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Chlordécone : la demande d'un non-lieu ravive la colère
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Chlordécone : la demande d'un non-lieu ravive la colère

Un article rédigé par Clara Gabillet - RCF, le 1 décembre 2022  -  Modifié le 1 décembre 2022
Le dossier de la rédaction Le chlordécone : un non-lieu qui ravive la colère

Pendant plusieurs dizaines d’années, le pesticide du chlordécone a été utilisé dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique. Après seize ans de procédure et des plaintes pour empoisonnement et mise en danger de la vie d’autrui, le parquet de Paris a finalement requis un non-lieu. De quoi raviver une colère très forte.

Manifestation en Martinique contre la fin des investigations dans l'enquête sur l'empoisonnement au chlordécone. © Fanny Fontan / Hans Lucas Manifestation en Martinique contre la fin des investigations dans l'enquête sur l'empoisonnement au chlordécone. © Fanny Fontan / Hans Lucas

Ils s’y attendaient mais ne sont pas résignés pour autant. En Guadeloupe et en Martinique, cette demande d’un non-lieu par le parquet de Paris la semaine dernière n’a pas surpris. L’information judiciaire avait été close en mars. Aucune mise en examen n’a été décidée. "C'est une décision politique", lâche Christophe Lèguevaques, avocat de parties civiles dans ce procès. "Ils cherchent à évacuer un dossier qui est gênant pour l’Etat." 

 

Les victimes "ne comprennent pas d’être aussi méprisées"

 

Même si c’était attendu, la colère reste forte pour les plaignants qui ont entamé cette procédure il y a 16 ans. Des associations avaient porté plainte en 2006 pour "empoisonnement", "mise en danger de la vie d’autrui", "administration de substance nuisible" et "tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises". Le parquet a estimé que les faits étaient prescrits et a donc demandé un non-lieu. Les victimes "ne comprennent pas d’être aussi méprisées par les pouvoirs publics, par les autorités, par les békés [descendants créoles des colons esclavagistes, NDLR] et puis maintenant par la justice", poursuit Me Christophe Lèguevaques.

 

La justice n’a toutefois pas dit son dernier mot. La décision définitive est attendue pour la fin du mois de décembre. Les avocats ont ainsi un mois devant eux pour déposer des recours. Ce que Maître Lèguevaques fera. "On a depuis 1952 des tas d’études sur les animaux et les humains qui prouvent le caractère mortel du pesticide, l’OMS qui en 1979 classe le produit cancérigène, et on a une décision de l’Union européenne de l’interdire parce qu'il est dangereux et là on nous dit qu’il n’est pas mortifère... C’est vraiment prendre les gens pour des imbéciles", insiste l'avocat. 

 

Il continuera aussi à se battre même si le non lieu tombe définitivement, devant la Cour d’appel et la Cour de cassation. Il n’exclut pas d’aller devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). De leur côté, les associations de victimes parlent d’une "guerre judiciaire", d’un "marathon" dans lequel il faudra être endurant et combattif pour se faire entendre.

 

Une injustice qui s'ajoute aux injustices

 

En Martinique et en Guadeloupe, le chlordécone a été pulvérisé sur les champs de bananes pour lutter contre un insecte : le charançon. Ce produit est reconnu comme un perturbateur endocrinien et cancérogène. Déjà, en 1979, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait sur sa dangerosité. Mais la France l’a autorisé jusqu’en 1990 et même jusqu’en 1993, par dérogation, aux Antilles.

 

Les conséquences sont considérables : plus de 90 % de la population antillaise est contaminée selon Santé publique France. La Martinique détient le record du monde du taux de cancer de la prostate. Les conséquences sont également dramatiques pour les sols et les eaux, où la molécule contenue dans le pesticide reste des siècles. L’Etat a été reconnu premier responsable de ce scandale par une commission d’enquête parlementaire en 2019.

 

L’injustice ressentie en Guadeloupe notamment s’inscrit aussi dans tout un enchaînement d’autres injustices comme le traitement de l’eau ou la gestion des déchets. Pour le chlordécone, plusieurs plans ont été déployés par l’Etat avec 92 millions d’euros prévus entre 2021 et 2027 pour la recherche, la formation et l’éducation. "On devrait plutôt avoir le milliards d’euros. Pour l’instant, on est encore à faire des économies de bout de chandelle et donc on ne boxe toujours pas dans la même catégorie que le problème", commente Jean-Marie Flower, vice-président de l’association de victimes Vivre.

 

Un passé colonial qui renforce la colère

 

Autant d’inégalités et d’injustice vécues qui prennent racines dans un passé colonial. Les importateurs du chlordécone sont des descendants de colons, des békés. "Il y a une association qui est faite entre l’histoire et l’injustice. La population a le sentiment d’avoir avec ces importateurs une histoire conflictuelle, qui amplifie l’affaire. Les gens se disent 'On a déjà eu l’injustice de la réparation qui a été faite aux colons. Là, les mêmes nous empoisonnent avec la complicité de l’Etat'", explique Fred Reno, professeur de sciences politiques à l’université des Antilles. 

 

La demande de non-lieu, qui pourrait donc bien devenir définitive n’est pas prête d’apaiser les tensions en Guadeloupe et en Martinique, là où ont déjà eu lieu d’importantes mobilisations il y a un an contre le vaccin et plus largement les inégalités. "Ce problème est tellement grave aux yeux des populations qu’il est même instrumentalisé, associé à d’autres problèmes. Cela permet d’agréger le mécontentement et d’avoir une situation qui a terme peut devenir explosive", souligne Fred Reno. 

 

Les associations ont d’ores et déjà annoncé une journée de mobilisation le 10 décembre prochain, qu’elles espèrent la plus large possible. 
 

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