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La théologie chrétienne, 80 ans après la Shoah

La théologie chrétienne, 80 ans après la Shoah

Un article rédigé par Madeleine Vatel, avec OR - RCF, le 19 mai 2025 - Modifié le 29 mai 2025
Halte spirituelle, l'intégraleL’horreur des camps de concentration : où était Dieu ?

Dieu était-il présent dans les camps de concentration et d'extermination nazis ? S’est-il tu, s’est-il empêché d’intervenir ? À ces questions vertigineuses, les chrétiens ont-ils des réponses ? Peut-il y avoir une interprétation chrétienne de la Shoah ? Quatre-vingt ans après, Madeleine Vatel fait le point avec le Père Michel Deneken.

Crucifixion blanche, Marc Chagall ©Wikimedia commons CC BY-SA 4.0Crucifixion blanche, Marc Chagall ©Wikimedia commons CC BY-SA 4.0

Jean-Paul II avait décrit Auschwitz comme un "Golgotha des temps modernes" (1979) et interprété la Shoah comme la conséquence de "l’absence de foi en Dieu" (1985) - non sans susciter de vives réactions. L’absurde et l’indicible ne réduisent-ils pas au silence même les plus croyants ? Peut-on porter un regard chrétien sur la Shoah ? Le cardinal Lustiger, qui a beaucoup œuvré auprès du pape polonais, disait lui qu’à Auschwitz il était "dans le silence des Juifs", rapporte Michel Deneken. Le président de l’université de Strasbourg est de ces théologiens qui se sont saisis du drame de la Shoah. Le silence ou l’absence de Dieu, la question de sa souffrance… 80 ans après la libération des camps de concentration et d’extermination nazis, où en est la théologie chrétienne ? Comment a-t-elle été bousculée par la Shoah ?

Le mystère d’Auschwitz, c’est que Dieu a résisté. C’est qu’au retour d’Auschwitz, nous ne sommes pas tous devenus athées

Le silence ou l’inaction de Dieu

Il y a eu avant et après Auschwitz d’autres génocides. Mais "la Shoah est une barbarie particulière, explique Michel Deneken. Ce qui est nouveau et particulier dans la Shoah, c’est que l’on s’attaque de manière politique et idéologique au peuple juif."

La Shoah en particulier interpelle le croyant et pose des questions vertigineuses : Dieu était-il présent dans les camps ? S’est-il tu, s’est-il empêché d’intervenir ? Dans la Bible, il est question d’un Dieu qui intervient dans l’histoire de l’humanité. "L’intervention de Dieu dans l’histoire a toujours été, en tout cas du côté du récit biblique, donc du judaïsme et du christianisme, incarnée, médiatisée par des femmes et des hommes, note le théologien. Ce n’est jamais des choses qui viennent du ciel, ce n’est jamais un ovni qui descend, ce n’est pas E.T. !"

Comment croire en Dieu après la Shoah ? Pour Michel Deneken, il y a un "mystère d’Auschwitz" : "C’est que Dieu a résisté. C’est qu’au retour d’Auschwitz, nous ne sommes pas tous devenus athées. Pour moi le mystère absolu du mal n’est pas le fin mot de l’histoire dès lors que je vois qu’après on continue d’avoir des hommes et des femmes qui croient."

 

Dieu a-t-il souffert pendant la Shoah ?

La "question fondamentale" de la souffrance de Dieu existe depuis longtemps dans la tradition juive. Elle est souvent associée à l’image d’un Dieu père qui "souffre de ses enfants qui ne sont pas fidèles à leur héritage"

De quoi Dieu a-t-il souffert pendant la Shoah ? De voir l’Homme souffrir, de le voir incarner le mal ou qu’il exerce sa liberté jusqu’à le nier Lui ? Il existe dans la Kabbale, la tradition mystique juive, le concept de tsimtsoum. C’est-à-dire l’autolimitation de Dieu qui se retire du monde pour laisser à l’humanité une pleine et entière liberté - "la première liberté étant de dire non à Dieu", précise Michel Deneken.

Après la Shoah, cette question a interpellé de manière prégnante des théologiens chrétiens comme Jürgen Moltmann, Eberhard Jüngel ou Kazoh Kitamori. Mais l’idée que Dieu puisse souffrir est au cœur du mystère de la croix. Et à toute époque on a représenté Jésus souffrant. Le retable d’Issenheim le montre par exemple malade de la peste. "On a souvent pris la souffrance humaine comme modèle de la souffrance de Dieu." Reste que représenter un "Dieu apathique, c’est fini depuis Auschwitz".

 

Pourquoi Hitler visait le peuple juif

Le programme d’Adolf Hitler visait les juifs car au-delà de l’antisémitisme ambiant de l’époque, "le judaïsme est la première religion au monde qui est une religion de l’histoire". Michel Deneken le souligne, "le récit biblique de la création affirme qu’il y a un début et une fin". Et cela, "pour quelqu’un qui va faire un Reich de mille ans, c’est insupportable... par définition, les grands dictateurs et les grands fous qui dominent l’histoire considèrent qu’avec eux l’histoire s’arrête."

On peut parler de "nouvelle religion" pour qualifier le nazisme. Une religion où "il n’y a plus de Dieu, il n’y a plus de Christ, puisque c’est le Führer qui remplace le Sauveur". Dans cette "religion du sang et du sol", le péché, c’est d’attenter à leur pureté. Le christianisme va "à l’encontre du mythe de la pureté. Par définition, le péché pour un chrétien ça n’est pas l’impureté au sens racial ou ethnique mais au sens moral."

L’antijudaïsme chrétien

La Shoah a considérablement bousculé la théologie chrétienne, en particulier la théologie des relations de l’Église catholique avec le peuple juif. Beaucoup de croyants ont pris conscience de "l’enseignement du mépris" entretenu au sein de l’Église, selon la formule de Jules Isaac. "Ils étaient dans l’ambiance traditionnelle du Juif déicide, décrit Michel Deneken. Un antisémitisme culturel qui n’était pas forcément violent mais qui était quand même reçu. Beaucoup de chrétiens ont pris conscience de cela."

"Les catholiques n’ont pas promu la Shoah, soutient Michel Deneken. Il y a eu contre Pie XII énormément de calomnies." Son prédécesseur Pie XI (1922-1939) a fermement condamné le nazisme en publiant dès 1937 "Avec une brûlante inquiétude", son encyclique sur "l’Église et le Reich allemand". Il a rappelé l’année suivante devant un groupe de pèlerins belges : "spirituellement, nous sommes des Sémites" (le 6 septembre 1938).

Que les catholiques aient "par induction par infusion culturelle pendant des siècles participé à l’antisémitisme" cela ne fait pas de doute, précise Michel Deneken. La déclaration Nostra Aetate en 1965, puis le document de 2015 "Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables", ont initié de grands chantiers théologiques. À charge désormais pour l’Église de débarrasser sa doctrine de toute trace de la théorie de la substitution.

 

Connaître le judaïsmeL'hommage aux Justes parmi les nations (1/2)

La Shoah est-elle l’échec du christianisme ?

La Shoah montre-t-elle que le christianisme, dont on dit qu’il est venu libérer l’homme, l’épanouir, le rendre à lui-même, a échoué ? "C’est un échec pour l’humanité, c’est clair, répond Michel Deneken, mais ce que nous avons quand même perçu d’Auschwitz, et d’autres drames de l’humanité plus récents peut-être, c’est que là où les hommes et les femmes s’emparent du sérieux de l’Évangile il y a un rempart contre cette barbarie."

Les actes, aussi minimes soient-ils, des Justes parmi les nations, ou bien l’exemple d’un saint Maximilien Kolbe, sont-ils suffisants pour dire la présence de Dieu au cœur du drame ? "Théologiquement et spirituellement oui, répond Michel Deneken. Parce que le christianisme n’est pas la loi du nombre", nous dit le théologien. À l’heure où l’on dit la France déchristianisée, il reste "des témoins qui vont dans sens de ce que Dieu avait prévu : Vous êtes le levain, vous êtes le sel, vous n’êtes pas la majorité, vous êtes juste dans la pâte."

 

Émission Halte spirituelle © RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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