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Solidarité avec les chrétiens d’Orient, Christian Cannuyer

Solidarité avec les chrétiens d’Orient, Christian Cannuyer

Un article rédigé par Jacques Galloy - 1RCF Belgique, le 31 mars 2025 - Modifié le 31 mars 2025
God's talentsSolidarité avec les chrétiens d’Orient, Christian Cannuyer

Directeur de Solidarité-Orient, professeur émérite et égyptologue passionné, Christian Cannuyer est une figure incontournable du dialogue entre l’Orient et l’Occident. Dans cet entretien intime, il explique le sens et l’action de son association. Il dévoile aussi les figures, les lectures et les lieux qui nourrissent sa foi et son engagement. Il est interviewé au micro de 1RCF Belgique par Jacques Galloy.

Christian CannuyerChristian Cannuyer

Un passionné d’Orient au service des chrétiens d’Orient


Christian Cannuyer est professeur émérite à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Lille, enseignant à Louvain-la-Neuve, mais aussi animateur d’un magazine sur RCF Bruxelles. Passionné d’Égypte et du monde oriental, il consacre une grande partie de sa vie à la connaissance et au soutien des chrétiens du Proche-Orient. Il est aujourd’hui directeur de l’association belge Solidarité-Orient, qui œuvre à faire connaître et soutenir les communautés chrétiennes d’Orient, dans des régions souvent marquées par les conflits et les instabilités géopolitiques.


Solidarité-Orient est en fait l’antenne belge de l’Œuvre d’Orient française, une institution née en 1856. L’objectif est commun : aider ces Églises chrétiennes, souvent très minoritaires, à rester présentes dans les terres où le christianisme est né. En Belgique, l’association s’adapte au contexte local : elle est bilingue, reconnue par la Conférence des évêques de Belgique, placée sous le patronage de Sa Majesté la Reine, et membre d’une organisation vaticane regroupant les œuvres d’aide aux chrétiens d’Orient. En Belgique, Solidarité-Orient regroupe plusieurs milliers de membres et lecteurs de sa revue trimestrielle, diffusée en français et en néerlandais. Grâce à leur générosité, l’association parvient à collecter plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année pour financer ses projets.

Une présence chrétienne menacée mais vivante


La mission de Solidarité-Orient est claire : soutenir les chrétiens d’Orient par la prière, la présence sur place et l’aide financière. L’association intervient dans plusieurs pays : Égypte, Liban, Syrie, Irak, Iran, Palestine, Turquie, Éthiopie, et même dans le sud de l’Inde, au Kerala, où une importante communauté chrétienne orientale existe encore.


Contrairement aux idées reçues, Christian Cannuyer insiste : « les chrétiens ne sont pas en voie de disparition au Proche-Orient. Certes, ils sont moins nombreux proportionnellement à cause de l’explosion démographique des autres groupes et des vagues d’émigration, mais en valeur absolue, ils sont plus nombreux qu’il y a 100 ans. En Égypte, par exemple, les Coptes représenteraient environ 8 % des 107 millions d’habitants, soit plus de 8 millions de fidèles – une communauté plus grande que les Wallons ou les Danois ! »


Il rejette aussi le discours alarmiste sur une « persécution généralisée » des chrétiens, préférant parler de contextes complexes, marqués par des conflits géopolitiques qui touchent toutes les populations, chrétiennes ou non. « Il ne faut pas instrumentaliser la foi », souligne-t-il, rappelant que l’émigration touche aussi massivement les musulmans, comme les chiites libanais.
 

