Entre muses et mécènes. Comtesse Greffulhe. Misia Sert. Princesse de Polignac.
Le don. Le don de soi. Aimer, partager, transmettre. Sentir, comprendre contre vents et marées, de l’importance d’un artiste, d’un compositeur, d’une œuvre, et cela bien avant les autres. Tout faire pour mettre en avant la nouveauté, la modernité. Tout faire pour lui donner sa chance. Ils, et surtout elles, seront nombreuses, ces mécènes d’un autre temps, et en cette semaine du don, nous avons choisi de vous tracer le portrait de trois d’entre elles, et non des moindres.
Photo Philippe Soler
La Comtesse Greffulhe, incarnation de l'élégance, du raffinement selon Proust.
La Comtesse Greffulhe, Élisabeth de Caraman Chimay, était une figure importante de la haute société durant la Belle époque. Célébrissime pour sa beauté, son élégance, elle inspirera à Proust le personnage de la Duchesse de Guermantes dans « A la recherche du temps perdu » Elle sera habillée par les plus grands couturiers de l'époque, et ses robes seront de véritables œuvres d'art où se mêleront velours, tulles, broderies précieuses, motifs exotiques, couleurs profondes comme le vert émeraude, le noir ou le violet.

Grande protectrice des arts, la Comtesse soutiendra en particulier les musiciens. Elle aidera à faire connaître en France, Wagner, Mahler, Schoenberg encourageant leurs œuvres, finançant des concerts, malgré la controverse qu’ils suscitaient. La comtesse utilisera son immense réseau pour mettre en relation mécènes, artistes, intellectuels permettant à de nombreux projets de voir le jour. Grande admiratrice de Gabriel Fauré, elle soutiendra celui-ci tout au long de sa carrière, tant sur le plan financier, que sur le plan social. Elle l'invitera régulièrement à venir jouer dans ses salons, ce qui permettra à notre compositeur de présenter ses œuvres nouvelles à une audience prestigieuse et influente. Et puis, Claude Debussy se délectera de l'ambiance raffinée de ces cercles, sans oublier Auguste Rodin, Robert de Montesquiou, poète dandy, cousin de la comtesse, Sarah Bernhardt, l'immense tragédienne, Marie Curie que notre comtesse soutiendra discrètement pour ses recherches et bien sûr Marcel Proust, lequel trouvera dans ces ambiances salonnardes matière à créer ses personnages mondains

Elle s’appelait Misia.
Misia Sert, Reine de Paris ! D'origine polonaise, elle se lancera à la conquête de la capitale. Ni actrice, ni cocotte, ni présidente d'un salon artistique, elle s'imposera, soutenant de nombreux artistes. Son caractère ? Complexe ! Panthère sanguinaire, mante religieuse, ceux qui l'ont connue témoigneront de son magnétisme. Elle savait créer autour d'elle un monde stimulant, dans lequel les artistes trouvaient une muse, une confidente, un soutien. Elle pouvait être possessive, dominatrice, capricieuse. Ses amitiés étaient passionnées mais bien souvent étouffantes. En même temps, elle donnait beaucoup d'elle-même soutenant les artistes, tissant des liens entre eux. Misia aura été l'une des grandes alliées de Diaghilev. Elle contribuera à financer les Ballets Russes et soutiendra artistiquement la troupe.

Cipa Godebsvi, demi-frère de Misia, ami intime de Ravel.
Homme de lettres, artiste jusqu'au tréfonds de son âme, Cipa aura avec sa demi-sœur Misia, une complicité à nulle autre pareille. Et Cipa Godebski tiendra salon, participant à toutes les batailles de Misia. Et puis il y aura les intimes, les amis, les vrais, lesquels auront pour nom Vuillard, Bonnard, Paul Valéry, Toulouse-Lautrec, Stéphane Mallarmé, Erik Satie, sans oublier Maurice Ravel. Ravel ? Un membre à part entière de la famille Godebsky. Ils étaient intimement liés. Et notre compositeur qui était réservé, secret, pudique, solitaire, nouera des liens affectifs très proches avec les enfants de Ida et Cipa, Jean et Mimi. Il les considérait comme ses propres enfants et ceux-ci l'appelaient « Oncle Ravel ». C'est pour eux qu'il composera les « Contes de ma mère l'Oye » d'après Charles Perrault, un univers féerique et enchanteur, ce monde merveilleux de l’enfance qui sera pour notre compositeur, une source inépuisable d'inspiration.

