Selon les Nations Unies, à la fin de l’année 2024, 123,2 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer dans le monde en raison de conflits, de violences ou de persécutions. Parmi eux, des "réfugiés", des "demandeurs d'asile" ou encore des "apatrides". Des différences de statuts qui ont leur importance aux yeux du droit international et du droit français. On fait le point.
Laurent Delbos est responsable plaidoyer de l’association Forum Réfugiés. Vendredi 20 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des Réfugiés, l’association organise une “marche des parapluies” pour sensibiliser le grand public à la cause des réfugiés.
RCF Lyon : Qu’est ce que l’on appelle aujourd'hui un demandeur d’asile ?
Laurent Delbos : Ce qu'on appelle un demandeur d'asile, c'est quelqu'un qui a entamé une procédure auprès des autorités françaises pour demander la protection de la France au titre de l'asile. C'est-à-dire qu'il s'est présenté aux autorités françaises en disant « Moi, j'ai des craintes en cas de retour dans mon pays, donc je vous demande la protection ». Il a donné un dossier, il va être entendu par les instances de l'asile, etc. Toute cette phase-là, c'est une phase pendant laquelle la personne a le statut de demandeuse d'asile. Elle a certains droits, comme celui de rester sur le territoire. Elle a aussi le droit - normalement - à des conditions minimales en termes d'accueil. En revanche, ce sont des personnes qui n'ont pas le droit au travail : les demandeurs d'asile, n'ont pas le droit d'avoir leurs propres ressources. C’est pourquoi l'État donne quelques ressources à ces personnes. Cependant, il y a beaucoup de défaillances aujourd’hui.
RCF Lyon : Notamment en matière de logement ?
LD : Oui, il y a normalement une possibilité d'être hébergé dans des lieux spécifiques, des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile, notamment les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les CADA. Malheureusement, c'est un point noir aujourd'hui de notre système d'asile en France :
Presque 40 % des demandeurs d'asile n'ont aucune condition d'accueil qui leur est proposée, parce que, loi après loi, il y a eu des extensions de ces possibilités de refus ou de cessation des conditions d'accueil. Donc, de plus en plus de demandeurs d'asile n'ont pas de ressources, n'ont pas de lieux d'hébergement, mais pas d'allocations non plus. L'État ne fournit rien à ces personnes.
RCF Lyon : Quelle est la suite pour eux ?
LD : Une fois que les personnes ont obtenu une protection, la suite de la procédure d'asile, c'est soit un refus. Dans ce cas, on est débouté de sa demande d'asile. On l'est définitivement quand il y a la Cour nationale du droit d'asile qui a donné sa décision.
RCF Lyon : Qu'arrive-t-il pour ces personnes déboutées de leur demande d'asile ?
LD : Les personnes déboutées ont plusieurs possibilités. Elles peuvent solliciter une régularisation à un autre titre en France, si elles ont des liens familiaux en France, si elles ont des problèmes de santé graves, etc. Donc, elles peuvent aller sur une autre voie pour être régularisées en France. Elles peuvent aussi, dans des cas très encadrés par la loi, faire des demandes de réexamen de leur demande d'asile. Cependant, il leur faut des éléments nouveaux, c'est-à-dire des choses qu'elles n'avaient pas pendant la procédure, qui sont arrivées, soit des changements dans la situation du pays d'origine, soit des nouveaux éléments qui viennent attester de leur situation.
Si rien de tout ça n’est possible, ce sont des personnes qui se voient notifiées d'une décision d'éloignement. Elles doivent rentrer dans leur pays. Elles se voient notifiées d'une obligation de quitter le territoire français - les fameuses OQTF - pour ensuite rentrer dans leur pays d'origine.
RCF Lyon : Et si la demande d’asile est acceptée ?
LD : Quand la demande d'asile est acceptée par la France, dans ce cas, il y a une protection qui est accordée. Il y a deux statuts de protection. Soit on a le statut de réfugié, qui est le plus connu, le plus communément nommé dans le débat public, qui fait écho à la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. Cette convention de Genève a fixé tout un cadre juridique pour protéger des personnes qui se trouvent dans certaines situations parce qu'elles sont persécutées en raison de leur religion, en raison de leurs opinions politiques, etc.
Et il y a un autre cadre de protection qui est issu du droit de l'Union européenne, qui permet d'obtenir le bénéfice de la protection subsidiaire. On l'appelle protection subsidiaire parce qu'elle est subsidiaire au statut de réfugié.
Si l’on n'a pas le statut de réfugié, les instances vont voir si vous pouvez avoir la protection subsidiaire. Ça concerne notamment les personnes qui fuient les situations de conflits généralisés, par exemple, que la convention de Genève ne protégeait pas. La convention de Genève a une approche individuelle, mais elle ne protège pas les personnes qui invoquent une situation dégradée en termes de conflits, de violences. Quand il y a la guerre dans un pays, on n'obtient pas le statut de réfugié, mais on peut obtenir la protection subsidiaire.
