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Professeur menacé à Lyon 2 : la politique à l'université est-elle allée trop loin ?

Professeur menacé à Lyon 2 : la politique à l'université est-elle allée trop loin ?

Un article rédigé par Grégoire Gindre - RCF Lyon, le 7 mai 2025 - Modifié le 7 mai 2025
Tempo · Le podcast d'actualité de RCF LyonProfesseur menacé à Lyon 2 : la politique à l'université est-elle allée trop loin ?

À Lyon, comme dans des dizaines d'universités en France, les murs des campus parlent. Affiches syndicales, slogans politiques, tracts : depuis plusieurs années, le sanctuaire de l’enseignement supérieur s’est aussi mué en véritable agora politique. Trouvant son origine en mai 68, extrapolé par les événements du 7-Octobre, la place de la politique dans l’université a, semble-t-il, franchi un nouveau cap, début avril lorsque un professeur de l’université Lumière Lyon 2 est interrompu en plein cours par des individus masqués et cagoulés. En cause : des opinions politiques divergentes de celles de l’enseignant. Jusqu'où la politisation a-t-elle sa place sur les bancs de la fac ? L’université est-elle seulement un lieu de savoir ou aussi un champ d’action politique ? Faut-il politiser l’université ? Ou au contraire la protéger d’opinions politiques ? Décryptage. 

Professeur menacé à Lyon 2 : la politique à l'université est-elle allée trop loin ? ©Google Maps - Street View Professeur menacé à Lyon 2 : la politique à l'université est-elle allée trop loin ? ©Google Maps - Street View

Il est 15 heures, mardi 1er avril sur le campus Porte des Alpes de l’Université Lumière Lyon 2 lorsqu'une dizaine d'individus masqués et cagoulés interrompent le cours magistral du professeur de géographie et spécialiste du Moyen-Orient Fabrice Balanche. Revendiqué par le média militant autoproclamé anti-colons et anti-France Lyon2Autonome, les perturbateurs reprochent au professeur d’être « raciste » et « sioniste ». Une vidéo de la scène fait le tour des réseaux sociaux et l’université se retrouve au milieu d’un tourbillon médiatique extrême. 

La présidente de l’université Isabelle Von Bueltzingsloewen condamne l’événement, mais ne soutient pas vraiment Fabrice Balanche. « Je ne m'attendais pas à être soutenu moralement par l'équipe présidentielle de Lyon 2 », souffle le professeur qui assure que ces personnes « ne l’aiment pas ». Il poursuit : « c’est très clair que lorsque vous êtes de droite à Lyon 2, vous n’êtes pas le bienvenu ». Un souffle sur la braise du sujet brûlant qu'entretiennent les universités françaises avec les concepts de liberté académique et de neutralité du service public. 

À Lyon 2, des tables rondes à sens unique ?

« J’ai effectivement produit des analyses géopolitiques sur le conflit israélo-palestinien », conçoit Fabrice Balanche, mais « il ne faut pas confondre analyses géopolitiques et opinions personnelles ». Le professeur, reconnu aussi pour intervenir régulièrement dans les médias, n’en est pas à sa première passe d’armes avec les instances universitaires. En 2017, déjà, il s’était fait remarquer pour avoir formé un recours devant le tribunal administratif suite à son exclusion du processus de sélection à un poste de maître de conférences sur le monde arabe à l’IEP de Lyon. Le professeur avait obtenu gain de cause puisque la justice avait annulé la décision du comité de sélection de Science Po Lyon pour « erreur manifeste d’appréciation » et méconnaissance du « principe d’impartialité ».

Aujourd’hui à Lyon 2, il s’insurge contre les nombreuses tables-rondes organisées sur la situation au Moyen-Orient. « Je veux bien qu'on organise des conférences sur le conflit israélo-palestinien, mais à condition que ce soit des conférences scientifiques [...] qui s'appuient sur des preuves, sur des ouvrages et non pas sur des slogans, sur des mensonges, et sur de la propagande », tance Fabrice Balanche. « Ce n'est pas le lieu de l'université. Si une association pro-palestinienne, pro-hamas veut organiser un truc en ville, ils font ce qu'ils veulent, mais ils n'utilisent pas l'université pour ça ». 

Lyon 2, bastion du militantisme ? 


Sur le campus de Lyon 2 à Bron, les étudiants sont mitigés. « D'un côté, je trouve que c'est une bonne chose parce qu’il y a des choses qu'on ne peut pas laisser passer, des choses qu'on ne peut pas laisser dire. D'un autre côté, d'un point de vue académique c'est plus compliqué [...] je ne vais pas crier au scandale », tranche finalement Mathis, étudiant en deuxième année de licence Art du spectacle. Pourtant - sur le conflit israélo-palestinien - les murs du campus semblent avoir choisi leur camp. « Palestine vaincra », peut-on notamment lire proche de l’accueil de l’université. Les tags et inscriptions visant le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu se comptent, eux, par dizaines. 

« Si on est quelqu’un de droite, il ne faut pas le montrer », concède Hugo, en master 1 de psychologie de l’éducation et de la formation. Celui qui se dit « de gauche », apprécie pourtant « la liberté d’expression » présente sur son campus. « La politisation de l'université, oui, mais pas dans l'enseignement et sur l’espace public. Il faut que ce soit dans une logique de débat plus que dans une logique de combat », tempère-t-il.

