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Accompagner la vie souffrante

Accompagner la vie souffrante

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 26 août 2025 - Modifié le 26 août 2025
Où va la vie ? La bioéthique en podcastComment accompagner la vie souffrante ? (1/3)

Quand un proche souffre, on a souvent du mal à trouver la bonne attitude. Peut-on dire : Je te comprends ? Peut-on réellement se mettre à sa place ? Et que dire de la peur qui nous prend devant une personne qui souffre ? Entre excès d'empathie ou désir de fuite, il y a une juste proximité à trouver. Pour voir chez l'autre la vie en lui et non plus seulement la maladie ou le handicap.

Non, on ne peut pas se mettre à la place d’autrui..." ©FreepikNon, on ne peut pas se mettre à la place d’autrui..." ©Freepik

Comment accompagner la souffrance d’une personne confrontée à un drame, à un accident ou bien porteuse de handicap ? Comment trouver les mots justes, la bonne distance, la bonne écoute ? La compassion est-elle suffisante ? 

"Pas de vie sans souffrance"

Il semble superflu de rappeler ce qu’est la souffrance tant chacun en fait l’expérience au plus intime de son être. "Il n’y a pas de vie sans souffrance, ça n’existe pas", prévient Muriel Derome. Et pourtant, ne sommes-nous pas tentés de croire, dans les instants où tout va bien, que la souffrance ne concerne que les autres ?

"Il y a beaucoup de gens qui vont vous dire que tout va très bien mais je crois aussi que c’est important de dire que c’est un leurre. On passe tous par des moments de souffrance, plus ou moins intenses, des épreuves plus ou moins terribles." Muriel Derome est psychologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, spécialiste de la prise en charge d’enfants handicapés gravement malades ou en fin de vie.

De manière notable, elle a pu constater que le moment le plus difficile, plus encore que la traversée de l’épreuve, est "le moment de l’annonce d’une épreuve". Celui où la vie bascule, et où "on imagine la souffrance", a pu observer la psychologue. Imaginer ce que sera la vie de son enfant dont on apprend le handicap, le devenir d’un parent âgé à qui on diagnostique une maladie dégénérescente… 

 

Quand vous êtes face à quelqu’un qui souffre, il n’y a plus de masque. C’est uniquement quelque chose de très authentique et ça nous invite à une vérité à laquelle on prend goût

 

Est-il normal d’avoir peur d’une personne qui souffre ?

Parfois, devant une personne en souffrance par exemple sur un lit d’hôpital, certains ont le réflexe de dire : Je ne peux pas. Muriel Derome constate que les proches des personnes hospitalisées n’ont pas la même réaction si la maladie est génétique. "L’autre va se dire, Je ne l’ai pas donc je peux m’approcher." Mais quand la personne souffrante est atteinte de dépression ou si elle a subi un accident, le réflexe de son entourage, c’est souvent la peur. On est tenté de se dire : Toutes ces choses-là, ça peut m’arriver et donc j’en ai peur.

"C’est important de savoir que la souffrance fait peur, prévient Muriel Derome. On a toujours envie de fuir, toujours, c’est humain. C’est presque sain de ne pas avoir envie de s’y confronter mais ça ne veut pas dire qu’on n’est pas fait pour ça." On a le droit d’être submergé par un sentiment de fuite, de déni ou d’incompétence, selon elle, mais il est possible en prenant le temps d’arriver à voir la personne et non plus seulement sa maladie ou son handicap.

La psychologue se souvient de ses débuts à l’hôpital où elle a rendu visite à une patiente sur son lit. "Elle avait un corps tellement maigre, que j’ai eu l’impression de me trouver face à face avec une rescapée d’Auschwitz. J’ai eu un mouvement de recul. Je pense qu’elle a lu sur mon regard mon dégoût." Mais Muriel Derome aussi lu dans le regard de cette fille : "Ne t’inquiète pas, ça fait toujours ça la première fois mais tu vas t’habituer."

