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Le livre de la semaine : "Mauvaise fille" de Fabienne Bichet

Le livre de la semaine : "Mauvaise fille" de Fabienne Bichet

RCF, le 9 octobre 2025 - Modifié le 9 octobre 2025
L'Actualité littéraireLe livre de la semaine : "Mauvaise fille", de Fabienne Bichet

On se souvient du succès considérable de Moi Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée. C’était en 1981 pour la version française. Aussi, lorsque j’ai reçu « Moi, Fabienne B., mauvaise fille » que publie Textuel, j’ai imaginé un remake d’adolescence paumée à la sauce David Bowie.

Couverture de  "Mauvaise fille" par Fabienne Bichet © DRCouverture de "Mauvaise fille" par Fabienne Bichet © DR

Quelle n’a pas été ma surprise de rencontrer une femme, Fabienne Bichet, l’autrice, une figure plus qu’attachante qui crie à l’injustice et, refusant de se placer en victime, se fait actrice de sa vie à la force des poignets avec un courage sidérant et un culot étonnant. Elle est aujourd’hui l’une des figures essentielles du cinéma français avec notamment un passage remarqué chez Canal + ; une des directrices de casting qui compte.

De l’ombre à la lumière

Sa mère a vingt ans, elle est femme de ménage dans un hôtel à Paris. « Nous sommes en 1956. Elle ne peut pas dire qu’elle est fille-mère, elle sait qu’elle sera rejetée. Alors c’est moi qu’elle rejette ». Premier abandon. 5921 RT 56, on croirait la plaque d’immatriculation d’une voiture du Morbihan mais non, c’est sa matricule à l’Assistance publique : crèche, pouponnière, trois familles d’accueil. « A trois ans, j’arrive dans ma cinquième maison ». Et là, c’est le paradis ou presque ? La campagne, les animaux mais aussi la bestialité. Elle est le petit chaperon rouge et elle écrit : « Le grand-père, c’est l’incarnation du loup… Je veux lui dire que je n’aime pas ça. Je sais qu’il ne m’écoutera pas ».
Et là, j’insiste sur la qualité de l’écriture. Incestes, viols, prostitution, elle subit les violences insupportables et elle a la force du témoignage et la délicatesse d’évoquer sans voyeurisme ni exhibitionnisme. Mauriac écrivait : « La plus grande audace et la plus grande pudeur, c’est ça le style ». Et elle le tient tout au long des 220 pages de votre livre. Je laisse aux auditeurs, aux futurs lecteurs j’espère, les détails de cette enfance en ballotage. Une des conséquences psychologiques est le mutisme : « Ce que je voudrais dire, j’ai peur de le dire. Et puis ne pas le dire, c’est faire comme si ça n’existait pas ».

Alors à l’école, comment ça se passe ?

Elle est figée dans son petit coin du monde en attendant que quelque chose se passe. Et puis, il y a Claude « Il fait avec moi la même chose que le grand-père ». Elle se fait renvoyer avec le mot : « Fille déviante et vicieuse ». Et voilà la titre « Mauvaise fille » qui lui colle à la peau. Trimballée de mal en pis elle se retrouve au Bon Pasteur. Sur le site actuel du Bon Pasteur, on lit : « le Bon Pasteur a pour mission de rassembler les brebis égarées, de les consoler, de les nourrir, et d’en prendre soin, selon ce que dit déjà Dieu au prophète Jérémie, dans l’Ancien Testament : « Je rassemblerai mes brebis […] Je les ramènerai à leurs champs, et elles croîtront et se multiplieront. Et J’établirai sur elles des pasteurs qui les feront paître ; elles ne seront plus dans la crainte et l’épouvante, et il ne s’en perdra pas une seule, dit le Seigneur » (Jr 23,3-4). » Le mouvement est traditionnaliste, célébrant la messe de Saint
Pie V. A cette époque, il s’agit d’une maison de correction (ou de
rédemption) pour les mauvaises filles. Contritions, culpabilités…

Une ville de filles pour les filles ? 

« Le seul endroit où l’on rencontre un homme, c’est ici. Il est vieux, moche et asexué. Il règne en maître sur un troupeau de robes noires » : l’abbé. Et quand l’abbé meurt, les religieuses obligent les filles à aller honorer le défunt : « Chacune d’entre vous, mesdemoiselles, va venir auprès de l’abbé lui déposer un baiser ». Elle posera les lèvres sur le front glacé du cadavre. Alors reviennent les mots. « Je sais qu’il me manque les mots pour être entendue, pour être comprise ». Car il y a un déclic qui vient paradoxalement de l’Enfer du Bon Pasteur. Et là, la rédemption, Fabienne Bichet, lente, patiente. Mais elle traverse encore les cachots, enlèvements, prostitutions. Quand elle va être vendue en esclavage à un Égyptien, elle parvient à fuir par une fenêtre et court à perdre haleine, fait du stop, est recueillie par une main bienveillante :
Daniel Brégé. Il la loge chez lui, dans la chambre d’amie avec du linge propre. A Fontainebleau, elle assiste à un tournage de film en costumes. La féérie se déploie devant elle. Elle sait quelle est sa voie désormais : « Je franchis la porte sans y être invitée ».

Une gourmandise de vie exceptionnelles

Et c’est ce talent, cet instinct de vivre, qui va la faire complice avec des grands noms comme Jean-Paul Belmondo, Claude Lelouch, talent qui va établir les castings pour deux ou trois James Bond. Elle est bien implantée par sa seule volonté, son culot et son intelligence. Elle décrit son premier festival de Cannes, la montée des marches, le tapis rouge. Elle aime son métier, le cinéma, elle est membre de plusieurs jurys. Epouse d’un grand photographe, mère de trois enfants et désormais grand-mère, Fabienne Bichet signe ce livre non de souvenirs mais de témoignage : « j’ai compris que témoigner n’était pas seulement un acte personnel mais une nécessité collective » écrit-elle. Ce livre est un élan dans la vie avec l’envie d’en découdre. La vie avant tout.

Émission L'Actualité littéraire © RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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