« Si on est quelqu’un de droite, il ne faut pas le montrer », un étudiant de Lyon 2

Des combats, il y en a pourtant eu plusieurs ces dernières années sur le campus de Porte des Alpes de Lyon 2. De la réforme de Parcours sup, à une interdiction d’une soirée de rupture du jeûne en passant par les mobilisations autour de la houleuse réforme des retraites, le campus de Bron a souvent été bloqué et les cours en présentiel annulés ces dernières années. « C’est contre-productif », souffle encore Hugo. « Je ne suis pas pour ça personnellement mais [... ] ça choque, je ne trouve ça pas si mal non plus. C’est complexe ». 
 

La politique à l’université, pas un phénomène nouveau


Une complexité qui trouve ses racines dans les événements de mai 68. La politique à l'université n’est pas un phénomène nouveau. « Je pense que de tout temps dans les universités, il y a eu une dimension politique et des débats politiques. À toutes les époques, il y a eu des débats et des interventions politiques dans les universités », analyse Nathalie Dompnier, présidente de la Comue Lyon-Saint-Étienne et ancienne présidente de Lyon 2. 

Des secousses politiques ressenties jusque dans les murs des campus des universités, c’est surtout un bon moyen de former les citoyens de demain à s’exprimer, agir et contester. « Les universités doivent rester des lieux démocratiques et de partages. On essaye de politiser ou du moins d’informer les étudiants qui n’ont pas spécialement l’envie ou les possibilités de s'informer sur ce qui se passe », explique Rom Rioufol, vice-président de l’UNEF Lyon, syndicat étudiant de gauche.

Un avis partagé par Nathan Perramond, responsable du syndicat étudiant de droite, l’UNI Lyon, qui a pourtant une opinion politique à l’extrême opposée : « il est vital que l'université continue d'être un lieu de politisation, qu'elle continue de véhiculer les valeurs qui sont les valeurs essentielles de la République ». Cependant, encore une fois, cela doit se faire dans un cadre bien précis, qui ne doit pas déborder sur l’enseignement. « Dans une idée de liberté, de respect des valeurs fondamentales qui sont défendues par l'université en général », raconte le responsable syndical de l’UNI. 


 

Une liberté d’opinion politique, sans entrave à l’enseignement

La politique dans les universités ne pose ainsi aucun problème tant qu'elle est encadrée et respecte le service public que représente la faculté.  Nathalie Dompnier, qui a connu plusieurs blocages dans le cadre de ses fonctions de présidente de Lyon 2 analyse : « je pense qu'il faut faire la distinction entre ce qui relève de l'activité pédagogique - c’est-à-dire des cours qui sont proposés aux étudiants - des activités qui sont celles des associations étudiantes ». La frontière est parfois très fine. « Les étudiants peuvent organiser des débats [...] avec des invités, y compris des invités politiques dans le cadre de tables rondes dans les universités ». Selon celle qui est aussi professeur en science politique, l'université est « un espace où l'on doit apprendre le débat, la contradiction, la discussion avec des opinions qui ne sont pas les siennes ».

Nathan Perramond partage ce constat : « tant que ce discours se fait dans le respect des règles intérieures de l’université, ça ne me pose aucun problème ». Pourtant, en faisant irruption dans le cours de Fabrice Balanche, les membres du média Lyon2Autonome ne semblent pas respecter le règlement intérieur de Lyon 2. « Le service public de l’Enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leur possibilité de libre développement scientifique, créateur et critique », peut-on notamment lire dans un document signé Lyon 2 et daté de 2024.

Des nouvelles modalités d’actions

Ce n’est donc pas le combat politique qui interroge, mais bien le mode d’action et les modalités pour se faire entendre. Si jusqu'à récemment, le militantisme politique s’arrêtait devant l’entrée de l’amphithéâtre, une nouvelle étape a été franchie dès lors qu’un petit groupe de militants est venu entraver l’enseignement d’un professeur. « Les groupes mobilisés sont sans doute beaucoup moins structurés qu’auparavant, beaucoup plus sous forme de réseaux et, d’une certaine manière, beaucoup moins saisissable ».

Récemment, Lyon 2 n’a pas été le seul théâtre de tensions et d’interruptions d’enseignements ou de conférences. À l’ENS Lyon, mardi 15 avril, une conférence sur l’histoire de la Palestine est interrompue. Une enquête est en cours, mais les premiers témoignages parlent de « menaces de mort » envers le conférencier et d’«innombrables injures racistes et islamophobes ». L’administration a décidé de porter plainte pour trouble à l’ordre public et entrave à la liberté d’expression, tandis qu’un signalement au procureur de la République a également été effectué. L’affiliation de ces militants n’a pas pu être confirmée pour l’instant. Preuve une nouvelle fois que les groupuscules extrémistes, à gauche comme à droite, dépassent les limites de la loi et du règlement intérieur des enseignements supérieurs.

«  C'est complexe pour les présidents d'universités, les directions d'établissements, d'avoir un interlocuteur stable pour fixer ses règles dans le débat »

Face à ces groupes difficilement identifiables, « c'est complexe pour les présidents d'universités, les directions d'établissements, d'avoir un interlocuteur stable pour justement fixer ses règles dans le débat », déplore Nathalie Dompnier. Pourtant, c’est essentiel, selon elle, de « travailler avec ces étudiants sur la manière d’organiser la discussion et le débat ». L'université ne doit donc pas être une tribune politique, mais c’est pourtant bien sur les campus universitaires que se joue l’avenir du débat démocratique. La situation aux États-Unis, et le gel des subventions aux universités américaines par Donald Trump en est aussi un autre exemple. 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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