Tradition française, sujet de prose littéraire pour Maupassant, Hemingway, Zola ou Orwell, les bistrots et les cafés font partie du patrimoine. Lieux de vie et d’échanges houleux ou amicaux, c’est aussi là où l’ouvrier rencontre le professeur universitaire. Pourquoi les bistrots sont-ils en voie d’extinction ? Qui sont leurs clients ? Et comment les sauver ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Melchior Gormand.
“Aller chez le notaire du coin pour y arracher une betterave. Discuter avec les copains sans monter dans les octaves”. Il était une fois l’histoire des bistrots, un lieu de vie, un microcosme. Un théâtre où se jouent des rencontres, où le bruit des discussions est ponctué par le bruit des tasses et des verres, sur le comptoir en zinc.
Si l'existence des bistrots français se compte désormais en siècles, l’ère moderne vient ébranler le train de vie des “zincs”. Le développement des centres commerciaux, de la restauration rapide et des livraisons met à mal cette histoire de boissons avec ou sans alcool, et de petites assiettes simples et abordables.
“Beaucoup de villages sont propres, bien tenus, les pelouses sont tondues, il y a des pots de fleurs et de belles maisons. Mais il n'y a aucun endroit où s'arrêter si on a faim ou soif, si on veut s’abriter du soleil ou de la pluie, aucun café”, regrette Pierrick Bourgault, passionné de bistrot. Auteur du livre Au Bonheur des Bistrots, et de La Mère la Pipe dans son bistrot, cet amoureux des petits comptoirs, constate la disparition silencieuse de ces lieux d’histoire qui pullulaient autrefois en France.
500.000 bistrots et cafés en France en 1950. Aujourd’hui, il y en a douze fois moins. “On est passé de un café pour 100 habitants, à un pour 2000”, renchérit Pierrick Bourgault. “Il y a maintenant des communes qui ont mille habitants et qui n’ont plus de café”. L’auteur met cette diminution du nombre de bistrots sur le compte de la modification de modes de vie. “Les grandes surfaces ont provoqué la fermeture de beaucoup de petits commerces dans les villages et dans les quartiers, et notamment des cafés”, rappelle-t-il. Il ajoute que “la restauration est impactée par la livraison rapide”, et décrit ce fonctionnement “polluant, avec des emballages jetés, alors que les bistrots proposent une restauration bien plus vertueuse”.
Il y a maintenant des communes qui ont mille habitants et qui n’ont plus de café.
Face aux déserts des bistrots, Alain Fontaine, chef du Mesturet à Paris, et président de l’association Bistrots et Cafés de France, s’est battu pour inscrire ces troquets au patrimoine français en 2024. Désormais, son association vise l’inscription au patrimoine de l’UNESCO. “Ce qui a très vite renforcé notre volonté de soutenir cette inscription, c’est la réponse médiatique lors de notre conférence de presse sur le sujet en 2018”, raconte le chef cuisinier. “On a vu arriver des télévisions du monde entier, les Américains de CNN et NBC, des télévisions espagnoles, anglaises, indiennes, et on s’est dit qu’on avait mis le doigt sur quelque chose qui est plus reconnu à l’étranger que chez nous”, continue-t-il. Malgré ce qu’il considère comme un manque de recul de la part des Français sur ce bien précieux, Alain Fontaine s'enthousiasme de voir que le bistrot, “cet art de vivre, ce partage, est une grande fierté”, à l'étranger.
“Nous sommes vraisemblablement les plus gros concurrents des psychologues et des psychiatres”, cite Alain Fontaine, reprenant une phrase de Pierre Josse, ancien reporter et directeur de la rédaction du Guide du Routard. “Nous avons cette capacité à recevoir les gens qui viennent seuls, à l’aventure, ou pour rencontrer de nouvelles personnes”, détaille-t-il. Le président de l’association des Bistrots et Cafés de France considère que le client ne pousse pas la porte pour consommer. “C’est un acte social, on rentre pour rencontrer des gens, pour parler, ou ne pas parler”, le fait de consommer en est la conséquence. “Jacques Weber m’a dit un jour, un café, c’est comme dans un théâtre : on peut être seul ou avec tout le monde”.
Nous sommes vraisemblablement les plus gros concurrents des psychologues et des psychiatres.
“Le zinc est le meilleur vecteur d’amitié”, disait Antoine Blondin, auteur de l’Humeur Vagabonde. Alain Fontaine, lui, estime que “ce que l’on ressort des bistrots, c’est ce vivre ensemble, cette capacité qu’on a à être heureux ou malheureux, et surtout à le partager”. Dans son livre La Mère la Pipe dans son bistrot, Pierrick Bourgault raconte le petit monde d’un bistrot du Mans. “Autour du comptoir, il y a avait aussi bien des sans-logis du quartier, des gens qui travaillaient dans des endroits très différents, vous aviez le Père Noël du Mans, vous aviez un fakir, vous aviez le porte-parole du gouvernement de François Hollande, etc”. L’amoureux des bistrots énumère ces rencontres incongrues que chacun peut faire autour d’un café, ou d’un “canon”.
Si les bistrots sont des terres de rencontres et de joie, ils traînent aussi une réputation de lieux d'ébriété. L’Assommoir d’Émile Zola se voulait être un miroir de la société. “C’est une réalité dans certains cas, et c’est à nous, patrons et patronnes, de voir le désarroi et l’anxiété”, défend Alain Fontaine. Une responsabilité que les tenants des débits de boissons doivent assumer. À méditer sans modération.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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