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RCF Rapport Sauvé : l’État peut-il imposer la levée du secret de la confession ?

Rapport Sauvé : l’État peut-il imposer la levée du secret de la confession ?

Un article rédigé par Rédaction - RCF,  -  Modifié le 13 octobre 2021

Parmi les préconisations de la CIASE, une a beaucoup fait réagir. La Commission demande en particulier la levée systématique du secret de la confession dans le cas précis des violences sexuelles sur mineurs et personnes vulnérables. Une préconisation qui n’est pas du goût de l’épiscopat, et qui a engendré une passe d’armes avec le ministère de l’Intérieur.

Confession - Farid DJEMMALCIRIC Confession - Farid DJEMMALCIRIC

"Une obligation qui doit s'imposer à tous"

 

Interrogé mardi 5 octobre dernier sur France Info, Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort déclarait que "le secret de la confession s'impose à nous et en cela, il est plus fort que les lois de la République". Une affirmation qui n’a pas plu au gouvernement. Le ministre de l’intérieur a convoqué le président de la Conférence des Evêques de France pour qu’il s’explique. Il faut dire que la question est sensible.

 

La CIASE s’appuie sur le code pénal qui prévoit l’obligation de signalement pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements, d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable. C’est ce que rappelle Didier Guérin, membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique et magistrat honoraire sur RCF.

 

"Nous comprenons bien le caractère sacré de la confession mais nous nous trouvons face à une obligation prévue par la loi et qui doit s’imposer à tous. Le pape lui-même a dit que les lois de la République devaient être appliquées par les religieux. […] Il ne peut être imaginé d’autre règle qui serait dérogatoire. Il s’agit d’un droit divin que celui de protéger la vie" explique-t-il notamment.

 

"La dernière jurisprudence connue de la Cour de cassation remonte à 1891. Depuis lors, les textes ont beaucoup bougé. Et en particulier pour protéger mieux les mineurs. Notre code pénal actuel prévoit une obligation de dénoncer aux autorités compétentes tout abus sexuel sur des mineurs ou des personnes vulnérables. A partir de là, ceux qui ont le secret professionnel à respecter invoquent celui-ci. Mais la loi prévoit bien que dans ce cas-là, le secret professionnel n’est plus opposable" ajoute le magistrat.

Emission Spéciale Didier Guérin sur la jurisprudence

Une polémique qui occulte les bonnes mesures à prendre

Pour Thibault Joubert au contraire, il est essentiel de préserver la règle du secret de la confession. Ce spécialiste du droit canonique et maître de conférences à l’université de Strasbourg, préconise donc plutôt d’orienter les victimes vers des cellules d’écoute. "Quand le pénitent s’adresse au confesseur, il s’adresse à Dieu. Il y a quelque chose qui est de l’effacement du ministre dans cet acte-là. Cela ne dégage en rien sa responsabilité. D’où la création des cellules d’écoute. Il y a peut-être moyen d’inciter l’enfant à en parler à quelqu’un d’autre, hors de la confession" lance-t-il.

Une polémique qui inquiète l'Eglise

 

Mgr de Moulins-Beaufort a finalement rencontré Gérald Darmanin mardi dans l’après-midi. Le président de la Conférence des Evêques de France a pu ainsi s’expliquer sur ses propos. C’est le président de la République lui-même qui a souhaité ce rendez-vous de clarification. Estimant par la voix de Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, qu’il "n’y a rien de plus fort que les lois de la République dans notre pays". Mais pour Mgr Eric de Moulins-Beaufort, cette polémique sur le secret de la confession, inviolable selon lui, même pour protéger un mineur victime de violences sexuelles, ne doit pas occulter l’urgence des mesures à prendre contre la pédocrimalité.

 

"Je ne voudrais pas que le principal souci dans les églises de la part des prêtres soit de défendre le secret de la confession. Le premier souci doit être d’assumer, de prendre en charge le choc de l’ampleur de la révélation des abus au sein de l’Eglise. […] Ce qui m’inquiète un peu avec cette polémique autour du secret de la confession c’est que toute la société se polarise dessus alors que la question qui se pose c’est comment se fait-il que 5,5 millions de personnes puissent être abusées lorsqu’elles sont enfants sans que cette souffrance soit vue, entendue et saisie. Il ne suffira pas de quelques lois et de quelques politiques publiques. C’est une question de prise de conscience de l’humanité" explique le président de la CEF.

L'absence de jurisprudence précise

 

Mgr de Moulins Beaufort s’est dit prêt à expliquer au ministre de l’Intérieur que "le secret de la confession, imposé aux prêtres par le droit canonique, n’est pas contraire au droit pénal français." Après cette rencontre entre Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Evêques de France, et Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, une question se pose : que peut faire le législateur face au secret de la confession ? Ce secret est un sacrement dans le droit canonique. Il est assimilé au secret professionnel dans le code civil.

 

Mais l’article 434-1 du Code pénal dit que "quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes", n’en informe pas les autorités judiciaires ou administratives "est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende". Le législateur pourrait donc tout à fait imposer la levée du secret de la confession pour dénoncer des cas de violences sexuelles par exemple. C'est ce qu'explique Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille.

 

"Il n’y a pas de jurisprudence précise sur la compatibilité entre ces deux dispositions du code pénal : celle qui protège le secret et celle qui oblige à prêter assistance à une personne en danger ou dénoncer une personne qui va commettre un crime ou un délit. Cependant, comme les dispositions concernant la divulgation du secret sont assorties de peines plus lourdes que celles protégeant le secret professionnel, mon analyse serait de dire que si le prêtre qui reçoit la confession est convaincu qu’il se trouve face à quelqu’un qui peut récidiver, il est alors tenu de le dénoncer et de lever le secret" estime-t-il.

 

Entre l'Église et l'État, l'incident est clos

 

Dans un communiqué publié après la rencontre entre le président de la CEF et le ministre de l’Intérieur, l’épiscopat rappelle que "la foi fait appel à la conscience de chacun […], ce qui ne peut se faire sans respecter les lois de son pays". Il redit également "la détermination de tous les évêques à faire de la protection des enfants une priorité absolue, en étroite collaboration avec les autorités françaises". L’Eglise semble cependant disposée à "lancer un travail nécessaire pour concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants".

 

De son côté, le ministre de l’Intérieur a salué le courage de l’Eglise de France, à l’origine de la commande du rapport Sauvé. Gérald Darmanin a par ailleurs remercié publiquement le président de la CEF pour "l’échange fructueux et long". Il a enfin rappelé à l’archevêque de Reims "qu’il n’y a aucune loi qui soit supérieure aux lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, et qu’il n’y a aucune loi au-dessus de celles de la République". L’incident semble donc clos.

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