Les questionnements existentiels qui surgissent bien souvent avec la maladie peuvent prendre une place centrale dans la vie des patients. Quels sont leurs besoins spirituels ? Peuvent-ils en parler avec leur médecin ? La loi sur la laïcité est-elle un frein ?
Quels sont les besoins spirituels et religieux des malades ?
Le texte sur le "droit à l’aide à mourir" est étudié par le Sénat, après son adoption par les députés le 27 mai. La loi votée le même jour à l’unanimité pour le développement des soins palliatifs doit être examinée par le Sénat à l’automne 2025. Depuis quelques années, l’attention portée aux soins palliatifs suscite en France à un mouvement de redécouverte des besoins spirituels des patients. Une grave maladie entraîne souvent des questionnements existentiels. En quoi est-ce utile de les prendre en compte pour l’équipe soignante ? La consultation médicale est-elle le lieu pour en parler ? La loi sur la laïcité permet-elle de les aborder avec les soignants ?
"Il y a eu en France dès le XVIIe siècle, un long mouvement d’émancipation par rapport à l’Église comme une institution qui régulait des pratiques et ordonnait l’existence", rappelle le Père Bruno Saintôt, jésuite, philosophe et théologien, co-responsable du domaine éthique biomédicale aux facultés Loyola Paris. On est ainsi passé d’un "soin global", où la dimension spirituelle était prise en compte dans la mesure où la prise en charge des patients relevait du "cadre cultuel", à "un soin beaucoup plus technique".
Si la vie spirituelle des malades est largement confiée aux seuls aumôniers d’hôpitaux, on peut tout de même observer aujourd’hui un mouvement ou en tout cas "une tentative de redécouverte" des attentes des personnes sur le plan spirituel. Et ce, "grâce notamment aux soins palliatifs", identifie le jésuite.
Qu’entend-on par besoins spirituels ? Pour Sophie Dannery, aumônier catholique à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes, déléguée diocésaine adjointe à la pastorale de la santé du diocèse de Nanterre, les besoins spirituels concernent les questionnements liés au sens de la vie. "Pourquoi moi ? Si Dieu existe, pourquoi je suis là dans ce lit d’hôpital ? Quel sens ça a ?"
Les aumôniers d'hôpitaux ont pour mission d'écouter avant tout - ils sont formés pour faire face à ce type de questionnements. Toutes ces questions intimes et complexes sur la transcendance ou l’image que l’on a de Dieu, qui bien souvent ressurgissent à la faveur d'une épreuve. D’ailleurs, Sophie Dannery intervient auprès de personnes de différentes confessions, y compris de religion musulmane. "On peut même prier, ça arrive, dit-elle, discuter du sens de la souffrance, de la vie, de la transcendance."
"On a de plus en plus de gens qui n’ont pas de pratique religieuse voire qui n’ont pas du tout de croyance religieuse, décrit Jean-Pascal Choury, délégué diocésain à la pastorale de la santé et du handicap du diocèse de Nice, qui a été pendant douze ans aumônier au CHU Nice. Et pourtant, ils sont contents de nous rencontrer pour pouvoir parler d’eux-mêmes." Les patients peuvent parler de tout avec les aumôniers, y compris des sujets qu’ils n'osent pas aborder avec les soignants.
Si les questions existentielles prennent une grande importance quand on est confronté à une maladie grave, pourquoi ne pourrait-on en parler avec les soignants ? Mais est-ce le rôle des médecins d'aller dans le domaine du spirituel ? Le Docteur Hugo Tiercelin, psychiatre dans un centre médico-psychologique à Paris, a pu constater que "chez les soignants en psychiatrie, il y a peu d’écoute des besoins spirituels" des patients - besoins "qui existent bien évidemment". Pour le psychiatre, il y a même "un peu une forme de zone d’ombre, ou d’angle mort de nos entretiens".
Or, les besoins spirituels représentent "cette part importante, parfois très importante, parfois centrale dans la vie de nos patients". Pourquoi n’est-elle pas abordée en consultation ? Est-ce trop intime ? Les patients livrent des éléments parfois bien plus intimes de leur vie. Sans doute est-ce "par pudeur, par méconnaissance, par indifférence"…
"Je pense qu’il y a une forme de malaise chez les soignants à aborder ces sujets-là, suppose le Dr Tiercelin, pas chez tous les soignants d’ailleurs mais particulièrement chez les médecins." Le Dr Tiercelin observe "qu’en France, on a une histoire tumultueuse et blessée on peut le dire, en ce qui concerne la religion". Et qu’il suffit que surgissent dans l’actualité des conflits liés aux religions pour que ce cette "gêne sociétale se retrouve dans les entretiens"…
Il y a des a priori permanents sur la laïcité chez les soignants
En contact quotidien avec les patients, les infirmiers ou les aides-soignants les voient pratiquer leurs rites, suivre des régimes alimentaires particuliers, parfois ils les accompagnent au culte. Là où la consultation médicale est vue comme le lieu d’un échange technique, scientifique, la discussion informelle autorise à aborder des sujets d’ordre spirituel.
Finalement, ce qui est confié aux infirmiers et aux aides-soignants, peut être utile aux médecins tout comme aux aumôniers d’hôpitaux, Le lien avec les soignants est "central dans notre mission", insiste Sophie Dannery. D’ailleurs, "le turn over est très important" dans les hôpitaux, les aumôniers doivent sans cesse se faire connaître auprès des soignants. "C’est eux qui sont les plus à même de diagnostiquer les besoins spirituels, les questions existentielles des patients."
Or, "il y a des a priori permanents sur la laïcité chez les soignants, raconte Jean-Pascal Choury. La première chose qui vient en tête sur la laïcité, c’est : Il est interdit de. Et donc il est même interdit de parler de religion, d’aller questionner un patient sur la religion ou sur ses attentes spirituelles. Alors que le principe même de la loi c’est une liberté de pratique son culte !"
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Un podcast en partenariat avec les Facultés Loyola Paris.
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