vient aider
ces femmes, spécialement les chants, la danse, les arts. Car dire les mots, raconter le trauma
est bien souvent impossible pour elles et pour longtemps.
Avec ces recherches, c’est bien de transformer la vulnérabilité en compétence dont il s’agit,
s’appuyant sur le « savoir expérientiel » forgé au cours de ce que ces femmes ont subi de
déflagrations, mais aussi à travers les parcours de soins. C’est encore tous les soignants qui
font face à ces traumatismes d’au-delà du pensable qu’il s’agit de soutenir et d’accompagner
afin qu’ils puissent continuer leur engagement.
Dire alors mon admiration et ma gratitude immense à toutes celles et ceux qui de par le
monde mettent leurs excellences autant que leur humanité et leur courage au service de
toutes les vies meurtries ou abandonnées. Ils sont notre socle pour, à nos mesures, ne rien
céder à la lassitude, à la violence, au mépris.
Durant l’été gardons le cœur éveillé je suis sûre que nous allons croiser de ces colosses de
l’ordinaire !
Véronique Margron op. - Penser en écart
Avoir une pensée de l’écart. Reconnaître que le monde est complexe et compliqué. Qu’il n’y
a pas de réponse simpliste et des problèmes aux multiples facettes : crise écologique,
économique, décision personnelle aussi.
Bref aimer la pensée de l’écart, du dérangement. Comme pour la Bible, savoir qu’il faut
passer par l’écart pour mieux voir, faire un détour.
Dans ce détour le philosophe François Julien, sinologue autant qu’helléniste, excelle. Et les
Essentiels de La Vie ont eu la riche idée de l’interviewer il y a environ un mois.
Il y raconte son parcours philosophique, devenir helléniste pour la clarté, mais ensuite
s’aventurer « ailleurs » pour « penser autrement » et il part en Chine. Pour sa « pure
extériorité ». Interroger notre façon de penser occidentale, celle sur Dieu, sur le bonheur, la
liberté, la vérité, l’être, depuis un détour et devenir ainsi sinologue !
Voilà qui lui permet, de livre en livre, de dénoncer les pseudo-sagesses du développement
personnel où nous nous complaisons bien souvent, des pensées faciles qui offrent des
solutions toutes faites. Prenant acte du retrait du religieux dans l’acte de penser ce qu’est
l’existence, François Julien note combien « le terrain du vivre est tombé en déshérence »,
récupéré alors par le « boniment » de marchands de bonheur. Ce qu’il développe alors et qui
rejoint je crois profondément notre foi et son intelligence, c’est le concept, l’idée de « dé-
coïncidence ». Quand tout coïncide, « ça colle » comme nous disons. Or cette adéquation
devient vite stérile puisque plus rien ne circule, puisqu’il n’y a plus d’écarts, de frottements.
Notre enjeu à tous, dans nos vies, dans la politique, dans l’Église comme avec la démarche
synodale, c’est remettre du possible et pour cela il nous faut « dé-coïncider » ce que nous
pensions, faisions jusque-là. Profondément, fondamentalement, espérer rencontrer l’autre,
le proche, le voisin, le voyageur, l’autre culture, religion, Dieu lui-même, impose de « dé-
coïncider d’avec soi-même » ; de ces remarques par exemple, « moi j’ai vécu la même
chose », ou « si j’étais vous »… Et le philosophe de conclure son entretien par la figure de
Jésus, le « grand dé-coïncidant » qui a fissuré la loi pour rouvrir des possibles d’amour ».
Magnifique ! à notre tour !
Véronique Margron op. Pentecôte au désert
5 juin 2022En ce dimanche, au cœur des fracas du monde, des tragédies et des crimes subis par tant et tant de nos contemporains, célébrer l’Esprit. Autrement dit célébrer qu’il est possible de se comprendre, chacun dans sa langue, dans le respect de sa culture, si tous nous consentons à ne pas être les maîtres du monde et de l’histoire, mais juste les serviteurs de la vie de l’autre, de tout autre. Une vie qui vient d’un Autre.
En lisant La Croix de cette semaine, un portrait réalisé par l’excellent Loup Besmond de Senneville m’a frappé, comme un signe vivant de la Pentecôte. « Un témoignage au milieu du désert ».
Il s’agit de Mgr John MacWilliam, évêque de Laghouat dans le sud du Sahara algérien. Ancien officier d’infanterie en Irlande du Nord puis au ministère de la défense à Londres – il est devenu évêque du Sahara après être entré dans la congrégation des Missions africaines, à la suite de sa rencontre avec des musulmans à la foi vive. En effet, il avait découvert au Soudan « la ferveur des musulmans » et décidé́ alors d’y consacrer sa vie. Il raconte cet épisode : un jour de 1976, alors qu’il était jeune capitaine, son chauffeur lui demande s’il peut s’arrêter pour pouvoir prier. « Alors qu’il sortait de la voiture pour prier et se tournait vers La Mecque, je restais à l’intérieur pour prier de mon côté. Ce jour-là, j’ai été́ frappé par l’absurdité́ de la séparation des croyants, alors que nous prions le même Dieu ».
Son territoire est grand comme le Mexique, deux millions de kilomètres carrés, avec une dizaine de communautés. Ses « paroissiens » : surtout des prisonniers subsahariens des prisons du sud de l’Algérie, qu’il visite avec les prêtres de son diocèse. « Je me souviens – raconte-t-il à Loup Besmond - de quatre prisonniers camerounais, de leur joie de recevoir une visite la veille de Noël, alors qu’ils éprouvaient douloureusement le manque de leurs proches et de leurs familles, à des milliers de kilomètres de là. »
Le sens de l’Église en cette région désertique ? C’est une présence, simplement. « Celui qui nous envoie, Jésus, nous a dit : ” Allez dans le monde entier”, Il n’a pas dit d’éviter certains pays ou certaines zones, mais de se rendre dans le monde entier. Donc le sens, en étant ici, c’est d’accompagner Jésus dans le désert. » Et si nous n’étions pas là, ajoute-t-il, comment les gens qui y habitent se feraient-ils une idée sur les chrétiens ? « Et puisque l’on est là, on cherche comment faire pour aider. Parfois, on ne peut rien faire. Parfois, c’est juste saluer les gens dans la rue. Rien de plus. Mais c’est déjà̀ beaucoup. »
Être là, pour de vrai, attentif, écoutant, aimant et faire tout son possible. Beau dimanche de Pentecôte !
Véronique Margron op.
https://www.la-croix.com/Religion/Leveque-Sahara-Mgr-John-MacWilliam-pas-Charles-Foucauld-2022-05-13-1201214979Le trouble du deuil prolongé
29 mai 2022Sans doute n’êtes-vous pas familier du DSM. Autrement dit du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – un document de référence sur la planète « psy », porté par l’Association américaine de psychiatrie. Une institution depuis 1952, afin d’harmoniser les critères diagnostiques des troubles mentaux, et faciliter pour les médecins un même langage. On en comprend facilement le sens et l’intérêt thérapeutique ; il faut nommer pour mieux soigner. Mais ce classement ne cesse de faire débat et difficulté.
Par exemple, jusqu’en 1973 l’homosexualité y était considérée comme une maladie mentale. En revanche, dans ces 2 premières versions, 1952 et 73, la pédophilie – au sens du trouble psychosexuel – n’existe pas. Il faut attendre le DSM 3 ( 1983) pour qu’elle soit intégrée aux troubles sexuels et même 2015 qu’apparaisse la notion de « trouble pédophilique » qualifiée comme – je cite « une préférence pour cibles anormales ».
De quoi interroger sur les normes en vigueur dans ce manuel pourtant de référence.
Voici donc qu’aujourd’hui apparait une nouvelle pathologie : le TDP : le trouble du deuil prolongé. Il s’agit d’un mal-être persistant au-delà d’un an après le décès d’un proche pour un adulte, et persistant au-delà de six mois si la personne endeuillée est un enfant. Les symptômes : « une peine intense », « le refus de croire à la mort de son proche », « une grande solitude », « des difficultés à poursuivre sa vie, à faire des projets ».
Faut-il vraiment médicaliser le chagrin ? Croire que si je ne suis pas dans la « bonne » norme, je suis malade ? de pleurer encore père, mère, conjoint, enfant, ami proche, des années plus tard ? De se sentir épuisé ? de souffrir du manque, de l’abandon? d’être et soulagé et perdu ? Si le deuil est universel, il est tout autant singulier. Le deuil idéal serait alors celui qui permet de retourner travailler au plus vite, de n’ennuyer personne. Bref qui ferait tourner la page et ranger cette chose dans son petit tiroir bien étanche et « avancer », comme ont dit.
Nous savons tous qu’il existe des caps symboliques, spécialement cette première année, car comme cette première fois de toutes choses sans l’autre. Le magnifique et bouleversant livre de Christine Pedotti – L’Inconsolée- le raconte avec une rare sensibilité.
Et que dire de nos deuils si malmenés durant les confinements ? Faut-il les psychiatriser ? Ou plutôt doucement tenter de se réconcilier avec ce que nous n’avons pu vivre ? avec la maltraitance imposée par ces temps et leurs contraintes.
Le deuil nous mène – durant des années souvent - dans des hauts et des bas, y compris en se faisant aider. Rien de linéaire dans ce voyage, à chaque fois inconnu.
Des liens mystérieux nous attachent avec ceux qui sont partis. Ils nous travaillent du dedans. Entendre, là, l’invitation à remettre de la vie en soi, comme seule façon d’assumer sa dette et sa place de survivant.
Véronique Margron op.
Voir La Croix du 24 mai :
https://www.la-croix.com/JournalV2/Le-temps-deuil-est-compte-2022-05-24-1101216575- Chers amis
Il y a quelques jours, j’ai eu la chance d’être à Rome à l’Assemblée plénière internationale de
supérieures générales. Des femmes responsables de près de 800 instituts religieux dans le monde.
Avec elles alors un petit peuple de dizaines de milliers de religieuses engagées sur toutes les terres,
sous toutes les latitudes humaines.
Très beau visage de toutes les couleurs de la vie religieuse. À travers lui, se dit avant tout une
solidarité d’humanité. Toutes ces sœurs se font les proches de femmes et d’hommes, de toutes
religions et situations. Tous sont estimés, épaulés de la même manière, et ces milliers de femmes
leur sont présentes avec passion et générosité. Dans les quartiers, les villes, banlieues ou campagnes
les plus lointaines.
Peut-être que là est le propre la vie religieuse, ce qui lui est commun, à travers une infinie diversité :
faire du lien, tisser un réseau d’amitié, de solidarité. Bref d’humanité.
