Bilan d'une vie et retour à la maisonQuand disparaît quelqu’un qui a marqué son époque, et qui de plus a été un grand penseur, on s’attend à découvrir de lui des paroles décisives qui soient comme une cristallisation de sa pensée : on a du mal à l’imaginer disant des choses toutes simples.
Je me souviens d’amis d’enfance qui étaient allés rendre visite à Jacques Maritain au soir de sa vie. Celui qui avait été un des plus grands philosophes catholiques du XXe siècle, ami personnel de Paul VI, avait choisi d’achever son existence à Toulouse chez les Petits Frères de Jésus au milieu de qui il devait mourir en 1973. Les amis en question avaient fait le voyage pour écouter Maritain et en étaient revenus fort déçus, car le « grand homme » avait parlé avec tant de simplicité qu’il n’avait rien dit qui leur parût particulièrement intéressant et digne de figurer dans un carnet de voyage. Ils n’étaient pas loin d’attribuer cela à un gâtisme précoce chez celui qui s’appelait lui-même « le paysan de la Garonne ».
Quand nous lisons le Testament spirituel du pape émérite Benoît XVI, c’est la même simplicité qui nous frappe. Benoît XVI commence par dire merci à Dieu pour tout ce qu’il lui a donné et pour le pardon de ses péchés. Puis tout naturellement, il passe de Dieu à ses parents : « un foyer merveilleux dont la lumière a irradié de sa clarté toute ma vie jusqu’à ce jour » écrit-il. Ensuite son action de grâce s’élargit à sa sœur, à son frère, à ses amis, à ses enseignants, à ses élèves, et pour finir à son pays pour lequel il exprime la crainte qu’il laisse s’éteindre la foi transmise à travers les générations. Enfin, il demande pardon à tous ceux à qui il a pu faire du mal, et il demande qu’on prie pour lui. Tout passe, mais Jésus demeure : tel est le cri final de ce testament spirituel.
J’ai gardé en mémoire un récit particulièrement émouvant de son autobiographie. Il avait dix-huit ans au moment de l’effondrement de l’Allemagne, et il venait d’être libéré de ses obligations militaires. Se souvenant de son retour chez ses parents à Traunstein, il écrit : « À cet instant, la Jérusalem céleste n’aurait pu me paraître plus belle. Depuis l’église, j’entendais prier et chanter : c’était le soir du vendredi, jour du Sacré-Cœur… De ma vie, je n’ai trouvé un repas aussi délicieux que le simple dîner que notre mère nous prépara avec les produits du jardin. » Il venait de rentrer dans sa maison familiale. Aujourd’hui, il entre dans la Maison du Père où le Christ nous a promis de nous préparer une place. Ce sera notre chez-nous, notre maison familiale et notre joie pour toujours.