Des projets concrets pour un avenir possible


L’action de Solidarité-Orient est très concrète. L’association soutient des projets variés, notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé et du développement local. Un exemple frappant : une école proche de Bethléem, dépendant du Patriarcat grec melkite-catholique. Cette école accueille entre 800 et 900 élèves, dont de nombreux musulmans, mais ses enseignants retraités ne reçoivent aucun revenu. Solidarité-Orient aide donc à financer leurs pensions.
L’école chrétienne au Proche-Orient est bien plus qu’un simple lieu d’apprentissage : c’est un véritable levier de paix, de dialogue et de reconstruction. Elles scolarisent près de 400 000 enfants dans toute la région, en transmettant des valeurs de citoyenneté, de respect, d’ouverture à l’autre et de liberté de conscience. Christian Cannuyer insiste sur le rôle fondamental de ces établissements : ce sont souvent les seuls espaces où l’on enseigne encore le vivre-ensemble.

 

Une Église universelle, riche de sa diversité

 

Pour Christian Cannuyer, la richesse des chrétiens d’Orient réside aussi dans leur diversité liturgique, théologique et culturelle, différente de la tradition latine occidentale. Ils rappellent que l’Église n’est pas un bloc uniforme, mais un ensemble de communautés aux visages multiples, unies dans la foi, mais variées dans les traditions.


Cette diversité est une chance pour toute l’Église. Les chrétiens d’Orient, parfois en position minoritaire, témoignent de l’Évangile dans des contextes souvent hostiles, mais avec une force spirituelle et une fidélité remarquables. Leur courage et leur résilience sont un exemple pour les chrétiens du monde entier. Christian Cannuyer conclut sur une note d’espérance. Citant la déclaration d’Abou Dhabi du pape François et du grand imam d’Al-Azhar, il rappelle que « la foi ne doit jamais servir à écraser l’homme. Au contraire, elle doit être au service de la dignité, de la justice et de la paix. Et c’est dans cet esprit que Solidarité-Orient poursuit sa mission. »
 

Une mission de soutien et de sensibilisation

 

Depuis la Belgique, Solidarité-Orient mène un travail à la fois discret et précieux : soutenir les communautés chrétiennes orientales, souvent minoritaires, confrontées à des crises politiques, économiques ou sécuritaires. L’association agit principalement via la collecte de fonds – entre 200 000 et 300 000 euros par an – pour financer des projets locaux : écoles, hôpitaux, œuvres sociales et projets agricoles.


Contrairement à sa grande sœur française, l’Œuvre d’Orient, elle n’envoie pas directement de coopérants : « Nous n’avons pas les structures suffisantes pour cela, mais nous collaborons étroitement avec l’Œuvre d’Orient, qui encadre très bien les jeunes volontaires envoyés sur le terrain, souvent dans des communautés religieuses », précise Christian Cannuyer.
Solidarité-Orient, fondée en Belgique depuis 1958, comptait autrefois plus de 40 000 membres. Aujourd’hui, malgré la sécularisation croissante du pays, elle rassemble environ 6 000 sympathisants francophones et néerlandophones. Pour redonner de la visibilité à son action, l’association renforce sa présence dans les médias et sur le web, avec une revue de qualité et un site internet accessible https://orient-oosten.org/.

 

Du Liban à Gaza, des projets concrets sur le terrain


L'association soutient de nombreuses initiatives sur le terrain, dans des contextes très variés. À Gaza, elle appuie l’école de la Sainte Famille, qui dépend du diocèse latin, et qui continue de fonctionner malgré les tensions extrêmes. Au Liban, Solidarité-Orient soutient des projets de réinsertion à Beyrouth, ou encore une coopérative agricole dans le nord du pays, essentielle pour maintenir les populations dans les zones rurales.


Dans le sud de l’Inde, au Kerala, l’association accompagne des chrétiens de tradition syriaque, héritiers d’une Église née dans les premiers siècles du christianisme. En Éthiopie, elle suit de près l’évolution de l’Église orthodoxe éthiopienne, fille de l’Église copte d’Égypte, marquée par une liturgie vivante, africaine, mais également par de lourds conflits internes.


 

L’Arménie : une urgence silencieuse

 

Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur, Christian Cannuyer s’indigne du silence autour du drame arménien. La conquête du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, en 2023, a provoqué l’exode massif de la population arménienne de cette région historique. « Le Haut-Karabakh, c’est le cœur vivant de l’Arménie. Et il a été vidé de ses chrétiens en quelques jours, sous les yeux d’une communauté internationale atone », déplore-t-il.