Là est ce que j’aime par-dessus tout de cette vie. Son incarnation. Avant tout discours. Se faire
proche et engagée. Une fraternité universelle, à l’aune de celle qui se célèbre ce dimanche à Rome
avec la canonisation de Charles de Foucauld.
Pourtant, je ne crois pas ignorer tous les problèmes qui traversent la vie religieuse comme l’Église
catholique dans son ensemble. Scandales des abus de pouvoir, de conscience, spirituels ; sexuels
aussi. Crises de gouvernance, infantilisation des personnes … Bref la liste est longue des maladies de
la vie religieuse. Il faut les regarder en face pour espérer y remédier, un peu du moins.
En même temps il y a toutes ces femmes magnifiques, de tous âges. Y compris les plus vieilles aux
rides mémoires de leurs présences actives auprès de vies douloureuses, trop seules, trop pauvres,
trop cassées.
Le thème de cette Assemblée – à Rome- était la vulnérabilité, cette vérité de chacun, de nos sociétés,
de notre planète, de notre histoire. Si souvent nous la masquons, ou prétendons la dominer. Alors
penser la vie et la vie religieuse à partir d’elle ce n’est pas déclarer que nous serions des toutes
petites choses – ce que nous sommes tous en fin de compte ; des « bulles de savon » dit Sylvain
Tesson – mais c’est dire qu’elle recèle un potentiel magnifique de transformation de nos existences.
Devant les mutations sans précédents auxquelles nos générations sont confrontées, le chemin de la
vie religieuse n’est pas de s’adapter, mais bien de se transformer, du creux de la reconnaissance de
notre vulnérabilité, de nos chaos. Le faire ensemble et pas sans d’autres que nous. Pas sans notre
Dieu, lui qui est toujours neuf. Pas sans notre courage autant que notre créativité et notre ténacité.
Invitation profonde et risquée. Celle de la vie fragile, précaire et belle dont nul ne peut prévoir le
chemin.
Qu’espérer alors de toutes mes forces sinon qu’à sa très modeste mesure, la vie religieuse en ce
temps et en ce monde réel contribue à l’histoire où nous sommes, à la rendre plus humaine.
Véronique Margron op. Patrice et Stéphanie
1 mai 2022Patrice et Stéphanie
Vous ai-je déjà parlé de Stéphanie ?
Je ne crois pas.
Alors voilà son histoire. Plutôt la mienne avec elle.
Il y a quelque temps maintenant, je reçois une dame, environ 40 ans. Grande, élégante, elle me serre
la main avec franchise.
Je l’invite à entrer dans mon bureau et comme je suis arrivée chez moi ventre à terre après une
réunion, je ne sais plus bien de qui il s’agit. Je n’ose le lui demander, de peur de l’attrister et lui
offrant un café l’invite à prendre la parole. Avant tout elle me remercie chaleureusement de la
recevoir aujourd’hui, « dans sa situation ». Je plonge dans la perplexité car j’ai beau fouiller dans ma
pauvre mémoire percée, je ne vois pas de quoi elle parle. Et pourtant, elle a comme un air de famille.
Mais de quelle famille donc ?
Elle me raconte tous les pas qu’elle a franchis ces derniers temps, son déménagement, son nouveau
poste, sa vie amoureuse, la vie donc. Décidément je connais cette dame, mais d’où ?
Elle poursuit et me raconte la souffrance de son épouse qui n’a pu entrer dans son cheminement. Là
je marque un temps d’arrêt, tout intérieur. Son épouse, à Stéphanie ? Mais ajoute-t-elle, elle voit ses
enfants, qui sont encore jeunes, et parvient doucement à raconter qui elle est devenue et pourquoi…
tout en leur disant qu’elle reste… leur papa !
Mes neurones se touchent enfin ! je connais bien cette dame. Je l’ai même régulièrement reçue
depuis plusieurs années. Mais voilà elle s’appelait Patrice… et durant ces années, il a effectué une
transition de sexe, y compris avec de lourdes interventions chirurgicales. Je l’avais aussi reçu avec
son épouse.
Je suis bouleversée et profondément touchée. Du creux de la souffrance sans nom qu’elle a vécue
depuis des années, aujourd’hui elle me parait enfin en paix, elle-même. Elle a bien changé pourtant !
Je me souviens de toute la détresse de Patrice qui, malgré une vie sociale gratifiante, une épouse
aimante et des enfants qui faisaient sa joie, était au bord du suicide et ne voyait pas d’autres issues à
sa vie s’il ne parvenait pas à devenir… elle-même.
Dans ce moment si singulier où Stéphanie me fait la grâce de l’hospitalité à sa vie compliquée,
m’invite au cœur de son drame autant que de son désir tenace d’une unité brisée, l’heure n’est pas
au concept. Elle est moins encore au discours général.
L’heure est à la gratitude d’être là, vivant. Celle qui aurait pu mourir est vivante et du cœur du fracas,
fait tout son possible pour porter sa responsabilité, envers ses enfants, envers son ex-épouse. Ne pas
blesser davantage ni laisser dans l’angoisse. Le faire, et aussi croire en elle, en son avenir, en sa
capacité à aimer et à se laisser rejoindre.
