Cinq morts en trois ans : le chantier du Grand Paris Express est-il en train de devenir le chantier de l’hécatombe ?
La semaine dernière, un ouvrier de 22 ans est mort écrasé par un bloc de béton sur le chantier de la ligne 17 du Grand Paris Express. Depuis le début des travaux il y a trois ans, cinq personnes sont mortes et 18 ont été gravement blessées sur ce chantier colossal destiné à désenclaver plusieurs territoires d’Ile-de-France. Une série noire qui interpelle et qui serait le résultat d'un système accidentogène.
Maxime Wagner, mort pendant une opération de déplombage dans un tunnelier, Abdoulaye Soumahoro, mort en tombant dans un broyeur de tunnelier, Joao Baptista Miranda, mort écrasé par une plaque métallique, Franck Michel, mort écrasé sous une charge de palettes et désormais Seydou Fofana, mort écrasé par une plaque de béton …
Cinq morts qui ne seraient pas dues à la fatalité mais bel et bien à un système d’après Matthieu Lépine, professeur d’histoire et auteur de "L’hécatombe invisible, enquête sur les morts au travail" (éd. Seuil, 2023). "On est sur des chantiers immenses avec énormément de sous-traitance et on sait que ce sont des schémas qui amènent à une accidentologie plus élevée", affirme celui qui recense les morts au travail depuis 2019.
Sous-traitance, précarité et timing : attention danger
En tout, 5000 entreprises sont impliquées sur ce chantier. Un nombre important de corps de métiers qui travaillent parfois au même endroit au même moment, ce qui complique la communication et entraîne "une forme de dilution des responsabilités", d’après Matthieu Lépine.
À ce problème s’ajoute celui de la précarité des salariés. Avec des travailleurs intérimaires, sous-traitants, détachés et parfois sans-papier à qui "on demande d’être opérationnels très vite sans leur laisser le temps de s’adapter à de nouvelles machines ou à de nouvelles équipes", explique le lanceur d’alerte.
La question de la cadence imposée aux travailleurs ne serait pas étrangère non plus aux accidents. En effet, certains aménagements du Grand Paris Express sont attendus pour les Jeux olympiques 2024. Une échéance qui approche à grands pas et qui obligent les entreprises à accélérer leur travail.
À qui la faute ?
Mais alors qui est responsable ? La société du Grand Paris Express, maître d’œuvre du projet ou les entreprises sous-traitantes ? Pour Jean-Pascal François, elles ont toutes leur part de responsabilité. Contactée, la société du GPE n’a pas souhaité faire de commentaires. Elle renvoie au communiqué de presse publié la semaine dernière suite au décès de Seydou Fofana. Et dans lequel le président du directoire Jean-François Monteils assure que "la sécurité est [leur] priorité absolue". Mais il constate aussi que celle-ci n’est pas suffisamment intégrée par l’ensemble des intervenants sur leurs chantiers.
Le chantier du Grand Paris Express, un révélateur des difficultés du BTP
À la fin, c’est la justice qui tranchera du niveau de responsabilité de chacun. La semaine dernière, le procès pour la mort de Maxime Wagner, le premier ouvrier mort sur le chantier du PGE près d’Orly, s’est d’ailleurs tenu au tribunal de grande instance de Créteil. Le parquet a requis une peine d’une amende de 250.000 euros contre l’entreprise Dodin Campenon Bernard et 9 mois de prison avec sursis contre les deux prévenus. Le verdict sera rendu le 29 juin.
Des réquisitions encore trop faibles compte-tenu de la gravité des accidents d'après Jean-Pascal François de la CGT Construction. "On constate par habitude qu’un salarié mort au travail c’est 100.000 euros, c’est bien moins cher qu’un bulldozer ou une pelleteuse mécanique", déplore-t-il en incitant les constructeurs à disposer de leur droit de retrait lorsque la sécurité ne leur semble pas assurée.
Plus que le chantier du Paris Grand Express, c’est tout le secteur du BTP qui est à la peine depuis une quinzaine d’années. "On a supprimé les CHSCT [les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en 2017, NDLR], on a donné de moins en moins de moyens à l’inspection du travail, on a une médecine de travail qui est moribonde, on a supprimé des critères de pénibilité", énumère Matthieu Lépine qui exhorte à prendre ce sujet "à bras-le-corps" pour éviter ces accidents mortels. Des accidents bien trop nombreux en France. En 2019, le pays était le premier de l’Union européenne en termes de morts au travail.
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