"L'angle mort du destin", une sorte de "Guerre et Paix" contemporain
Antoine Rault publie chez Fayard ce roman fleuve de 520 pages, l’Angle mort du Destin, une sorte de Guerre et Paix contemporain. Cela se passe en Russie aujourd’hui et en Ukraine ; à Moscou comme à Kiev où la vie bat son plein, et sur la ligne de front où la mort domine.
L'angle mort du destin © DRSuivons les personnages. Il y a Roman Igorevitch, jeune architecte
ukrainien, talentueux, qui va se retrouver au cœur d’une affaire de corruption. Il doit dessiner une piscine pour un oligarque, sans vraiment de permis de construire sur un site archéologique.
Il y a Yulia qui veut fuir en Israël pour faire soigner son fils autiste ; il y a Anasthasia, blogueuse, influenceuse à près de 700 000 followers (mais n’est-ce pas le nombre de mort côté Ukrainien ?), elle est prête à tout pour réussir, c’est-à-dire être riche, belle et reconnue. Elle est prête à l’assaut des hommes de pouvoirs.
Comment raconter cette Guerre ?
Le roman présente une originalité de forme, le récit distingue : A : Ce qui n’arriva pas et B : Ce qui arriva. Ce qui arriva : l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. La typographie change mais j’avoue que le lecteur confond les deux malgré la distinction, tant il suit les personnages, la lecture, le récit qui prend des tours
dramatiques avec des coups de théâtre et des suspens. Finalement, en situation de guerre, ce qui n’arrive pas et ce qui arriva ne se
mélangent-ils pas ?
Car le sujet côté Ukrainien est la guerre, et, côté Russe, « l’opération spéciale de dénazification ». Qu’un Russe parle de Guerre ou de conflit armé, et c’est la prison. Les réseaux sociaux sont surveillés. Le dictateur est clairement nommé et décrit avec son teint de cire. Le projet politique est clair : « C’est ça, l’aboutissement, la réussite totale de leur projet : un grand troupeau docile et muet ».
Une guerre plus longue que ce qu'on croit
Cette guerre, c’est clairement la signature autoritaire, tyrannique, de Vladimir Poutine. Antoine Rault parle de « l’emballement de la dictature ». Vu de nos télés et applications, la guerre en Ukraine paraît une concurrence entre missiles et drones : X morts d’un côté, X morts de l’autre. Ça devient lassant comme un long match de rugby. Or, ce roman montre combien cette guerre (appelons un chat un chat) a des répercussions sur les deux sociétés ; russe et ukrainienne. Les délations par jalousie, les arrestations arbitraires, les familles déchirées, les affairistes qui avec un cynisme sidérant jouent sur tous les coups. « C’est cela, la Russie : le silence, le non-dit, le mensonge accepté pour vérité, l’hypocrisie, la peur… » Et en face, on a l’Ukraine : « Mais il était (on parle de Roman, le jeune architecte) du côté de ceux à cause de qui l’Ukraine pataugeait
toujours dans son passé nauséabond, dans les combines sordides, dans les arrangements véreux, dans l’argent sale ».
Voilà donc un roman passionnant aux personnages attachants, au récit haletant, qui nous éclaire sur des changements du monde, des changements irrévocables, hélas. Je le disais en introduction, c’est Guerre et Paix contemporains.


Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.