Quand Stéphanie est repartie, j’ai su que mon peu de certitudes s’était encore éloigné, mais que mon
humanité, elle, avait sûrement gagné. Merci à Stéphanie de cette immense confiance.
Véronique Margron op.Être à sa place
22 avril 2022Être à sa place.
Jour d’élection, décisive.
Dans notre pays, où la démocratie s’est construite dans la douleur depuis la Révolution de 1848 et
même depuis celle de 1789, mieux vaut alors que nous mesurions notre chance comme notre
responsabilité.
Une question agite ô combien la société et nombre de nos concitoyens, celle de la place. Trouver sa
place, la peur de se faire prendre sa place et alors la nécessité d’exclure certains, de les éjecter si
besoin, de leurs places. Jusqu’à cette pseudo-théorie construite pour inquiéter d’abord les plus
fragiles du « grand remplacement »… Autant d’expressions qui cristallisent aujourd’hui des
positions tranchées et disent aussi l’inquiétude profonde de beaucoup.
Peut-être qu’aujourd’hui, avant de nous rendre aux urnes, ou juste après, ce serait une bonne
journée pour lire le dernier livre de Claire Marin, « Être à sa place ». Claire Marin est philosophe des
épreuves de la vie et des catastrophes intimes, telles que la rupture ou la maladie. Dans ce beau
livre, elle analyse comment les êtres sont toujours dans « l’entre-deux », car en dépit des rôles
sociaux qui définissent nos identités, écrit-elle, il n’y a pas d’un côté les enracinés et de l’autre les
nomades, « les hommes de la terre et ceux du vent ».
La question de fond serait comment expérimenter qu’il est possible « de se découvrir soi-même dans
l’expérience d’autres manières de vivre. » Mieux construire sa place, dans la mesure même où nous
découvrons que nous pouvons nous déplacer intérieurement, modifier notre place, la rendre plus
souple, accueillante.
Dans nos sociétés modernes il est difficile d’occuper une même place toute sa vie, car les
transformations sociales, culturelles, familiales, le dérèglement climatique et les migrations qu’il
provoque ainsi que les mutations professionnelles font que les places sont mouvantes. Tout cela
peut douloureusement accentuer cette peur très contemporaine d’être remplacé. Remplacé par
d’autres, d’autres cultures, ou encore par des machines. Oui nous pouvons vite être délogés, avec
alors cette angoisse : qu’est-ce que nous reste ?
Dès lors, comment penser autrement et découvrir que je peux faire une place à l’autre sans perdre
la mienne ? C’est parfois même dans ce geste qui accueille l’autre et lui offre un espace que je trouve
ma propre place. La vie n’est pas un jeu de chaises musicales.
Car au bout du compte, développe notre philosophe, chacun de nous est toujours en transit dans sa
vie : entre deux âges, entre deux pensées, deux modes d’existence, parfois deux métiers et « même
deux amours ».
Notre souci en ce temps est bien que personne, en ce pays, n’ait une « vie invivable ». Que notre
société offre l’espace pour construire sa propre place. Peut-être que compte aussi que chacune et
chacun puissent expérimenter que le vrai lieu est avant tout en soi-même, « devenir soi-même une
place, un abri, un refuge, un lieu sûr. Accueillir l’autre et en prendre soin comme une autre manière
de faire de la place à quelqu’un. »
Véronique Margron op.- Le roi d’en-bas
“ Tu diras : le Seigneur en as besoin ” : Jésus doit entrer à Jérusalem sur un ânon qui n’a
jamais été monté, comme il convient à un roi qui va être oint ; tel Salomon conduit à la source de
Gihôn ( 1 roi 1, 33) et acclamé par le peuple. Oui, le roi pénètre dans la ville où sa marche parvient à
son terme.
Un roi nu car justement ni roi, prince ou chef à nos façons. De quoi peut-être nous
questionner en de dimanche du premier tour des élections présidentielles, si essentielles à notre
démocratie. Jésus n’est pas des puissants de son temps, puisqu’ils le mettront à mort, et pourtant
jamais il ne méprise les engagements pour la cité dans le relatif de nos histoires.
Qui est le Seigneur que nous acclamons ?
Nous sommes là. A l’heure de tant de tragédies en ce monde, des atrocités insoutenables en
Ukraine où de jeunes hommes – menant quelques temps avant une existence banale – se sont
transformés en monstres avec la guerre toujours aveugle. Nous sommes là sans comprendre.
Impuissants et perdus. Qui est notre Dieu ? Peut-il venir à notre secours ? Dans cette nouvelle nuit
du monde, notre Dieu se tait, il est un Dieu de l’effacement. De la non-puissance.
Seule cette Grande Semaine peut nous y conduire. Témoins.
Nous sommes là auprès de Simon de Cyrène, disciple de l’avant dernière heure.
Là encore dans les paroles de ce condamné “ souviens-toi de moi Jésus ”, ami dans l’heure
suprême, celle qui récapitule toutes les autres. Lui, il sera avec Jésus, et nous précédera tous dans le
Royaume.
Nous sommes là aussi dans cette émotion du centurion converti par la seule contemplation
de la croix de Jésus. Croix qui ouvre le cœur, dessille les paupières. Non par fascination du sang mais
par le chamboulement devant l’achèvement d’un amour fidèle et immense dans sa discrétion.
Les foules dans la montée vers le Golgotha, Simon, un pauvre bougre sur une croix, un
occupant romain, quelques femmes. Ceux-ci, qui n’ont rien à défendre pour leur compte, savent qui
est Jésus.
En face, des grands prêtres, des chefs et ces soldats qui hurlent “ sauve-toi toi-même ”.
Comme le diable au désert des tentations. Pierre aussi ; Pierre qui depuis les commencements
n’accepte pas la passion de son maître. Lui qui, lors de la première annonce de la Passion, reçu de
Jésus ce titre « derrière Satan ! ». Il faudra que Jésus fasse le chemin en se retournant vers lui, pour
qu’il comprenne, ne soit pas accablé et se relève. Notre Dieu se retourne vers nous afin que nous ne
désespérions pas.
Le Seigneur qui entre à Jérusalem est roi d’en-bas. Sa force est dans le dessaisissement de sa
vie. Jésus n’impose pas le bien, il ne détruit pas le mal. Le Seigneur de l’histoire fait naître l’avenir par
son souffle offert sur la Croix : puissante douceur contre toute violence. Tel est le Salut.
En cette semaine décisive, suivons cet unique Seigneur, celui qui est venu visiter tous les
cœurs pour les ressusciter. « si tu veux… », unique force de ceux qui aiment sans rien capter pour
eux.
Véronique Margron op Éloge de la douceur
3 avril 2022Éloge de la douceur
Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, est morte tragiquement il y a bientôt 5 ans, alors
qu’elle tentait de sauver des enfants qui étaient en train de se noyer.
Elle était une personnalité à part, par sa profondeur, sa force, la liberté de son propos. Par son
écoute sans faille et tout en vive douceur de nos humanités.
« Tu m’as appris à me réjouir de chaque imprévu, tu m’as appris à dire oui, à plonger la tête dans
l’invisible et tu m’as donné une soif de vivre, une soif de célébrer la vie », écrivait sa fille Clara
quelques jours plus tard dans le quotidien Libération.
Alors ce matin, dans ce monde trop brutal, cynique et douloureux, permettez-moi un pas de côté, un
éloge de la douceur d’Anne Dufourmantelle, proposé par l’écrivaine Laurence Vielle.
La douceur est une énigme.
La douceur a la noblesse farouche d’une bête sauvage.
La douceur est la doublure secrète de l’enfance.
La douceur est inquiétante.
La douceur apaise la fièvre des amants
et oppose au bourreau un dernier souffle contre lequel il ne peut rien.
La douceur est frontalière puisqu’elle offre elle-même un passage.
Se diffusant elle altère.
Se prodiguant, elle métamorphose.
La douceur invente un présent élargi.
La douceur porte la vie et la sauve et l’accroît.
La douceur a de multiples affinités avec la lumière.
Sa diffusion, ses métamorphoses, sa nuit.
Douceur de la jonction ciel et mer à Venise.
Douceur des ciels d’été, des atmosphères, des nuages.
Douceur des lampes dans la nuit.
Le ventre d’un animal.
La palpitation d'une veine qui affleure sous la peau.
Une peau très âgée comme un galet translucide.
Une peau de très jeune enfant.
La douceur est harmonie.
La douceur est politique :
Elle ne plie pas, n’accorde aucun délai, aucune excuse ; elle n’offre aucune prise possible au pouvoir.
La douceur est un verbe : on fait acte de douceur. La douceur comme la bêtise ne sait pas bien parler.
Attenter à la douceur est un crime sans nom que notre époque commet souvent au nom de ses
divinités : l’efficacité, la rapidité, la rentabilité.
la douceur nous visite. Nous ne la possédons jamais.
La douceur pose de la lumière sur la nuit hantée.
La douceur pose sur le deuil un visage aimé.
Et sur l’effondrement de l’exil une promesse de rive où se tenir.
Invisible, la douceur se laisse oublier, aussi discrète et essentielle qu’un battement de cœur.
L’angoisse vient dans le corps lorsqu’il est déserté par la douceur.
Il n'est pas toujours doux de vivre, mais la sensation d'exister appelle la douceur.
La douceur c’est la voix que le poète anime et recueille.
C’est une part du monde sauvage déposée là.
La douceur est un retour sur soi qui invente de l’avenir.
Une révolution ouverte.
« la douceur est invincible »
Anne Dufourmantelle, Extraits de Puissance de la douceur, Payot, 2013Victimes et témoins
20 mars 2022Ce 3e dimanche de carême, la liturgie nous fait entendre ces versets au chapitre 3 du livre de l’exode quand Dieu parle à Moïse.
En ce même dimanche, l’Église catholique en France veut faire présentes à sa conscience, à sa vie, à sa foi, l’ensemble des victimes d’abus et d’atteintes sexuelles commis par ses membres.- Lettre d’une mère
« Je suis sûre, Vitia, que cette lettre te parviendra, bien que je sois derrière la ligne de front et derrière
les barbelés du ghetto juif. Je ne recevrai pas ta réponse car je ne serai plus de ce monde. Je veux que
tu saches ce qu’ont été mes derniers jours, il me sera plus facile de quitter la vie à cette idée. »
Ces lignes sont de l’immense écrivain russe Vassili Grossman dans Vie et Destin. Elles en constituent
le cœur : une lettre de douze pages, Lettre d’une mère juive, Ekaterina Savelievna, à son fils en 1941,
quelques jours avant qu'elle ne soit assassinée en compagnie des 30 000 juifs que compte la petite
ville ukrainienne de Berditchev. Elle raconte l’entrée des Allemands dans la ville, la création du
ghetto. Elle a fait comme tout le monde. Elle a pris ses petites affaires, des photos de famille, un
recueil de Pouchkine, un Maupassant en français – Une Vie –, un petit dictionnaire et un livre de
nouvelles de Tchékov. Elle soigne dans le ghetto ou donne des leçons de français et fait des petits
travaux. Elle espère et elle a peur, si peur.
Ce matin encore, seuls les mots des autres, de grands qui ont habité et traversé l’horreur
m’apparaissent justes
Permettez-moi alors, chers amis, de poursuivre la lecture de quelques lignes de la lettre à Vitia.
"Que d'enfants ici, des yeux merveilleux, des cheveux bruns et bouclés, il y a sûrement parmi eux de
futurs savants, des professeurs de médecine, des musiciens, des poètes peut-être.
Je les regarde quand ils courent le matin à l'école, ils ont un air sérieux qui n'est pas de leur âge, et
leurs yeux tragiques leur mangent le visage. Parfois ils se battent, se disputent, rient, mais cela est
encore pire.
On dit que les enfants sont notre avenir, mais que peut-on dire de ces enfants-là ? Ils ne deviendront
pas musiciens, cordonniers, tailleurs. Et je me suis représenté très clairement cette nuit comment ce
monde bruyant de papas barbus et affairés, de grands-mères grognons, créatrices de gâteaux au miel
et de cous d'oie farcis, ce monde aux rituels de mariage compliqués, ce monde des proverbes et des
jours de sabbat, je me suis représenté comment ce monde disparaîtrait à jamais sous terre ; après la
guerre la vie reprendra et nous ne serons plus là, nous aurons disparu comme ont disparu les
Aztèques..."
« Comment finir cette lettre ? Où trouver la force pour le faire, mon chéri ? Y-a-t-il des mots en ce
monde capables d’exprimer mon amour pour toi ? Je t’embrasse, j’embrasse tes yeux, ton front, tes
yeux : Souviens-toi qu’en tes jours de bonheur et qu’en tes jours de peine, l’amour de ta mère est avec
toi, personne n’a le pouvoir de le tuer, Vitenko…Voilà la dernière ligne de la dernière lettre de ta
maman. Vis, vis, vis toujours… »
Véronique Margron Pour son édito, Véronique Margron nous propose le poème de la poétesse ukrainienne Lessia Oukraïnka, morte en 1913, qui raconte à lui seul l’esprit de ce peuple. Et en ce Carême si douloureux, gardons au cœur ses paroles et supplions ave celles du livre de Judith : « Le Seigneur est un Dieu briseur de guerres ; son nom est "Le Seigneur". Il a établi son camp au milieu de son peuple pour m'arracher à la main de mes persécuteurs. » (Jdt 16, 2)
Hommes de fraternité
27 février 2022Hommes de fraternité
« Indignation », « honte », « lâcheté ». Une sculpture en hommage à l’émir Abdelkader
(1808-1883) a été vandalisée à Amboise, quelques jours avant son inauguration, début
février. Du maire d’Amboise au président de la République, tous ont dénoncé
« l’obscurantisme et l’ignorance » de ceux qui ont vandalisé la sculpture, ce « saccage
ignoble » dans une « période où certains se complaisent dans la haine des autres ».
L’émir Abdelkader Ibn Mahieddine (1808-1883) savant musulman et soufi autant que chef
militaire aguerri, est une figure de l’histoire, considéré comme l’un des fondateurs de
l’Algérie moderne. Après sa reddition en 1847, il a été emprisonné à Pau, Toulon, puis au
château d’Amboise de 1848 à sa libération en 1852. Cet « homme passerelle », comme le
qualifie l’historien Benjamin Stora – qui avait proposé cette œuvre à la ville d’Amboise -
s’exile ensuite à Damas, où il s’illustre en 1860, en défendant les chrétiens de Syrie, en proie
aux persécutions. Cet acte fera de lui un symbole de tolérance. Il sera récompensé de la
grand-croix de la Légion d’honneur.
Quelques jours après cet acte imbécile, ignorant autant que violent, le 11 février dernier à
Alger, Jean Paul Vesco jusque-là évêque d’Oran, devenait archevêque de la capitale
algérienne. Et voilà ce qu’il disait :
« Je ne peux être évêque dans ce pays qu’autant que je peux le bénir, c’est-à-dire
étymologiquement, dire et vouloir son bien et celui de ses habitants. Nous partageons la joie
et les peines des citoyens de ce pays, et nous voulons être une Église pleinement citoyenne
qui ne revendique aucun droit sinon celui de pouvoir exercer ses devoirs et sa responsabilité
de citoyen. C’est la couleur particulière du témoignage évangélique de notre Église. Une
Église placée sous le signe de l’alliance avec ce pays et ses habitants. Notre Église en Algérie
se veut aussi discrète, non pas par calcul ou par stratégie, ni même par obligation. Elle se
veut discrète, non pas au sens d’effacée, de timorée, de peureuse. Elle se veut discrète au
sens où on dit d’une personne respectueuse de la vie privée et de la foi des autres qu’elle est
discrète. C’est la raison pour laquelle notre Église, dans son essence, n’est pas et ne peut pas
être prosélyte ».