Il regrette également la prudence excessive du Saint-Siège sur ce dossier : « Avec Monseigneur Gollnisch, nous n’hésitons pas à exprimer notre perplexité lors des réunions avec le dicastère pour les Églises orientales. Le Vatican devrait être plus ferme dans la défense de ce peuple, victime d’un prolongement du génocide de 1915. »


Derrière ce conflit, se dessine un projet plus large : « La création d’un grand espace panturc, de la Turquie jusqu’aux républiques turcophones du Caucase et de l’Asie centrale, au détriment des chrétiens arméniens. »

 

Un Orient multiple, ancien et vivant


Pour Christian Cannuyer, les chrétiens d’Orient ne sont pas des survivants du passé, mais les témoins d’un christianisme vivant, enraciné, divers. Qu’il s’agisse des melkites de Jérusalem, des coptes d’Égypte, des chaldéens d’Irak ou des syro-malabars d’Inde, tous partagent une même foi exprimée dans des traditions culturelles et liturgiques d’une richesse inestimable.
« Ces Églises nous offrent un autre visage du christianisme, plus incarné, plus symbolique, plus oriental dans sa manière de faire Église. Elles nous rappellent que la foi ne s’uniformise pas, mais qu’elle se vit dans la diversité des langues, des peuples, des rites. »
 

La naissance d’une passion


Comment est née la passion de Christian Cannuyer ? Il sourit et répond : « Il y a une phrase célèbre de l’égyptologue Auguste Mariette, originaire de Boulogne-sur-Mer, qui disait que les égyptologues ont souvent été “mordus par le Canard à l’âge tendre”, comme s’ils avaient été piqués par une passion soudaine et irréversible. Eh bien, c’est exactement ce qui m’est arrivé. Mon père m’a offert, alors que je n’avais que cinq ans, un livre sur l’Égypte ancienne. Je l’ai toujours dans ma bibliothèque. Ce fut un véritable coup de foudre. »


Et la vocation ne tarde pas à se confirmer : « À neuf ans, j’ai écrit au journal Tintin, auquel j’étais abonné, pour leur dire que je voulais devenir égyptologue et leur demander ce que je devais faire pour y parvenir. Le journal m’a gentiment répondu, en me transmettant le nom d’un jeune professeur d’égyptologie qui venait de rejoindre l’Université catholique de Louvain : Claude Vandersleyen. Je lui ai écrit, une lettre pleine d’élan mais maladroite, comme on peut l’être à cet âge. Et, chose incroyable, il m’a répondu. Il m’a donné des conseils, avec une grande humilité et bienveillance. Lorsque je suis enfin arrivé à l’université, je me suis inscrit en égyptologie et je suis allé le rencontrer. Il m’a reconnu immédiatement : “Ah, te voilà !” m’a-t-il dit. Il avait gardé ma lettre dans un tiroir de son bureau. Cet homme est ensuite devenu un collègue, un ami, et un maître. Il est aujourd’hui décédé, mais je lui dois beaucoup. Et, fait touchant, il m’a raconté qu’à son tour, lorsqu’il était jeune, il avait écrit à un grand égyptologue belge, Jean Capart, qui lui avait répondu. Il a voulu faire la même chose avec moi. »


Ce souvenir le touche profondément. « C’est la preuve qu’il faut toujours encourager la passion des enfants. Une simple lettre peut changer une vie », conclut-il.
Et la suite, on la connaît bien : docteur en égyptologie, professeur à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Lille – la célèbre “Catho” – mais aussi enseignant à Louvain-la-Neuve. Un parcours nourri d’érudition, d’engagement et de fidélité à une passion née dans l’enfance.
 

Sources d’inspiration


Chez Christian Cannuyer, tout engagement est enraciné dans une passion profonde et incarnée. Lorsqu'on l’interroge sur ses sources d’inspiration, il ne cite pas des dogmes figés ou des modèles idéalisés, mais des figures contrastées, des œuvres puissantes, et des expériences sensibles.
Parmi les premiers noms qui émergent, celui de Georges Bernanos. L’écrivain catholique, inclassable et provocateur, l’a profondément marqué : « Il était plein de paradoxes : viscéralement royaliste et pourtant antifasciste farouche, dénonçant le franquisme comme peu l’ont osé. Il portait une parole prophétique sur la modernité. » Dans La France contre les robots, Bernanos alertait déjà sur une civilisation technicienne qui prendrait le pas sur l’humain. « Il n’a pas pris une ride. Je crois qu’il aurait eu de grandes colères face à l’intelligence artificielle », sourit Christian. 


Au-delà de la littérature spirituelle, Christian Cannuyer est attentif à d’autres voix courageuses, notamment celles du judaïsme critique contemporain. Il cite Israéliens et Palestiniens – Dire la vérité, déconstruire les mythes, penser demain, de Michel Staszewski, historien belge. Issu d’une famille juive pratiquante et ancien enthousiaste du kibboutz, l’auteur y déconstruit, avec lucidité, certains récits du sionisme. « J’admire cette honnêteté intellectuelle. Ces voix juives fidèles à l’esprit des prophètes sont trop peu entendues dans nos médias, mais elles sont précieuses. Elles montrent qu’il existe une autre manière d’être juif, lucide, et profondément juste. » 


C’est dans un registre plus léger mais tout aussi humain qu’il évoque le film "Un p’tit truc en plus" d’Artus, qui l’a profondément touché. Ce regard drôle et tendre sur le handicap l’a ramené à l’expérience de L’Arche de Jean Vanier, notamment la communauté soutenue par Solidarité-Orient à El-Minya, en Égypte. « Malgré les zones d’ombre autour de Vanier, l’idéal de l’Arche reste intact. Ce film reflète à merveille l’humour profond et le sourire inépuisable que je retrouve chez les Égyptiens, même dans la pauvreté. » 


Quand il ferme les yeux pour imaginer un lieu où il se sent pleinement lui-même, Christian ne pense ni à un désert ni à une bibliothèque, mais à la liturgie orientale. « Quand je participe à la messe de la paroisse grecque melkite de Bruxelles, rue de l’Orient — ça ne s’invente pas —, je me sens en paix. Cette liturgie, plus verticale que nos rites latins, me relie au mystère. » Mais l’homme de foi est aussi un homme de table. « Partager un repas, un verre entre amis… Cela fait partie de ma spiritualité. N’oublions pas : le premier miracle de Jésus fut de changer l’eau en vin. C’est un acte d’humanité, pas une fantaisie. » 


S’il devait choisir une devise, Christian cite volontiers cette phrase attribuée à la princesse Diane d’Orléans : « Garde et tu pourriras, donne et tu fleuriras. » Il y voit une règle de vie, non seulement matérielle, mais spirituelle : « Partager le savoir, la passion, la foi… c’est ce qui nous fait grandir. »
Autour du cou, il porte une petite croix géorgienne : la croix de Sainte Nino, faite de deux sarments de vigne noués avec des cheveux. « Elle symbolise à la fois l’Orient chrétien, la figure féminine de la miséricorde, et cette vigne qui réjouit le cœur de l’homme. Tout y est. »


Et quand on lui demande : Qui est Dieu pour vous ?, il répond simplement, en arabe :
« Ar-Rahman, le Miséricordieux. C’est ce nom qui dit le mieux ce que j’espère de Lui : qu’Il puise dans l’océan de mes faiblesses avec miséricorde. »

 

Contact


Solidarité-Orient asbl 
Rue Marie de Bourgogne 8, 1050 BRUXELLES
orient.oosten@skynet.be
+32 (0)2 512 15 49


 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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