Ces deux statuts - statut de réfugié et bénéfice de la protection subsidiaire - c'est globalement ce qu'on va mettre sous le terme commun de réfugiés. Ceux et celles que l’on va appeler réfugiés, ce sont les personnes qui ont obtenu une protection, que ce soit l'une ou l'autre des protections. Les droits sont globalement les mêmes. Une fois qu'on a ces protections, on peut s'installer durablement en France avec des droits tout à fait complets.
D'un point de vue commun, souvent on va appeler réfugiés des personnes qui cherchent refuge quelque part. Et c'est là que parfois il peut y avoir de la confusion aussi dans le débat public. C'est-à-dire que l’on va appeler réfugiés tout un tas de personnes, y compris des personnes qui n'ont pas forcément de crainte dans leur pays d'origine, mais qui sont venus ici. Parfois on va confondre le terme d'étranger, d'immigré, avec le terme de réfugié. Là, on parle bien de personnes qui fuient leur pays parce qu'il y a des persécutions, qui ont des craintes en cas de retour et qui n'ont pas d'autre choix que de quitter leur pays.
RCF Lyon : Selon l'ONU, 123 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer dans le monde en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l'homme, soit une personne sur soixante sept. Parmi ces 123 millions, on compte 43 millions de réfugiés. Pourquoi cette différence importante ?
LD : Dans ce qu'on appelle les déplacements forcés qui sont recensés par les Nations Unies, on inclut aussi ce qu'on appelle les déplacements internes. C'est-à-dire que dans une situation de conflit, quand la personne doit quitter son domicile, la plupart des gens vont se réfugier dans une autre partie du pays dans lequel elles seront en sécurité. Par exemple, on a beaucoup entendu parler des réfugiés syriens.
Les réfugiés syriens, c'est 6,5 millions de personnes dans le monde qui ont quitté la Syrie pour se réfugier dans un autre pays. Mais parallèlement, plus de 7 millions de Syriens ont quitté leur foyer, leur lieu de résidence, pour se réfugier autre part dans le pays.
Vous comprendrez donc que ce ne sont pas des gens qui décident de déménager parce qu'ils ont un boulot dans une autre ville. Ce sont des personnes qui quittent l'endroit où elles habitent et qui vont s'installer dans une autre partie du pays. Il y a la Syrie, mais il y en a beaucoup dans le nord de l'Afrique, au Soudan, en République démocratique du Congo. Actuellement, il y a énormément de personnes qui sont en situation de déplacement interne.
Autant de situations qui ne font pas écho à des questions de migration internationale, puisqu'il n'y a pas de franchissement de frontières, mais qui sont des questions importantes en termes de besoins humanitaires, puisque ces personnes ont tout quitté et doivent tout reconstruire dans une autre partie de leur pays. C'est la principale explication.
RCF Lyon : Dans ces 123 millions, il y a donc les réfugiés, les demandeurs d’asile, mais aussi les apatrides… qui sont-ils ?
LD : Les apatrides sont aussi des personnes qui sont en besoin de protection pour une autre raison qui n'est pas forcément la raison de persécution. Mais les apatrides ont un besoin de protection du fait de l'absence de nationalité. Être apatride, c'est n'avoir aucune nationalité.
Il y a tout un tas de situations juridiques dans lesquelles les personnes se retrouvent sans nationalité : parce que les lois du pays ne couvrent pas l'ensemble des situations, parce que la nationalité se transmet parfois seulement par le père, parce qu'il y a parfois des situations où il y a eu des changements de frontières, ou en raison des pratiques des minorités dans certains pays, qui ont du mal à accéder à la nationalité.
L'absence de nationalité aboutit à l'absence de droits. Tous les droits qu'on a, ils sont liés à notre nationalité. C'est parce qu'on est français qu'on a tel ou tel droit, ou bien parce qu'on est étranger qu'on a tel ou tel droit des étrangers. « Apatride », on n'est ni l'un ni l'autre, on n'est rien du tout en fait : on n'a pas de nationalité. C'est pour ça qu'il y a tout un système de protection des apatrides existant : il y a une convention internationale spécifique sur ce sujet.
Des pays comme la France se sont aussi engagés à protéger les apatrides. C'est un statut différent du statut de réfugié : c'est le statut d'apatride. Donc une personne peut aussi en France aller à la préfecture et dire « je demande une protection parce que je n'ai pas de nationalité, et je veux avoir ce statut d'apatride », qui sera attribué par la même instance qu'on appelle l'OFPRA. Le statu d'apatride, c'est le "A" de "OFPRA", l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Ils représentent 4,4 millions sur l'ensemble de ces 123 millions de personnes.
Politique, culture, société : chaque soir à 18h10, celles et ceux qui font l'actualité en Auvergne-Rhône-Alpes sont au micro du 18/19, en diffusion sur les 11 radios locales RCF de la région.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !