Le projet de loi sur l'aide active à mourir fait l'objet de débats en ce moment à l'Assemblée nationale. Les évêques de France, les responsables des différents cultes d'une façon collégiale, se mobilisent pour alerter sur les dérives d'une telle loi. Jean-Marc Eychenne, évêque du diocèse de Grenoble-Vienne a rendu public une lettre qu’il a adressée aux parlementaires du département du l’Isère.
Dans cette lettre, vous employez des mots très forts, vous parlez de la régression qu'une telle loi ferait peser sur la société si elle était adoptée. Une régression alors que beaucoup parlent, au contraire, de progrès. Qu'est-ce qui est finalement en jeu, fondamentalement, dans cette proposition de loi ?
Je crois que ce qui est en jeu, c'est une sorte d'interdit fondamental, présent à peu près dans toutes les cultures. Cette idée que la vie est trop grande pour nous appartenir et pour que qui que ce soit choisisse de l'interrompre volontairement, sauf dans des cas extrêmes, évidemment, de légitime défense.
Mais à un certain moment, à froid, quand on a quelqu'un en face de soi, comme dans le cadre de la peine de mort, je faisais référence au projet de loi de M. Badinter, qui a fini par conduire à un vote des parlementaires qui abolit la peine de mort dans notre nation. Je refuse de penser qu'il y a de bonnes raisons de mettre un terme à la vie de quelqu'un.
Et donc là, on remet en cause cet interdit fondamental, en quelque sorte, en estimant qu'il peut y avoir de bonnes raisons pour mettre un terme à la vie de quelqu'un, une raison liée à la maladie grave, à de trop de souffrance. J'ai accompagné, il y a peu, plusieurs personnes se trouvant en fin de vie, dans des structures de soins palliatifs. Et j'ai bien vu, y compris en dialogue avec les soignants, en dialogue avec mes amis eux-mêmes et leurs familles, que la question de la souffrance, aujourd'hui, on la gère beaucoup mieux que par le passé, à condition que l'on s'en donne les moyens. Et donc souvent, ce qui conduit au désespoir et l'envie d'en finir, plus que la souffrance au sens physique, c'est la grande solitude. Le fait de ne pas être entouré des siens, de ne pas être entouré tout court.
Quand cette souffrance physique est atténuée, quand les derniers instants de la vie, parfois les dernières semaines, les derniers mois, sont riches aussi de la présence de son frère, sa sœur, ses amis qui viennent à tour de rôle vous voir, il y a là des paroles échangées, totalement inédites, extrêmement fortes, et qui redonnent du goût à ces dernières années d'existence.
Et j'aime bien cette phrase qui dit, qu’à défaut de pouvoir ajouter des jours à la vie, on ajoute de la vie aux jours, c'est-à-dire de la joie, des éclats de rires, du partage, des cadeaux, des embrassades, y compris des larmes, parce qu'on sait qu'on va se quitter, mais se priver de ça, c'est tellement triste.
Le président Macron a défendu ce texte, instaurant un droit à l'aide à mourir, comme étant une loi de liberté, ailleurs, on a entendu parler d'une loi de fraternité, les mots n'auraient-ils plus les mêmes sens ? Est-ce qu'on utiliserait un langage qui travestit finalement la réalité ?
Oui, je crois qu'on peut dire cela. C'est plus ou moins explicite, mais quand on est face à des choses violentes, on essaie d'employer des édulcorants, des mots qui vont faire passer quelque chose de terrible. La responsabilité du médecin, de la famille, de dire oui, là maintenant on arrête, je choisis le jour et l'heure où ça va se terminer, c'est quand même extrêmement violent.
Alors face à cette violence, on emploie les mots de fraternité, de liberté, mais évidemment ils ne sont pas adaptés ! De quelle liberté parle-t-on, de quelle fraternité parle-t-on quand on met un terme à la vie de quelqu'un ? On sait bien par exemple que quand on augmente les doses de morphine parce que la souffrance devient trop lourde, on sait bien qu'on accélère un peu le terme. Mais l'intention n'est pas du tout de mettre fin à la vie de quelqu'un. Dans ce cas-là, dans les unités de soins palliatifs, l'intention est de faire que cette personne, y compris parfois par des temps de sédation profonde, ne soit pas en trop grande souffrance.
Les personnes elles-mêmes disent, et je me rappelle d’une amie, Virginie, que j’ai accompagnée jusqu'au dernier moment, qui disait qu’elle préfère souffrir un peu encore, mais être suffisamment consciente pour pouvoir parler avec sa sœur, avec sa maman, parce qu’elle avait envie de leur dire des choses avant de s'en aller.
Une dernière chose, je crois que sur des questions comme celle-là, moi évidemment je suis un religieux, un croyant catholique, mais quand j'argumente avec des députés, des sénateurs ou des amis ou des gens que je rencontre, j'argumente en raison, en humanité, mais pas du tout en religion.
Je ne mets pas en avant des arguments d'autorité qui seraient des arguments religieux. J'essaie de mettre en avant mon humanisme, parce que bien que religieux, j'ai quand même la faiblesse de penser que je suis aussi un humanisme, d'un humanisme éclairé par l'évangile. Il y a là un terrain de dialogue en profondeur, c'est pour ça que je le tente avec des frères et sœurs qui travaillent aussi en structure de santé, dans un dialogue avec nos contemporains pour qu'on ne s'engage pas tant que faire se peut dans cette voie.
Donc pour vous, il n'est pas trop tard pour participer au débat, aider à poser de bonnes questions sur justement ce terrain-là de l'humanité ? On peut encore intervenir ?
Oui, je crois qu'on le peut encore, tant que la loi n'est pas votée, qu'on n'est pas face à des choses irrémédiables. Et puis même si la loi est votée, on peut toujours revenir sur des projets de loi. Il y a bien des nations qui se sont engagées avant nous dans ce corpus législatif et qui aujourd'hui s'interrogent vraiment, au vu des dérives que cela peut provoquer, pour revenir en arrière sur un projet de loi comme celui-là.
Pourtant, on voudrait nous faire croire que cette question-là, l’aide active à mourir, les soins palliatifs, serait due à une question de moyens. Parce qu'on n'a pas les moyens d'accompagner la vie jusqu'à son terme, on trouve ça, est-ce qu'on ne dévoie pas le débat finalement ?
Malheureusement, dans les arguments mis en avant, il y a l'argument des moyens ou du coût que représentent les soins palliatifs qui d'ailleurs n'existent pas partout, et qui gagneraient à être développés. C’est quand même cynique quand on met en avant l'idée qu'on est obligé de s'engager sur cette voie-là, parce que sinon nous allons avoir trop de personnes en grand âge ou handicapées dans notre société. Ces arguments ne sont tout simplement pas entendables.
Donc vraiment, je crois qu'on peut oser des paroles assez fortes là-dessus, parce que vraiment ce sont des principes d'humanité qui sont en cause.
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