Alors voilà. À l’heure de la guerre au cœur de l’Europe et d’un monde spécialement
incertain, faire se rencontrer – si je peux dire – Jean Paul Vesco, pasteur de paix et de
respect et l’émir Abdelkader donne encore espoir. Hommes de la fraternité. Pourquoi ne pas
reprendre ce mot de l’émir devenu « ami de la France » : « Ne demandez jamais quelle est
l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez qui il
est. » .
Véronique Margron op.Véronique Margron réagit aux propos d'Éric Zemmour sur le port du voile, le 7 février dernier sur France inter : il qualifiait les "bonnes sœurs" de "professionnelles de la religion".
- Tels sont mes sentiments provoqués par les révélations du livre du journaliste Victor Castanet, dans
son livre enquête sur des Ehpad du groupe Orpéa, Les Fossoyeurs, mettant au jour des pratiques
iniques, profitant sans limite de la vulnérabilité des aînés, quitte à les maltraiter, mais aussi de cette
autre vulnérabilité qui est celle des familles, des proches, qui veulent le meilleur pour leur parent et
pensent que plus c’est cher mieux ce sera.
Me plongent au moins autant dans un malaise nombre et nombre de déclarations politiques tous
azimuts qui semblent découvrir le scandale. Si tel était le cas, cela signifierait que nos dirigeants et
ceux qui prétendent le devenir connaissent bien mal cette question essentielle du souci des plus
fragiles et de sa signification pour une société.
Comment ne pas penser par exemple à l’enquête de Florence Aubenas, en mars 2020, plongeant
dans « la vie sous confinement » dans un Ehpad de Seine-Saint-Denis, où la peur du virus, les
contaminations se mêlaient à la résignation face à la solitude et au manque criant de moyens, de
personnels, de matériel.
De la dignité pour nos aînés, est-ce trop demander ?
Alors, plutôt que des déclarations intempestives, ne vaudrait-il pas la peine d’écouter par exemple le
Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV). , créée fin 2021 à l’initiative de la cardiologue
et fondatrice du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, la docteure Véronique Fournier, avec
trois autres personnes et qui compte une quarantaine de membres.
Il fourmille d’idées pour que « la société́ tienne compte de leur aspiration » - celle des vieux - à
exercer « leur citoyenneté́ », et cesse de les considérer uniquement sous l’angle de leurs défaillances
physiques ou cognitives.
Son ambition, imposer la vieillesse parmi les thèmes majeurs de la campagne présidentielle. Sa
principale revendication : la création d’un « Conseil national des personnes vieilles » (CNPV), une
instance officielle chargée de souffler au gouvernement des mesures adaptées aux personnes âgées
dans toutes les politiques publiques.
Le fil rouge du CNaV tient en peu de mots : « Aucune décision pour les vieux ne doit être prise sans
demander l’avis des vieux »,
Pour Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique et membre du CNaV, il
faut « une structure qui incarne les personnes âgées face aux pouvoirs publics qui fasse avancer le
débat sur leur sort ». C’est aussi le traitement de la crise sanitaire dans certains Ehpad qui a conduit
le sociologue Michel Wieviorka à rallier le CNaV. « Je souscris à l’idée que les solutions doivent venir
de la société́ civile ; que les très âgés doivent en être sujets et acteurs », approuve celui qui s’engage
« en tant que futur vieux ».
Une bouffée d’air !
Véronique Margron - Tel était le titre d’un article du Monde du 18 janvier dernier.
Face à cette conspiration, une femme, Nathalie Matthieu, un homme, le juge Édouard
Durand, tous deux coprésidents de la CIIVISE, demandent « qui veut prendre la parole ? »
Voilà donc toute la différence.
Une « conspiration des oreilles bouchées » et face à elle, bien droits et déterminés, des
femmes et des hommes qui sans relâche disent : « qui peut et veut parler ? Nous vous
écoutons et vous prenons au sérieux ».
Cette scène se déroulait à Lille il y a quelques jours, à l’occasion du tour de France organisé
par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants
(CIIVISE) pour rencontrer les victimes
Leur première victoire, exposer sans fard devant la commission leur récit immensément
douloureux, traumatique. Beaucoup de femmes, de tous âges, de tous milieux.
Ces paroles– comme celles entendues par la CIASE, dont la CIIVISE s’est inspirée, plongent
dans les enfers où chacune de ces histoires singulières s’est retrouvée précipitée.
Ils sont ainsi les vainqueurs de la conspiration des oreilles bouchées qui commence trop
souvent par la famille et se poursuit par les institutions, dont l’Église et ses autorités, pour
son compte.
Édouard Durand parle souvent de la « stratégie de l’agresseur », autrement dit tout ce qui va
participer à l’impunité de son crime. Le silence, la sidération des victimes, l’aveuglement et
la méconnaissance des institutions, le mal à l’aise avec la violence sexuelle commise par ceux
qui doivent protéger comme avec la question du non-consentement ; tout cela participe de
cette stratégie de l’agresseur. Jusqu’au « crime parfait », comme le dit une personne
violentée par un prêtre, quand la victime, sortie de son déni traumatique, découvre alors
que tout est prescrit.
Il faut lire, dans cet article du Monde, les verbatims des témoins. Comme cette maman :
« Quelle mère, ou quel père d’ailleurs, pourrait entendre ce que j’entends sans dénoncer ?