Winnaretta Singer. Une fortune colossale au service de l’art.
Winnaretta Singer est née le 8 janvier à 1865, dans l'état de New York. Elle est la vingtième des vingt-quatre enfants d’Isaac Merrit Singer, l'inventeur de la machine à coudre, lequel fera fortune grâce à son invention, une fortune colossale laquelle permettra à ses enfants de vivre dans un confort exceptionnel. A la mort du père, la famille s'installe à Paris. Winnaretta, dès sa jeunesse, montrera une passion pour l'art, la musique, la littérature. Elle peint, elle joue du piano, de l'orgue, et fréquente les artistes et intellectuels avant-gardistes. En 1893 elle se marie avec le Prince Edmond de Polignac. Il y aura entre eux, une compréhension, une complicité artistique d’une intelligence rare. La Princesse de Polignac mettra toute sa fortune au service des artistes, tenant salon, dans son hôtel particulier, avenue Georges Mandel, ainsi qu’à Venise dans son palais Contarini Polignac. Elle aidera et encouragera les plus grands musiciens de son temps. Nadia Boulanger, Chabrier, Reynaldo Hahn, Darius Milhaud, Ravel, Jean Wiener, Albeniz, Szymanowski, sans oublier les pianistes Ricardo Vines, Blanche Selva, Clara Haskil, Lili Kraus, Arthur Rubinstein, et la danseuse Isadora Duncan. La Princesse de Polignac ne recevait pas pour faire société. Elle choisissait ses invités avec soin, la qualité artistique et intellectuelle, primant sur le statut social. Elle encouragera la création, passant commandes aux compositeurs sans favoriser telle ou telle esthétique. Des plus modernes aux néoclassiques, des plus audacieux aux quelques conservateurs. Passer commande voudra dire, assurer les répétitions dans son salon, faire une première lecture en privé devant une assistance restreinte, et puis financer le projet pour le présenter dans une grande salle parisienne. Verrons, entre autres le jour, Renard de Stravinsky, Socrate d’Erik Satie, les Tréteaux de Maître Pierre de Manuel de Falla. Et puis les Noces de Stravinsky, Appolon musagète sans oublier les Biches de Poulenc, son Concerto pour deux pianos, le concerto pour orgue.

Myriam Chimènes. Un livre incontournable.
Sous la IIIe République, le rôle majeur joué par les mécènes, dans la diffusion et la création musicale, semble pallier les carences de l'Etat, lequel ne mène pas de véritable politique musicale. Des concerts de la Société Nationale de Musique à ceux du Groupe Jeune France, en passant par les Ballets russes ou les Concerts Wiener, une grande partie des manifestations, qui font date dans l'histoire de la musique de cette période, doivent leur survie à l’appui que les classes sociales fortunées vont apporter à ces initiatives privées. Simple réjouissance de l'intimité, ou accessoire des réceptions mondaines, la musique occupe une place de choix dans les salons, lieux de sociabilité mais également lieux d’échanges, de travail pour nos musiciens. Du salon au concert, des réseaux se dessinent, assurant une circulation subtile entre l'espace privé et l'espace public. Ce qui a longtemps été considéré comme « de la petite histoire » sera au bout du compte, loin d’être anecdotique dans l'histoire de la vie musicale parisienne de cette époque.
Jeudi 20 novembre à 16h.
Tous mélomanes.
Philippe Soler/Bertrand Lachanat


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