Petit à petit, son regard a changé. "Je ne voyais que la lumière de son regard, témoigne-t-elle. Ce que le malade vous apporte, c’est tout un rapport de vérité. Quand vous êtes face à quelqu’un qui souffre, il n’y a plus de masque, c’est uniquement quelque chose de très authentique et ça nous invite à une vérité à laquelle on prend goût."

 

Peut-on avoir trop d’empathie ?

Il arrive au contraire que l’on soit pris d’empathie qui, parfois, prend la forme d’une pitié englobante. On croit que l’on peut se mettre à la place de l’autre. Ce qui, en réalité est "impossible", nous dit Sœur Agata Zielinski. Cette religieuse xavière, philosophe et enseignante aux facultés Loyola Paris est aussi bénévole à la maison médicale Jeanne-Garnier, à Paris. "Non, on ne peut pas se mettre à la place d’autrui", dit-elle, soulignant même un risque pour le malade.

"Prétendre se mettre à la place d’autrui, c’est vraiment un risque de forme d’abus, d’emprise, où je sais quel est son bien à sa place." C’est un leurre de croire que parce qu’on ressent de l’empathie, on sait ce dont la personne souffrante a besoin. Comme le recommande Muriel Derome, "ne faites surtout pas aux autres ce que vous aimeriez que l’on vous fasse !"

L’important, explique-t-elle, c’est notre capacité à écouter. Prendre soin d’une personne souffrante suppose d’avoir une certaine attention. De lui demander : De quoi tu as besoin ? Comment je peux t’aider ? Qu’est-ce qui compte pour toi aujourd’hui ? D’ailleurs, la psychologue recommande aux famille d’enfants malades par exemple de toujours accepter l’aide qu’on leur propose. "Ne jamais la refuser, si vous dites non au début les gens ne re-proposent pas, et après les familles se trouvent seules."

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas être seul à accompagner une personne en grande souffrance, conseille Muriel Derome, auteure de "Accompagner l'enfant hospitalisé - Handicapé, gravement malade ou en fin de vie" (éd. De Boeck, 2014) ou de "Le courage des lucioles - Ma vie de psychologue auprès d'enfants à l'hôpital" (éd. Philippe Rey, 2017). "Si vous donnez tout ce que vous avez à la personne en souffrance, vous vous asséchez et au bout d’un moment vous ne pouvez plus, vous êtes en usure de compassion."

 

Voir la vie dans le regard de celui qui souffre

Se mettre à la hauteur d’une personne en fauteuil, s’adresser à elle directement, les yeux dans les yeux et pas à son accompagnateur… S’il n’est pas toujours simple de trouver la juste attitude devant quelqu’un qui souffre, Muriel Derome donne des repères : "Ne pas nier la souffrance, ne pas en rajouter, ne pas la minimiser, ne pas tout ramener à soi, savoir de quoi l’autre a besoin."

Ainsi, faut-il dire à une personne en souffrance qu’on la comprend ? Il est arrivé à Muriel Derome de dire à des personnes : "Si j’entends bien ce que vous me dites, je crois que personne ne comprend réellement ce que vous êtes en train de vivre." Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de tels propos peuvent aider. "Tout d’un coup on est rejoint, vous comprendrez que personne ne comprend. Je crois que la plus grande des souffrances c’est la solitude."

Le philosophe Paul Ricœur distingue la pitié ou la commisération de la sollicitude. Dans le premier cas, la relation est asymétrique. La sollicitude implique au contraire "la réciprocité du donner et du recevoir, le bien-portant se met lui-même en situation de recevoir quelque chose de l’autre. Je ne suis pas que la personne qui donne et qui sauve." Pour Agata Zielinski, cela a le mérite de "déloger du risque de toute-puissance".

La clé, pour Muriel Derome est de "prendre le temps de recevoir la beauté de la vie, la saveur de la vie". Par exemple, au sujet des soins palliatifs, "les gens se focalisent sur la mort", note Agata Zielinski mais "c’est d’abord la vie qu’on accompagne".

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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