Philippe Soler, pianiste et pédagogue professionnel, se confie au micro de Bertrand Lachanat, à propos de son expérience face à la musique, face aux langages dit « contemporains », et cela en trois épisodes.
Et tout commencera avec Debussy et l’histoire d’un faune.
En musique vont cohabiter, et cela à partir du « Prélude à l’après midi d’un faune » de Claude Debussy, des esthétiques, des courants, des techniques d'écriture différentes, opposées, antagoniques, lesquelles vont se contredire, se compléter, des musiques dont la majorité seront totalement intégrées de nos jours à l'histoire de l'art, à l'histoire de la musique. Je rappelle que ce que l'on appelle le dodécaphonisme est plus que centenaire et fera quelques petits, dont Pierre Boulez et Jean Barraqué. Des sonorités bizarres, dérangeantes, agressives, loin d'être confortables, vont s’offrir à nos oreilles, nous déstabilisant, nous faisant quelque peu, perdre nos repères.
Tuilage du système tonal à celui d’atonal.
De manière ludique, Philippe Soler nous raconte comment le chromatisme est venu petit à petit, au fil des années, à infiltrer le système tonal, ce système parfaitement équilibré. Ce chromatisme se fera au début ornemental, décoratif, pour devenir, en plein romantisme, source de tension, d’expression, de dramatisation.
1865, une année révolutionnaire dans l’histoire de la musique, tout cela à cause d’un accord.
C’est l’histoire d’un accord, le tout premier qui ouvrira l'opéra de Tristan et Isolde de Richard Wagner, accord appelé à juste titre, accord de Tristan, que des générations de musicologues vont se disputer. Une mélodie ascendante, mélodie chromatique laquelle nous amènera vers un accord, un accord qui restera en suspens, et puis le silence. Cet accord ne sera pas révolutionnaire en soi, de par ses notes, mais de par la manière dont Wagner les dispose, brouillant les pistes, et surtout le laissant sans résolution. Wagner ne fermera pas la chose, et son génie sera de laisser cet accord en suspens, durant près de quatre heures. Il nous faudra attendre la mort des deux amants, pour que cette harmonie se ferme, et la révolution musicale sera dans cette attente, dans cette non-résolution des choses, laquelle nous fera perdre notre ligne d’horizon.
Récupération de l’accord de Tristan, par Schoenberg.
Ce chromatisme de Wagner sera à un tel point révolutionnaire, que Schoenberg le récupérera à son compte, et se réclamera du chromatisme de Tristan, pour fonder le système atonal. Nous sommes avec cet opéra à un point charnière dans l'histoire de la musique Peu d'œuvres, aussi révolutionnaires soient-elles, pourront se targuer d'avoir semées autant de trouble, chez les compositeurs à venir.
Et Liszt se fera énigmatique.
Franz Liszt, le tout dernier Liszt avec Nuages gris, se fera énigmatique. Nous sommes en 1881. Une œuvre étrange que cette pièce semi-tonale, une œuvre visionnaire avec ses dissonances non résolues, et qui va tendre vers l'expressionnisme à venir, celui des compositeurs viennois comme Mahler ou Schoenberg.
Scriabine, un électron libre.
Alexandre Scriabine poussera les limites de la tonalité très loin, à travers l'élaboration d'œuvres complexes, avec des opus bien souvent compréhensibles par le seul biais de leur dimension philosophique, par le seul biais de leur dimension mystique. Un langage révolutionnaire qui ne ressemblera à aucun autre et qui pourra exercer sur nous une attraction à nulle autre pareille. Extase, liturgie magique, pouvoir hypnotique, magnétisme. Scriabine tentera de réunir l'inconciliable et son imagination s'enflammera. Il en arrivera à avoir des pensées délirantes. Comme Wagner dans Tristan, il abandonnera les résolutions harmoniques, il fera s’évaporer les fonctions tonales. Scriabine va se faire étrange, imprévisible. Scriabine va aller bien au-delà de la musique. Il aura ce besoin impérieux de mélanger les genres, poésie, fusion des couleurs, de la lumière, parfum, mysticisme, danse, philosophie. Scriabine sera en lien total avec le cosmos.
Et l’opus 11 de Schoenberg se fait jour.
L’opus 11 de Schoenberg est à considérer comme une œuvre expérimentale. L'emprise de Brahms, le Brahms tardif se fera sentir dans cette œuvre, notamment par l'ancrage, l'assise profonde des basses. Ce cycle est on ne peut plus attachant, attachant parce que s’il ouvre une nouvelle voie, certains repères seront encore présents. C'est un piano qui nous chantera la douleur, mais avec une écriture qui va suivre à la lettre les règles du contrepoint. De son côté la forme sera claire, pour ne pas dire classique. Malgré cela nous serons à la croisée de deux chemins, et tout le principe dodécaphonique à venir de Schoenberg, sera en germe dans cette œuvre.
La nuit transfigurée.
1899. Avec cette « Nuit transfigurée » de Schoenberg, nous serons en pleine apogée, de ce que l'on appellera le post-romantisme, chez les Allemands chez les Autrichiens, pendant que chez nous, en France, quasiment aux mêmes dates, Claude Debussy composera ses trois Nocturnes pour orchestre, ouvrant la voie à un nouveau monde, que l'on nommera de manière un peu trop abusive, impressionnisme musical. Mais cette histoire je vous la raconterai au cours de notre second voyage. Pour l’heure, nous nous quitterons nous avec « La nuit transfigurée » de Schoenberg et la Philharmonique de Berlin placée sous la direction d'Herbert von Karajan, un des plus beaux enregistrements de cette œuvre, un des plus beaux enregistrements de Karajan, un éblouissement sonore. Je vous dis à très bientôt.
Philippe Soler. « Musiques du XXème siècle » les 14, 20 et 27 mars à 16h.
Vous aimez la musique classique ? Eux, ils l'adorent... Tous mélomanes, une émission quotidienne faîte par des mélomanes, et pour des mélomanes !
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !