Édito de Nathalie Leenhardt - Vivre Yom Kippour en exil
Hier, les juifs du monde entier célébraient Yom Kippour, cette fête très importante de leur calendrier, qui signifie littéralement "la grande expiation". Pendant 25 heures, les croyants pratiquent le jeûne et un certain nombre de préceptes. Ils prient pour le pardon, le leur et celui de la communauté. C’est le jour le plus saint, celui de la plus grande proximité avec Dieu.
Si je vous en parle, c’est que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’émotion le témoignage du grand rabbin de Moscou dans le New York Times de lundi. Pinchas Goldschmidt explique longuement, avec des mots simples, son désarroi : celui de célébrer Yom Kippour en exil, pour la première fois de sa vie. Il dit ce que fut son quotidien, pendant des années, pour préparer cette grande fête, vérifier la présence de cantors et de souffleurs du shofar dans les synagogues de Russie, répondre aux questions des malades dispensés du jeûne. Il dit ses marches méditatives dans les rues de Moscou pour préparer son sermon.
Et puis il raconte la bascule, ce moment où la pression des autorités est devenue insupportable, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le régime autoritaire a viré au "quasi-totalitarisme" avec la fermeture de nombreux médias, l’arrestation des opposants… De plus en plus de responsables religieux -qu’ils soient imams, prêtres ou rabbins- sont désormais ciblés : ils doivent allégeance à Poutine en soutenant publiquement l'offensive militaire. Mis au pied du mur, le rabbin et sa femme ont décidé de s’enfuir en Israël.
Ce récit témoigne de l'immense retour en arrière que vit la Russie de Poutine. Pinchas Goldschmidt est en effet arrivé à Moscou à l'âge de 25 ans, au moment de la perestroïka. Il participe alors avec enthousiasme au retour de la pratique du judaïsme, après 70 ans de répression soviétique. Il voit ainsi arriver, à la synagogue, des juifs n’ayant aucune connaissance de l’hébreu et des prières. Au fil des ans, les connaissances et la pratique s'intensifient. Jusqu'à ces jours, où, comme lui, les juifs s’exilent à nouveau.
D'autres témoignages tout aussi éprouvant. Dans ce même numéro, le quotidien new yorkais publie les décryptages de plus de 4000 appels de téléphone portable passés par des soldats russes à leurs parents, leur femme, leurs amis. Leurs mots résonnent comme autant de cris de révolte et témoignent de l’abandon qu’ils subissent, des mensonges qu’on leur assène, du sous-équipement, de leur tentation de déserter. Ils racontent aussi ce qu’ils voient : les victimes civiles, les corps entassés, la mort partout… Jusqu’à quand ? La guerre s’incarne dans les paroles et les jurons de ces hommes. Les derniers mots du Rabbin exilé retentissent d’autant plus fortement. Le shofar de Yom Kippour appelle à la fin des horreurs, à la paix, à la liberté…
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