Là, ma fille et moi on nous a réduites au silence (...) au tribunal pour enfants, on m’a dit que
si je ramenais ma fille chez le médecin ou si je reportais plainte, on m’enlevait l’autorité́
parentale. Alors je choisis quoi, moi, entre la peste et le choléra ? »
Ou cette autre victime : le médecin auquel elle confie son souhait de déposer plainte la
décourage, au motif que la vie de son frère – son agresseur – risquerait d’être détruite…
Depuis, c’est en s’informant sur Internet qu’elle a trouvé́ quelques réponses à ses maux.
Alors oui, prenons la résolution, chacune et chacun là où il vit, aime, travaille, de refuser de
nous boucher les oreilles devant les détresses d’enfants ou d’adultes et les crimes qui s’y
cachent. Entrons dans la seule conspiration qui vaille : celle de la solidarité et de la
protection des enfants et des personnes vulnérables.
Véronique Margron op Édito - Handicap : la chance de l'inclusion, n'en déplaise à Éric Zemmour
23 janvier 2022Il arrive sûrement que chacune et chacun de nous puisse dire à peu près n’importe quoi. Et parfois même peut-être des propos choquants ou scandaleux. Mais quand il s’agit d’un candidat à la présidentielle, comme Eric Zemmour qui le 14 janvier dernier déclarait à propos de la scolarisation des enfants porteurs de handicap "je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants", il y a de quoi être en colère. Écœurée aussi.
Chers amis, la semaine dernière, je nous souhaitais une bonne santé, celle qui consiste à pouvoir adopter l’allure de son âge, de sa fragilité, de ses limites. Une bonne santé qui cherche à ne pas opposer la santé et la maladie. Aujourd’hui je voudrais vous souhaiter une belle année. Quand on dit "mes vœux de bonheur pour cet an neuf", là aussi ne pas opposer le bonheur et le malheur, car le bonheur, pas plus que la santé, ne saurait désigner un état. Mais une profondeur...
A l'aube d'une nouvelle année marquée par la pandémie de Covid-19, Véronique Margron nous souhaite de "vivre la santé, celle de nous tous, comme la capacité autant que le désir de s’en sortir, ensemble, les uns pour les autres. Pas les uns sans les autres."
Gaudete, Réjouissez-vous
12 décembre 2021Aujourd’hui, 3e dimanche de l’Avent, l’Église affirme « Gaudete » Réjouissez-vous. le célébrant sera d’ailleurs en vêtement liturgique rose afin de suggérer l’aurore qui vient avec la naissance de l’enfant-Dieu. Voilà qui est magnifique.
Mais ce matin, chers amis, je m’interroge. Comment se réjouir ?
Nous sommes dans la 5e vague du covid 19 avec son cortège d’hospitalisations, de conséquences graves et invalidantes, de décès, de soignants au bout du rouleau. 27 morts, au moins, le 25 novembre dernier, dans la Manche, avec le naufrage d’une embarcation de migrants et de réfugiés. 27 vies d’enfants, de femmes et de hommes. 27 fois un drame absolu car chacun avait une existence, des amours, des amis, un monde. 27 qui sont la tête d’une foule qu’on ne sait dénombrer des perdus et en Manche et en Méditerranée, « notre mer » qui se transforme – comme le dit le pape François - en « mer de la mort ».
Alors se réjouir comment ?
Car il y a aussi encore et toujours la crise de l’Église, les vies abîmées, meurtries par les abus et atteintes sexuelles, avec son lot de révélations si sombres quasiment quotidiennement.
Et puis notre pays, en proie à des relents xénophobes, à des radicalités dangereuses.
Alors se réjouir ? Est-ce simplement possible ?
Et pourtant.
Car si la joie promise, de ce dimanche de Gaudete, de cette approche de Noël, consistait justement à prendre en compte, en charge même, toutes les inquiétudes du monde, ses drames, ses crimes, ses deuils. Si la joie offerte était celle de pouvoir se saisir de tous les côtés de la vie, n’en laisser aucun. Ne pas se poser en juge de ce monde mais refuser de se résigner au mal. Si la joie était de se décider pour vivre, encore et encore, au cœur de tant de détresses. Se décider pour soi, pour les autres, en leur faveur. Avec l’angoisse de ce monde en souffrance, de notre Église qui s’est défigurée, de la vie si douloureuse des victimes, puiser le courage d’exister dans le se faire proche. Oui je le crois, la compassion, le souffrir-avec, dans notre chair, nous mène aux rivages de la joie. Celle qui ne passe pas.
La vie n’a rien d’une évidence, le sens de l’existence moins encore. Et il ne s’agit pas de volontarisme à tous crins. Mais de consentir, sans résignation, à la difficulté du monde, à sa dureté, à l’ambivalence de la vie. Alors oui croire qu’il est possible de se réjouir, non que la vie soit automatiquement belle ou facile. Mais dire oui à l’engagement dans l’existence avec toute sa complexité, au souci de l’autre ; là se tient la joie. Non dans l’être, mais dans le désir de la relation. Ne pas garder pour soi tout seul, ni le bonheur ni l’amertume, ni le malheur. Creuser en chacun de nous la place pour l’autre, pour un autre qui souffre et espère. Voilà peut-être la joie de ce dimanche, celle de la naissance qui vient, pour ce monde-ci.
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