Romain Huët : "Ces mobilisations préfigurent peut-être des transformations de la société"
Ce jeudi 18 septembre est une journée de grève à l'appel de l'intersyndicale. La semaine dernière, c'est le mouvement "Bloquons tout" qui descendait dans la rue. Autant de mouvements qui sont pour les chercheurs, des objets d'études et d'analyses. Décryptage avec Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication à l'université Rennes II.
Romain Huët a publié en 2019, Le vertige de l'émeute: De la Zad aux Gilets jaunes aux Puf.Pourquoi ces mobilisations, de formes différentes, intéressent-elles les chercheurs?
Romain Huët : "Je pense que c'est toujours un peu fascinant de voir des gens qui répondent au monde, c'est-à-dire de voir des gens qui sortent de l'état de passivité, qui finalement à un moment donné, cherchent à s'organiser pour transformer l'existant.
On n'est pas simplement dans un moment de grande déploration où on va raconter ce qui ne va pas. Il y a une tentative de reprendre possession de quelque chose qui habituellement est un peu hors de portée : c'est le monde, la société, la vie politique. Pour nous, sociologues, étudier ces mobilisations préfigurent aussi peut-être des transformations de la société.
Finalement quand on étudie un mouvement social, on essaie aussi de comprendre les aspirations des uns et des autres et peut-être que cela préfigure ce que sera la société demain."
Comment le chercheur observe-t-il ?
Romain Huët : "Il y a beaucoup de manières de faire. Ce que je défends, c'est une sociologie de chair, [...] c'est-à-dire d'éprouver corporellement le phénomène. Moi personnellement, je vais dans les manifestations, dans les blocages, j'essaie de comprendre de quoi les gens sont en train de parler, qu'est ce qui les occupent, quelles idées ils ont de ce qui leur importe.
Je crois que dans ces mouvements, comme celui de "Bloquons tout", on peut arriver à identifier comment les gens ont tendance à porter une critique sur la situation politique mais aussi comment ils envisagent de s'en sortir. [...] En étant près de la situation, on arrive un peu mieux à comprendre ce qui pourrait être très bizarre pour certains."
Où se trouve alors la rigueur scientifique quand on utilise cette sociologie de chair?
Romain Huët : "C'est une vraie question. Cette rigueur se place à plusieurs niveaux, d'abord dans le concept : dans la capacité à théoriser et à faire lien avec d'autres chercheurs, lier ses propres travaux avec des concepts hérités du passé. La rigueur commence par la lecture des travaux scientifiques qui ont pu être faits depuis des années et essayer de cerner ce qui est un peu original dans ce qu'on est en train d'observer.
Ensuite, c'est le protocole d'enquête. Vous avez des dispositifs méthodologiques. C'est une enquête sur le long terme. Depuis 2012, je suis dans les mouvements sociaux. Au total, j'ai dû participer à peu près à 150 émeutes en France et en Colombie. Je pars plusieurs mois sur les terrains de guerre pour comprendre ce rapport à la violence. Je pense qu'au bout d'un moment, j'ai pu avoir quelques habitudes sur la façon dont les gens ont tendance à se comporter face à la violence, ou en tout cas, sur la façon dont ils vont se révolter. Mais la sociologie, c'est une science qui se discute. Moi ma vision de la sociologie, c'est faire en sorte qu'on parle."


Chaque jour, les rédactions de RCF en Bretagne vous proposent une rencontre avec un acteur local sur un sujet d'actualité pour décrypter un évènement ou un enjeu de notre région.
