Ils ont pu s'installer il y a de nombreuses années et pourtant, ils peuvent perturber nos vies aujourd'hui. Ce sont les secrets de famille. Mais comment naissent ils ? Pourquoi les cacher ? Comment arrivent-ils à traverser les générations ? Et surtout, comment y faire face ? Décryptage avec Anne-Marie Sudry, psychanalyste et Chantal Motto, psychopraticienne et auteure de "Lever les secrets de famille et se libérer des tabous" aux éditions Dunod.
Etablir un lien entre un fait traumatisant du passé avec ses conséquences sur les descendants, c’est ce que permet la psycho généalogie. "Une psychologie de la famille dont les bases ont été lancée par Anne Ancelin Schutzenberger, avec son best-seller "Aïe mes aïeux." rappelle Chantal Motto. Mais quelle différence ou complément avec la psychanalyse ? "Nous, nous nous intéressons au sujet et au discours qu’il va présenter et non pas à un élément précis." explique la lacanienne Anne-Marie Sudry. "On ne va donc pas l’orienter forcément vers sa famille. C’est le sujet qui va venir parler de ce qui le fait souffrir et à partir de l’analyse de ce discours, et d’éléments inconscients, comme les rêves ou les lapsus, on va pouvoir décrypter les choses."
Cela dit, secrets de famille, quelles peuvent être leur nature ? Dans son livre, Chantal Motto cite des origines diverses : L’enfant qui n’a pas pu vivre et dont on n’a jamais parlé, l’enfant illégitime qui n’a jamais été reconnu ou abandonné, les suicides, "mais aussi tous les traumatismes de guerre, à la fois vécus comme victime ou persécuteur, sans oublier les abus sexuels ou incestes, voire regards incestueux." complète-t-elle. Secret enfin lié à des raisons financières, de peur qu’un enfant naturel vienne réclamer une part d’héritage !
Mais pourquoi sont-ils cachés ? Là aussi les causes sont nombreuses : "Sauver la face, ne pas détruire l’image de la famille face au qu’en dira-t-on." explique Chantal Motto. "Egalement l’illusion de protéger les personnes, notamment les enfants en cas de mort subite ou par accident. Et puis les événements qu’on tait pour se protéger soi-même, comme les faits de guerre: elle est terminée, on n’en parle plus." Des traumatismes violents, que le cerveau refoule par réflexe de survie, "Mais il y a aussi le déni." rajoute Anne-Marie Sudry. Et de citer le cas de Jonathann Daval, qui avait assassiné sa femme Alexia en 2017 et qui jusqu’aux funérailles "était ravagé par les pleurs, persuadé que le meurtrier était quelqu’un d’autre."
Dans quelle mesure ces secrets de famille peuvent impacter nos vies aujourd’hui ? Les stigmates peuvent être physiques et inexpliqués : maux de ventre, troubles alimentaires, bégayements en cas de stress, problèmes aux pieds ou aux chevilles, symbolisant la difficulté à avancer. Répercussions psychologiques également : sentiment constant de culpabilité, manque de confiance en soi, accès de colère incontrôlés, crainte d’être abandonné. Maurice témoigne : "Mon arrière-grand-père a été accusé injustement d’avoir tué sa femme. Il a fini sa vie tout seul. Et moi, j’en ressens aujourd’hui une peur d’aller vers les autres. Je préfère rester dans mon coin ».
Mais comment expliquer justement que des événements traumatiques puissent se perpétuer de génération en génération ? "On peut comparer cette transmission inconsciente à une transmission génétique, un peu comme s’il y avait un ADN du système familial. explique l'auteure de "Lever les secrets de famille". Une personne qui nait dans un système va récupérer des éléments de ce système. C’est un petit peu comme les cellules de notre corps, de notre psychisme, qui sont mises en connexion avec les cellules de notre famille, parents ou grands-parents."
Anne-Marie Sudry tempère : "L’enfant nait certes avec toute une ascendance qui l’a précédée, avec tout un savoir-faire de la vie, une façon d’être avec les autres. L’enfant va grandir, avec cette famille qui a ses codes et forcément, il y a des choses qui vont se passer à ce niveau-là. Mais je crois qu’il faut aussi insister sur la capacité de chacun à sortir de ces voies qui seraient guidées par la famille et de faire autrement, parfois mieux ou moins bien ! "
Quelles approches justement pour sortir de cette souffrance héritée de ces non-dits familiaux ? Par la parole, la psychanalyse permet d’accompagner le sujet à identifier et dénouer ses blocages. Egalement l’interprétation des rêves, dont se sert Chantal Motto dans sa pratique. Autre outil utilisé : la constellation familiale. Développée dans les années 90 par Bert Hellinger, ancien prêtre et psychothérapeute allemand, cette méthode a pour principe de visualiser par le patient, dit "constellant", son système familial par des participants représentant des membres de la famille ou des émotions. "On va demander aux représentants d’exprimer leur ressentis et d’en donner des éléments, qui seront vérifiés par le constellant." avec l’objectif de donner des pistes pour comprendre ces blocages et avancer.
Une forme de thérapie cependant non reconnue par la fédération française de psychothérapie et de psychanalyse et même jugée dangereuse selon la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les dérives sectaires (la mivilude) Des critiques que reconnait Chantal Motto qui insiste sur le contrôle de la formation du praticien, tout en précisant que cette technique peut aussi être pratiquée en individuel, avec des papiers ou des figurines. Pour sa part, Anne-Marie Sudry reste réservée sur le côté directif de cette approche : "En psychanalyse, c’est le sujet qui vient dire, rapporter des rêves etc. On l’accompagne, mais one coache pas, on n’induit pas les choses à la place de la personne qui vient consulter."
Reste que la vérité, lorsqu’elle est révélée, peut être dévastatrice. Cathie témoigne, bouleversée : "Il y a 6 jours, au moment de mourir, ma mère m’a confiée que j’étais née d’un viol de mon oncle. Pourquoi ne pas me l’avoir dit quand j’avais 18, 20 ans ? Pourquoi je n’arrive pas à lui pardonner alors que ce n’était pas de sa faute ? " Anne, pour sa part, n’a pas voulu cacher à ses enfants les violences sexuelles qu’elle a subies à 6 ans. "Ils en ont souffert, et je pense qu’il faut continuer à en parler après." affirme-t-elle.
Du courage, il en faut pourtant pour briser les tabous. Pour soi et aussi d’aller contre sa propre famille, "de tout ce qu’elle a fait comme effort pour maintenir le secret. Ça peut la faire exploser !" considère Chantal Motto. "Ça peut aussi remettre en cause des gens qui ont pris le pouvoir dans la famille, notamment en cas d’inceste. Et donc affronter le patriarche ou la personne qui peut avoir menacé, il faut être courageux. Mais le fait de comprendre, de se confronter à la réalité, c’est de se donner les moyens de reprendre les rênes de sa vie." Et Anne-Marie Sudry de conclure sur une note joyeuse : "Il n’ y a pas que des choses dramatiques. Il y a des savoirs faire, des recettes de cuisine, tout un tas de secrets qui fondent la famille et lui permettent aussi de trouver un trait d’union !"
Pour aller plus loin :
Lever les secrets de famille et se libérer des tabous de Chantal Motto. "Un livre qui décrit précisément l’origine, les mécanismes de transmission, les conséquences et les approches pour y faire face, illustré de 14 cas concrets". Éditions Dunod - 2025
Aïe mes Aïeux, le livre de référence de Anne Ancelin Schutzenberger, psychothérapeute et universitaire française. Éditions Desclée de Brouwer - 2009
Chouchou ou mal-aimé : se libérer du regard familial d'Anne-Marie Sudry, psychanalyste et Catherine Siguret, journaliste. "Un livre qui aborde notamment l’idéalisation de l’enfant décédé par rapport aux enfants survivants." Éditions Denoël - 2019
Filmographie :
Un secret de Claude Miller (2007), d’après le livre de Philippe Grimbert, avec Patrick Bruel et Cécile de France.
Elle s’appelait Sarah (2010) de Gilles Paquet-Brenner, d’après le livre de Tatiana de Rosnay, avec Kristin Scott-Thomas.
Festen (1998) de Thomas Vinterberg. Analyse complète dans le livre de Chantal Motto précité.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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