L’édito de Julien Bal : l’industrie des armes méritait-elle une exposition à sa gloire ?

L’ESPRIT DE CONQUÊTE

Depuis la fin du mois d’avril et jusqu’à la fin du mois de juillet, au musée La Boverie de Liège, se tient une exposition à la gloire des armes à feu.

Est-ce vraiment le bon moment pour organiser un tel événement ?

L’exposition « La force d’innover » est à l’initiative de la fondation ARS MECHANICA qui a pour vocation de valoriser l’image et l’héritage de la FN Herstal, armurier historique qui fait la fierté de la région.

Dans une alternance d’espaces sombres et lumineux, on déambule dans une scénographie efficace qui permet de comprendre d’emblée à quel point la fabrication d’armes à feu et l’histoire de la ville de Liège sont liées depuis des siècles.

On comprend également à quel point la FN Herstal est parvenue au fil du temps, à se hisser à la pointe de l’innovation jusqu’à devenir aujourd’hui non seulement un fleuron belge mais également une réussite entrepreneuriale mondiale sans équivalent. 

LA DIMENSION HUMAINE

A la fin du parcours, l’exposition met en avant l’histoire humaine de l’entreprise : les avancées sociales au fil du temps et les 3000 emplois qualifiés, dont 1500 en Belgique aujourd’hui.

Filmés et projetés sur une série d’écrans à taille humaine, des employés de l’entreprise disent tout le bien qu’ils pensent de leurs métiers et de leurs missions.

COUP DE COM’

Parmi les raisons pour lesquelles cette exposition a été montée maintenant il y a la volonté de graver le nouveau nom de la FN dans l’esprit du grand public. Depuis un an en effet, l’entreprise ne s’appelle plus FN Herstal mais FN Browning Group. Elle reste cependant purement wallonne malgré son nouveau nom à consonance anglo-saxonne.

Le logo bien connu de l’entreprise liégeoise a été simplifié pour l’occasion. Il ressemble désormais à n’importe quel logo de n’importe quelle marque mondialisée.

Cette exposition en tout cas rappelle aux liégeois qu’ils n’ont pas à rougir de l’histoire industrielle de leur ville. C’est une expo dont on ressort avec la certitude qu’en cas de guerre à nos portes, la Belgique a peut-être une armée en désordre de marche mais elle dispose au moins des meilleures armes de guerre au monde. 

POURQUOI MAINTENANT ?

Ce qui interroge tout de même, c’est le timing de cette exposition.

Dans un monde où des foyers de troisième guerre mondiale s’attisent çà et là ; dans un monde où certaines des armes qui sont exposées à La Boverie sont aussi utilisées dans des offensives en Ukraine, dans des tueries de masse aux Etats-Unis ou glorifiées dans des jeux vidéo ultra-violents ; dans un monde qui sent la guerre et la mort à plein nez ; dans un monde qui petit à petit se tourne vers une économie de guerre, une expo à la gloire des armes à feu était-elle indispensable ? 

MARCHANDS DE MORT

En parcourant l’exposition ARS MECHANICA, en voyant ces dizaines d’armes à feu anciennes et ultra-modernes mises sur un piédestal, on ne peut s’empêcher de repenser aux déclarations du Pape François au sujet du commerce des armes.

En voici une, parmi les plus célèbres, elle date de juin 2017 :

« Parler de paix, négocier la paix et, en même temps, promouvoir ou permettre le commerce des armes, c’est une absurde contradiction. Une guerre par-ci, une guerre par-là… Ces guerres ont-elles vraiment pour but de résoudre des problèmes ? Ou bien s’agit-il de guerres commerciales, créées pour vendre des armes ? ».

MONEY TIME

Dans un lieu aussi iconique que la Boverie, un lieu à vocation hautement artistique, cette exposition si peu artistique (malgré quelques toiles animalières prêtées par la Fondation Buffalo Bill), participe d’une nouvelle stratégie de communication décomplexée. En effet, mardi dernier (le 3 juin), à l'occasion d’une conférence de presse consacrée au bilan 2024 de la FN, un nouvel investissement de 100 millions d’euros d’argent public au bénéfice de l'entreprise a été annoncé. Pour le ministre wallon de l’économie Pierre-Yves Jeholet, de tels investissements publics dans la FN sont assumés plus franchement aujourd’hui qu’hier auprès de la population car le climat ambiant est à la crainte sécuritaire. 

L’exposition « ARS MECHANICA, la force d’innover » durera jusqu’au 27 juillet au musée La Boverie, à Liège.

Pour ce qui est de l'embrasement du monde, aucune date de fin n'a été communiquée pour l'instant.

J. B.